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COVID 19 : Adaptation des pratiques et dispositifs exceptionnels

Publié le 23 avril 2020

La solidarité inventive de tous les acteurs de la justice des violences intrafamiliales

Le point par Isabelle Rome, haute-fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes

COVID 19 : Adaptation des pratiques et dispositifs exceptionnels

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7 minutes

L’état d’urgence sanitaire qui s’impose aujourd’hui remet en cause l’exercice des missions liées à la protection des victimes de violences au sein du couple, tel qu’il est normalement assuré. Celui-ci est devenu plus complexe, en l’absence de proximité physique entre les personnes, et plus difficilement assuré, en raison de la nécessaire réorganisation du travail de chacun des acteurs du secteur judiciaire ou associatif, en première ligne de celui-ci.

Depuis le début du confinement, tous ces professionnels font évoluer leurs pratiques. Des dispositifs exceptionnels sont mis en œuvre, avec comme mot d’ordre celui de la protection des victimes de violences intrafamiliales, lesquelles, aujourd’hui enfermées au sein de leur foyer se trouvent particulièrement exposées au risque de violence.

L’ensemble des acteurs judiciaires et associatifs ont construit, et construisent, au fil des jours, des réponses très concrètes aux questions induites par l’état de crise sanitaire.

La plate- forme d’éviction des conjoints violents

Mis en place depuis le 6 avril 2020, ce dispositif exceptionnel et temporaire a d’ores et déjà permis l’hébergement d’urgence de 41 personnes à l’encontre desquelles une mesure d’éviction était prononcée.

Financée par le secrétariat d’Etat à l’égalité femmes/hommes, cette plate-forme d’orientation consacrée à l’éviction du conjoint violent, gérée par le groupe SOS Solidarités, s’est montrée très réactive. Le temps de recherche moyen d’un hébergement n’a été que de quelques heures – le plus souvent entre deux et quatre.

Elle peut être saisie par mail eviction@groupe-sos.org , soit directement par le procureur de la République, soit par l’association ou le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) en charge des enquêtes sociales rapides en cas de défèrement, soit par le juge aux affaires familiales, après prononcé d’une ordonnance de protection.

L’orientation donnée par la plate-forme est coordonnée avec les directrices régionales et les directeurs régionaux à l’égalité femmes/hommes, les associations spécialisées dans le suivi des personnes placées sous- main de justice et les professionnels du soin, en charge de celles-ci - Citoyens justice et la FNACAV. Ainsi donc le contrôle et le suivi du conjoint faisant l’objet de la mesure d’éviction sont immédiatement déclenchés.

Le cas échéant, un téléphone grave danger peut être attribué à la victime.

La continuité de l’offre de formation continue des magistrats pour mieux lutter contre les violences au sein du couple

Si le confinement empêche l’organisation de formations continues délocalisées et pluridisciplinaires, lancées dès la fin du Grenelle par l’Ecole nationale de la magistrature, et rencontrant toutes un grand succès, l’offre de formation des magistrats sur le sujet très spécifique des violences au sein du couple n’est pas interrompue.

Le 15 avril 2020, l’Ecole nationale de la magistrature a, en effet, organisé, une conférence virtuelle sur les « violences au sein du couple », afin de permettre aux magistrats d’acquérir les connaissances psychosociales fondamentales et les réflexes professionnels adaptés. Grâce à une mobilisation exemplaire des équipes de la direction et des responsables de la formation continue au sein de cet établissement, cinquante magistrats ont pu y prendre part. Ils ont été invités, à l’issue de la première séance, à consulter à domicile « le kit pédagogique » en e-learning, composé de vidéos d’experts et de fiches réflexes. Ils se sont retrouvés, dans un troisième temps, lors d’une classe virtuelle, tenue le 17 avril, en présence des deux intervenantes : une psychologue clinicienne- Karen Sadlier- et une Vice- procureure- Nathalie Kielwasser- afin de partager toutes les questions relatives à leurs pratiques professionnelles.

De nouveaux modes d’organisation des audiences d’ordonnances de protection

La lutte contre les violences conjugales reste une priorité du Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire. La Ministre de la justice a ainsi souligné que le confinement pouvait malheureusement générer des violences intrafamiliales et a appelé à la particulière vigilance des professionnels. Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la procédure d’ordonnance de protection figure parmi les procédures d’urgence des plans de continuation de l’activité des tribunaux.

Afin de préserver la santé des personnels de la justice et des auxiliaires de justice, l’ordonnance du 25 mars 2020 a prévu une adaptation des règles procédurales applicables aux audiences en ordonnance de protection.

En vertu de ces dispositions spécifiques, les parties peuvent ainsi échanger leurs pièces et écritures par tout moyen, dès lors que le juge peut s’assurer du respect du contradictoire.

Lorsque les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge peut décider que la procédure se déroulera sans audience ou que cette dernière se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle. En cas d’impossibilité technique de recourir à un tel système, il peut opter pour une audition des parties et de leurs conseils par tout moyen électronique, y compris téléphonique.

Une fiche technique très précise a été élaborée sur ce sujet par la Direction des affaires civiles et du Sceau. Un focus y est notamment porté sur la pratique très opérationnelle mise en œuvre au sein du Tribunal judiciaire de Montpellier.

Il est également prévu que les décisions d’ordonnance de protection puissent être portées à la connaissance des parties par tout moyen.

Afin de garantir la sécurité des victimes de violences conjugales, et d’éviter de déclencher une nouvelle procédure devant le juge aux affaires familiales, les ordonnances de protection arrivant à expiration pendant la période d’état d’urgence sanitaire, sont aussi systématiquement prolongées jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après la fin de ladite période.

La mobilisation des avocats pour l’assistance des victimes de violences intrafamiliales

Une plate-forme téléphonique mise en place par le Conseil National des Barreaux, à destination des professionnels : le 01 76 40 17 71.

Afin de répondre aux questions des professionnels - notamment les pharmaciens, médecins, policiers, gendarmes, associations écoutantes…. - amenés à accueillir ou/et prendre en charge des victimes de violences intrafamiliales, en cette période particulière de confinement, le Conseil National des Barreaux a mis en place un dispositif exceptionnel en créant une plate-forme téléphonique permettant une orientation des demandes vers un avocat compétent territorialement et à même d’obtenir une ordonnance de protection.

Une vingtaine d’avocats bénévoles, élus du CNB, sont ainsi chargés de gérer les appels sur cette plate-forme en assurant une permanence 24h/24 et 7j/7. Le Barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers se sont mobilisés pour fournir des listes d’avocats disponibles pour intervenir rapidement auprès des juridictions.

Le numéro fonctionne depuis le 11 avril.

Plusieurs barreaux se sont aussi impliqués en organisant une permanence téléphonique spécifique en direction des victimes de violences intrafamiliales.

Tel est le cas des barreaux de

  • Paris : 01 44 32 49 01 - Du lundi au vendredi de 9h 30 à 12h 30 et de 14h à 17h

  • Caen : 02 31 86 70 09 ou barreau@avocats.net

  • Bordeaux : 05 57 77 40 71 - 7j/7, 24h/24.

  • Montpellier : 07 80 47 59 77
    En partenariat avec l’association Avocat et violence conjugale. Jusqu’au 11 mai 2020, du lundi au samedi de 8h à 20h.

L’implication constante et sans faille des associations pour la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales

L’ensemble des associations ont adapté leurs méthodes de travail et de prise en charge des victimes, en raison de l’état d’urgence sanitaire.

L’augmentation significative du nombre de saisines des associations d’aide aux victime (réseau France Victimes) et la solidarité inventive de ces dernières :

  • Ces associations ont une activité généraliste, en direction des victimes de tous types d’infractions. Depuis le début du confinement, la part de leur activité consacrée aux violences conjugales a sensiblement augmenté, en particulier au cours de la troisième semaine.

  • Sur environ 15000 situations traitées par le réseau, près de 6000 révèlent des violences conjugales dans le couple ou au sein d’un couple séparé (que les faits soient antérieurs ou contemporains avec la période) , soit + 82% depuis le 2 avril.

  • Les évaluations TGD et entretiens EVVI se sont multipliées et ont connu une augmentation comprise entre 55 et 60%.

  • Toutes ces associations ont adapté leurs pratiques pour le public, se sont mises à disposition pour mieux se coordonner avec les partenaires locaux dans ce contexte de télétravail. Par exemple : rappels des victimes dont l’audience a été reportée, appels des victimes dont le conjoint est libéré, déplacement au TJ ou à domicile pour les remise de TGD, création d’astreintes de nuit pour les violences conjugales, proposition d’émissions de radios dédiées au public victime, liens directs avec les cabinets médicaux, tenue de permanences éphémères dans les centres commerciaux dans plusieurs enseignes (Auchan, Super U, Casino ou Leclerc), échanges par sms, distribution de kits de 1ère nécessité pour les femmes victimes ou mise en place d’aides spécifiques avec le département.

Les permanences démultipliées des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et leur communication à destination des victimes de violences au sein du couple :

  • Une mise à jour régulière de la liste des permanences assurées par les CIDFF est effectuée, afin de continuer l'information du public. Dans ce cadre, une dizaine de CIDFF ont mis en place des points éphémères dans les supermarchés (CIDFF de Paris au Forum des Halles, CIDFF de Seine Saint Denis au Centre commercial d'Epinay sur Seine, Dunkerque, Lille métropole, Val d'Oise au centre commercial d'Aéroville, Var au centre commercial Grand VAr, projet en cours dans le Maine et Loire).

    Cliquer sur le lien pour accéder à la fiche de présentation du dispositif

  • De nombreux CIDFF ont par ailleurs communiqué sur leurs permanences notamment auprès des partenaires mais aussi sur les réseaux sociaux, en mettant en place des pages Facebook ou en réalisant des supports de sensibilisation, tel le CIDFF du Maine et Loire qui a créé une capsule vidéo « Parents séparés et confinement ».

Comment prendre en charge et accueillir une victime sans pouvoir la rencontrer ?Quel impact une décision d’éviction d’un conjoint violent peut-elle revêtir dans un contexte de risque sanitaire élevé et de grande tension du secteur de l’hébergement d’urgence ?Comment assurer un contrôle et un suivi d’un mis en cause, sans face à face avec l’agent désigné à cet effet ? Comment assurer le traitement judiciaire des demandes de protection, alors que les tribunaux sont fermés ? Comment permettre à une victime d’être assistée d’un conseil, hors les murs d’un cabinet d’avocat ?Comment poursuivre le renforcement de la formation continue des magistrats à la lutte contre les violences au sein du couple, sans pouvoir les réunir ?

C’est à toutes ces questions que les acteurs judiciaires et leurs partenaires tentent de trouver, au fil des jours de confinement, des réponses concrètes, avec le souci permanent de ne pas rompre la protection des victimes de violences intrafamiliales, accrue de surcroît par le contexte de l’enfermement domestique qui peut exacerber les manifestations de violences au sein du foyer.