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Le « crescendo juridictionnel » du déconfinement
Publié le 19 mai 2020
18 mai 2020
La réouverture des tribunaux depuis le 11 mai s'accompagne de mesures particulières de protection sanitaire comme d'une reprise progressive de l'activité des services. Reportage au tribunal judiciaire d'Evry, où comme dans chaque juridiction de France, les personnels et les justiciables s'adaptent aux nouvelles priorités de cette situation exceptionnelle.
Alors que s'ouvre l'audience de référés au tribunal judiciaire (TJ) d'Evry, la 1ère vice-présidente Karima Zouaoui précise : «désormais, nous appelons les affaires par groupes de cinq afin d'assurer le respect des mesures de distanciation sociale». Les avocats qui attendent leur tour, patientent dans le couloir, en file indienne. Ils ne tendent plus les documents directement à la magistrate mais les déposent sur une table prévue à cet effet afin d'en limiter la manipulation. Dans la pièce, comme dans la salle des pas perdus, un siège sur deux est marqué d'un panneau en interdisant l'usage. Tout le monde porte un masque, imposé dans l'ensemble des parties communes du bâtiment.
Pour les deux chefs de juridiction et la directrice de greffe, la reprise d'activité sera intimement liée au sentiment de sécurité que ressentiront les agents. Pour Benjamin Deparis, son président, « le grand défi de la reprise, c'est aussi le choc entrele redémarrage de l'activité interne, la gestion de l'activité non traitéeet une réouverture au public dont on ne maîtrise pasl'étendue ».
Pour limiter ces « incertitudes », il a donc été décidé de ne laisser entrer que les justiciables ayant une convocation, souhaitant déposer un dossier ou effectuer un recours. Ceux qui souhaiteraient des renseignements sont invités à passer par la voie téléphonique, et les avocats sont informés par voie électronique ou par les accueils communs des services. Pour filtrer les flux, des barrières imposent à l'entrée une file d'attente aulong de laquelle des marquages au sol indiquent les distances de sécurité à respecter. Afin d'offrir suffisamment de place et éviter les attroupements, le parking qui longe le bâtiment a été interdit d'accès. Deux flacons de gel hydroalcoolique accueillent également professionnels et justiciables dès leur arrivée.
Pour Caroline Nisand, procureur de la République près le tribunal judiciaire,« des masques réutilisables (4 par personne) ont été distribués dès le lundi 11 mai à l'ensemble des personnels ». Malgré des impératifs de livraison rallongés par les délais des fournisseurs locaux, les 90écrans de protection anti-postillons (EAP) en plexiglastransparent sont attendus très prochainement au tribunal judiciaire mais également dans les 4 tribunaux de proximité qui en dépendent.
Le message semble avoir été entendu : « nous avons constaté qu'environ 60% des personnels de greffe étaient revenus en présentiel dès le premier jour» se réjouit Geneviève Beguin, directrice degreffe, « et ce malgré les doutes qui planent encore sur la situation dans les transports ou les conditions de scolarisation des enfants. C'est un chiffre rassurant qui tient beaucoup à la clarté des mesures prisesen interne ainsi qu'à la communication qui en a été faite auprès de tous nos agents». Elle tient pour sa part à féliciter ses équipes de greffiers, qui ont été « très réceptives » aux nécessitésqu'imposaitle confinement et qui « ont toujours répondu présent ». Désormais, il faut toutefois penser l'après et « compenser » le retard accumulé. « Pour l'instant »,déplore-t-elle,« nous nous concentrons sur l'étude des stocks, mais il est certain que nous ne reviendrons pas à la normale avant le début de l'année prochaine ».
Très dépendantede l'évolution de la situation sanitaire, la reprise d'activité se fera « de façon progressive », prévient M. Deparis. Ce « crescendo juridictionnel» prendra plusieurs semaines, avec des étapes bien précises qui dépendront de chaque service. Ainsi, en matière pénale, Caroline Nisand fait valoir que les magistrats du parquet s'emploieront, comme pendant le confinement, à concentrer leurs efforts sur les procédures justifiantune comparution immédiate ou des mesures de contrôle judiciaire. Elle souligne que « la priorité a été donnée aux affaires de violences intrafamilialesqui ont connu une hausse préoccupante durant le confinement, du fait notamment de la proximité prolongée qu'il imposait aux ménages à risques ». « Durant cette période, nous avons procédé à deux fois plus de défèrements pour obtenir l'éviction du conjoint violent ou une interdiction de contact. Nous pressentons qu'avec le déconfinement, la courbe des violences conjugales continuera à progresser. N'étant plus obligées de résider sous le même toit que leur agresseur, de nombreuses femmes se sentiront plus libres de porter plainte ».
Retrouvez notre entretien avec Benjamin Deparis et Caroline Nisand, respectivement président et procureur du TJ d'Evry sur la manière dont s'est organisé le déconfinement dans la juridiction.