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F. Bayrou évoque dans Le Figaro la future loi antiterroriste
Publié le 12 juin 2017
François Bayrou a accordé le 9 juin 2017 une interview à Paule Gonzalès et Jean-Marc Leclerc du Figaro (reproduite ci-dessous) dans laquelle il présente les grandes lignes de la future loi antiterroriste destinée à permettre une sortie prochaine de l'état d'urgence. Il y déclare "qu'il est nécessaire de pouvoir lutter contre le terrorisme avec des armes adaptées. Mais qu'il faut le faire en apportant les garanties nécessaires aux libertés individuelles".
@ Paule Gonzalès et Jean-Marc Leclerc Publié le 09/06/2017
INTERVIEW - Le garde des Sceaux présente les grandes lignes de la future loi antiterroriste prévue pour sortir de l'état d'urgence.
LE FIGARO. - Pourquoi est-il si difficile de sortir de l'état d'urgence?
François Bayrou. - L'état d'urgence est une situation d'exception. Par nature, il est limité dans le temps. Première certitude: il est obligatoire d'en sortir un jour. Seconde certitude: on ne peut pas désarmer la société face à des menaces désormais particulièrement avérées et graves, au point qu'elles coûtent la vie, à peu près chaque semaine, à plusieurs de nos concitoyens français et européens. Comment les citoyens nous pardonneraient-ils de les abandonner à la menace? Je vous le dis: le gouvernement se montrera d'une extrême vigilance. Il doit prendre en compte une situation qui va durer des années. C'est cette menace qui nous oblige à envisager l'entrée dans le droit commun d'armes de lutte spécifiques contre les menaces terroristes.
Mais sortir de l'état d'urgence, concrètement, qu'est-ce que cela veut dire?
L'état d'urgence crée une situation d'exception qui permet à l'autorité administrative d'intervenir dans le domaine de la protection des libertés du citoyen. Donc, sortir de l'état d'urgence, cela veut dire que, dans tous les domaines autres que le terrorisme, les droits classiques des citoyens seront restaurés. L'action publique encadrée par le nouveau texte en préparation se concentrera sur le terrorisme selon des critères stricts.
Lesquels?
D'abord, il faut qu'il y ait des raisons sérieuses de penser que le comportement d'une personne est révélateur d'une menace d'une particulière gravité pour la sécurité publique.
«Je soutiens l'idée qu'il est nécessaire de pouvoir lutter contre le terrorisme avec des armes adaptées»
Ensuite, il faut que cette personne soit en relation avec des individus ou des organisations qui participent à des actes de terrorisme ou bien qui soutiennent ou encouragent le terrorisme. Ces deux conditions doivent être remplies. Tout cela est donc très encadré. On est loin du blanc-seing assez large que donne l'état d'urgence.
Mais cette loi antiterroriste qui doit prendre le relais, est-ce votre loi ou celle du ministre de l'Intérieur?
C'est le texte du gouvernement. Il y a eu dans la presse une fuite sur un état du texte. Mais le texte définitif n'est pas arbitré sur un certain nombre de points essentiels. Comme Ministre de la Justice, je soutiens l'idée qu'il est nécessaire de pouvoir lutter contre le terrorisme avec des armes adaptées. Mais qu'il faut le faire en apportant les garanties nécessaires aux libertés individuelles. Il faut pour cela assurer la sécurité des procédures qui encadrent l'action antiterroriste. C'est cet équilibre qu'il faut trouver. Le ministre de l'Intérieur et moi sommes ensemble les garants de cet équilibre.
Qu'y a-t-il dans votre projet de loi?
Le premier aspect ne souffre pas de difficulté: c'est l'instauration d'un périmètre de protection lors de grands événements de foule. Deuxième aspect: faciliter la fermeture des lieux de culte lorsque les propos qu'on y tient ou les théories qui y sont diffusées font l'apologie du terrorisme. Enfin vient la question des restrictions à la liberté de déplacement. Obligation de ne pas dépasser un certain périmètre, ou pose, avec l'accord de la personne, d'un bracelet électronique. Pour moi, à chaque fois qu'il y a restriction des libertés individuelles, il faut l'intervention d'un juge.
Mais quel juge, le judiciaire ou l'administratif?
Ce point n'est pas tranché. Nous attendons les remarques du Conseil d'État. Je vous rappelle les principes: lorsqu'il s'agit de prévention, c'est l'autorité administrative sous le contrôle du juge administratif ; lorsqu'il s'agit de privation, normalement, c'est le juge judiciaire qui entre en jeu.
Les magistrats et nombre d'associations dénoncent une loi où le préfet prendrait le pas sur le juge judiciaire. Que leur répondez-vous?
«Le Conseil constitutionnel est dans son rôle chaque fois qu'il défend les libertés publiques»
Le texte initial évoque, en matière de restriction de liberté, l'intervention du préfet. J'observe qu'aujourd'hui les assignations à résidence sont prononcées par le ministre de l'Intérieur lui-même. Aujourd'hui, il y a en tout et pour tout 68 personnes concernées par une mesure de restriction de liberté sur l'ensemble du territoire. C'est un très petit nombre de cas. La question qui n'est pas tranchée est celle du niveau de contrôle juridictionnel applicable. Quel qu'il soit, il faudra à ces juges une formation particulière. En effet, les éléments qui peuvent être mis à leur disposition ne sont pas tous des preuves constituées, mais souvent, des faisceaux d'informations provenant, par exemple, des services de renseignement.
Je défends donc un double système de protection des libertés: l'intervention du ministre de l'Intérieur du fait de la gravité caractérisée et un contrôle juridictionnel par des juges formés à ce type de sujets. Ce dispositif garantira intégralement à la fois les droits du citoyen, les libertés publiques et la protection de ceux qui sont exposés aux menaces afin qu'ils ne deviennent pas des victimes.
Il y a également la question de la diligence des perquisitions qui dans le texte initial relèverait là encore de la seule autorité du préfet. Qu'allez-vous défendre?
En tant que Ministre de la Justice, je pense que les perquisitions doivent d'abord s'inscrire dans un cadre judiciaire classique. Je ne suis donc pas un défenseur inconditionnel de procédures spécifiques. Mais nous travaillons sur la question des perquisitions administratives en lien avec le ministre de l'Intérieur et le Conseil d'État.
Vendredi matin, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de l'état d'urgence sur les interdictions de manifester. Comment garantir le respect de la Constitution?
Le Conseil constitutionnel est dans son rôle chaque fois qu'il défend les libertés publiques. Je suis également sûr qu'il prend en compte la gravité de la menace et le risque que constituerait une sortie de l'état d'urgence sans capacité à armer l'action publique et à lui donner les moyens de la protection du citoyen. Nous avons suffisamment de victimes - encore trois jeunes Français cette semaine à Londres - pour que l'on prenne garde à cet équilibre. Je suis déterminé à garantir les libertés publiques sans rien céder sur la protection. C'est un équilibre si difficile à assurer qu'il n'a pas été trouvé, on le voit bien depuis des années. Nous sommes déterminés à trouver cet équilibre.
Ne faut-il pas renforcer les moyens et revoir l'organisation de la justice antiterroriste?
Bien sûr que le renforcement de la justice judiciaire est à l'ordre du jour puisque nous avons une loi de programmation en préparation! J'ai bien l'intention de faire en sorte que cette loi réponde à ces interrogations. Et rapidement. En revanche, mon sentiment est que le parquet antiterroriste est très efficace, reconnu par les Français. Il convient naturellement d'en améliorer les moyens. Mais je n'ai pas l'impression que le chef de ce parquet et ses adjoints veuillent en augmenter particulièrement le périmètre. Car, là encore, il y a une question de qualification: entrer dans la subtilité et la complexité des questions de renseignement autour de l'antiterrorisme et de la connaissance des réseaux ne se fait pas en claquant des doigts. Ce sont des magistrats d'exception par le parcours qui est le leur.