[Archives] 17e Rencontres de la Gendarmerie

Publié le 16 novembre 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux à Montluçon

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Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur Général de la Gendarmerie Nationale,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Procureur Général,
Monsieur le commandant de l’Ecole de Gendarmerie,
Mesdames et Messieurs les Officiers,
Mesdames et Messieurs,

C’est la première fois qu’un ministre de la Justice participe aux Rencontres de la Gendarmerie à Montluçon. Je vous remercie très sincèrement de me donner l’occasion de saluer l’ensemble des forces de l’ordre qui contribuent avec courage, à chaque heure du jour et de la nuit, à assurer la sécurité publique et la prévention de la délinquance dans notre pays.
Je suis d’autant plus satisfait de cette opportunité qu’elle me permet d’aborder avec vous ces sujets graves que sont l’augmentation de la délinquance des mineurs, les violences urbaines, les violences contre les forces de l’ordre et la réforme de la Justice.

Si j’ai tenu à m’adresser à vous, c’est que je suis persuadé que, Justice comme Gendarmerie, nous sommes les éléments d’une même chaîne pénale.

Dans cette chaîne, chacun doit tenir pleinement son rôle dans le respect de ses attributions et de ses responsabilités, telles qu’elles sont définies par le code de procédure pénale.

Je sais pouvoir compter sur la rigueur et le dévouement de votre Arme et pour ma part, j’attends des autorités judiciaires qu’elles fassent preuve de détermination dans la mise en œuvre de la politique pénale.

Pour cela, le ministère public doit entretenir des relations régulières avec les acteurs institutionnels et participer aux dispositifs partenariaux de prévention et de traitement judiciaire des infractions, que ce soit dans le domaine de la sécurité routière, de la toxicomanie, de la délinquance des mineurs, de la discrimination ou du travail illégal.

Les procureurs de la République doivent assumer leur rôle institutionnel dans les dispositifs de concertation comme le comité départemental de sécurité, le conseil départemental de prévention et les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Ils doivent également l’assumer dans les dispositifs partenariaux à vocation opérationnels, tels les contrats locaux de sécurité, les cellules de veille ou de crise, les groupes territoriaux et les groupes locaux de traitement de la délinquance.

J’ajoute qu’il est de leur devoir et de leur intérêt de réunir fréquemment les chefs de services de la Gendarmerie ou de la Police Nationale pour exposer et expliquer leur politique pénale.

J’ai rappelé avec force ce message à l’ensemble des procureurs généraux et procureurs, réunis le 7 novembre dernier avec les Préfets et les Recteurs. Pour être efficaces et obtenir des résultats concrets, nous devons travailler ensemble autour d’objectifs communs. Ce n’est qu’à ce prix que les nouveaux défis de la délinquance pourront être effectivement combattus.

Pour réaliser sa mission, la Justice doit apporter une réponse à chaque infraction dont l’auteur est identifié et les peines doivent être effectivement exécutées dans des délais qui ne les privent pas de toute signification, tant pour les auteurs des infractions que pour leurs victimes.

Grâce à l’implication de ses personnels et à la création de réponses alternatives aux peines traditionnelles, le taux de réponse pénale a augmenté de plus de 10 points depuis 2002, la justice apportant désormais une réponse pénale dans 79 % des dossiers qui lui sont transmis. Je souligne que ce taux de réponse pénale s’élève à 87 % pour les mineurs.

Nos concitoyens et, je le sais, bien des officiers et agents de police judiciaire, ont pu être exaspérés par l’impunité dont semblaient jouir certains multiréitérents ou multirécidivistes qui cumulaient les condamnations avec sursis et restaient en liberté, narguant impunément enquêteurs et victimes.

Souhaitant tout à la fois concilier le principe constitutionnel de la personnalisation des peines et mettre un terme à cette dérive choquante, j’ai fait voter en décembre 2005, la loi relative à la récidive qui durcit les sanctions à l’égard des récidivistes :

• En limitant à deux le nombre de sursis avec mise à l’épreuve prononcée à l’égard d’un récidiviste, le sursis ne pouvant être prononcé qu’une seule fois en cas de violences volontaires.

• En prévoyant un mandat de dépôt systématique à l’égard des auteurs de violences commises en récidive, condamnés à l’emprisonnement, sauf décision spécialement motivée contraire du tribunal.

• En limitant les réductions de peines applicables aux récidivistes et en allongeant le temps d’épreuve pendant lequel le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine.

Nous devons maintenant laisser à cette loi le temps de faire ses preuves, d’autant plus que la généralisation des Bureaux d’Exécution des Peines dans l’ensemble des juridictions d’ici l’année prochaine nous permettra d’accélérer fortement l’application des décisions de justice.

Dans le même esprit, l’augmentation de la part prise par les mineurs dans la délinquance fait aujourd’hui débat. La délinquance des mineurs n’est pas pour moi un sujet tabou. Je suis résolu à la combattre vigoureusement, mais en respectant certains principes qui me semblent fondamentaux.

L’ordonnance de 1945 n’est pas intangible : elle a été modifiée plus de 22 fois depuis 1945.

Mais son socle, son esprit, que rappelle clairement une décision du Conseil constitutionnel de 2002, repose sur trois piliers : la primauté de l’éducatif, l’atténuation de la responsabilité pénale et la spécialisation de la juridiction des mineurs.

Je rappelle que l’excuse de minorité peut déjà être écartée par le juge dans certains cas. Mais c’est à lui d’en décider, cela ne peut lui être imposé par la loi.

Le projet de loi portant prévention de la délinquance, en cours de discussion à l’Assemblée Nationale, prévoit des dispositions concrètes qui nous permettront de lutter plus efficacement contre la délinquance des mineurs.

La fin de l’impunité passe par des procédures judiciaires plus rapides. C’est pourquoi je veux créer un dispositif de présentation immédiate des mineurs de 16 à 18 ans, encadré par des conditions précises.

Actuellement, un mineur dispose d’un délai de 10 jours avant sa comparution devant le Tribunal pour Enfants. Il aura la possibilité d’y renoncer, permettant ainsi de le juger à la première audience utile. Ainsi un mineur interpellé le matin pourra comparaître dans l’après-midi si le tribunal pour enfants est en mesure de se réunir.

Le parquet doit pouvoir développer encore davantage les alternatives aux poursuites, qui permettent d’éviter les classements « secs ». La composition pénale, applicable jusqu’à présent aux majeurs, le sera aux mineurs de 13-18 ans. Ainsi, le procureur de la République, lorsque les faits seront reconnus, proposera aux mineurs une mesure qui devra être validée par le juge des enfants. Le parquet recueillera le consentement du mineur et de ses représentants légaux.

Il faut également que les magistrats puissent placer plus facilement sous contrôle judiciaire les jeunes délinquants de 13-16 ans non connus. Actuellement, seuls les multirécidivistes peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire avec obligation de placement dans un Centre Educatif Fermé.

Les mineurs sans antécédents pourront donc désormais, lorsque la peine encourue est de sept ans d’emprisonnement, être astreints à des obligations du contrôle judiciaire.
Deux nouvelles formes en seront prévues : l’accomplissement d’un stage de formation civique et le suivi de façon régulière de la scolarité ou d’une formation professionnelle jusqu’à leur majorité. Ils seront placés dans un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse et seront sanctionnés par un placement dans un Centre Educatif Fermé, s’ils ne respectent pas leurs obligations.

En outre, les admonestations et les remises à parents seront limitées.

Chacun sait que le prononcé de mesures d’admonestation à répétition n’a pas grand sens et contribue à développer le sentiment d’impunité chez les mineurs. Il faut donc en limiter le nombre. C’est la crédibilité de la réponse judiciaire qui en dépend. Le projet de loi prévoit que, lorsque les mineurs ont déjà fait l’objet d’une admonestation ou d’une remise à parents pour une infraction identique commise moins d’un an avant la nouvelle infraction, ces mesures ne pourront à nouveau être prononcées.

Enfin, les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées pour les 10-18 ans seront élargies, notamment en prévoyant le placement du mineur dans une structure éloignée du contexte criminogène où se trouve le mineur. Les violences urbaines nous montrent, à chaque fois, que les mineurs doivent être écartés de l’influence des bandes qui exercent sur eux une influence néfaste.


Nous devons répondre avec une très grande fermeté aux violences urbaines et notamment aux agressions contre ceux qui représentent l’autorité.

Afin de maintenir l’ordre public et lutter contre ces violences urbaines, les forces de sécurité, les personnels de secours et les fonctionnaires effectuent un travail difficile pour les Français sur tout le territoire.
Ils doivent en être remerciés, mais ils doivent également être mieux protégés par la loi lorsque, eux-mêmes, deviennent la cible d’agressions ou l’objet de véritables guet- apens.

C’est pourquoi comme l’a rappelé le Président de la République, il faut poursuivre avec la plus grande sévérité les bandes de délinquants qui s’attaquent aux forces de l’ordre.

Pour cela, le 24 octobre 2006, j’ai adressé une circulaire aux Procureurs Généraux, rappelant mes instructions de politique pénale en matière de lutte contre les violences urbaines, notamment quand des actes violents sont commis à l’encontre des forces de l’ordre. Son contenu était clair :

  • Les auteurs de violences doivent être déférés dès que les faits sont caractérisés.
  • Les modes de poursuites, tels que la comparution immédiate ou la convocation par procès verbal avec réquisitions de placement sous contrôle judiciaire, pour les majeurs, ou la présentation au juge des enfants suivie d’une comparution à délai rapproché pour les mineurs, doivent être privilégiés.
  • A l’encontre des auteurs de troubles graves à l’ordre public, des multiréitérents ou des récidivistes, doivent être requises des peines d’emprisonnement ferme. Lorsque les décisions juridictionnelles sont contraires aux réquisitions du parquet, celui-ci doit exercer son droit d’appel.

Vous le voyez, mes instructions sont d’une grande fermeté. Je veux pourtant aller plus loin. C’est pourquoi je souhaite créer une infraction spécifique en cas de violences volontaires graves sur agent de la force publique commise avec arme en bande organisée ou avec guet-apens, qui sera punie de 15 ans de réclusion criminelle, au lieu de dix ans actuellement.

Il faut que les voyous qui s’attaquent aux forces de l’ordre, aux pompiers, aux agents de transports publics sachent que lorsqu’ils tendent un guet-apens ou s’organisent pour exercer des violences, ils risquent de se retrouver devant une cour d’assises.

Je souhaite également que l’on puisse punir les embuscades alors même qu’elles n’ont pas atteint leur cible et étendre la répression à tous ceux qui organisent ces embuscades.

Cette infraction permettra de sanctionner tous ceux qui se trouvent sur le lieu de l’embuscade, s’il est démontré qu’ils ont participé à sa préparation. Il sera difficile à un individu de faire croire qu’il se trouvait par hasard avec des pierres sur un toit avec d’autres jeunes, alors même qu’un appel aura fait venir la police ou les pompiers en bas de l’immeuble !

Je souhaite également aggraver les sanctions en matière de rébellion, en faisant passer le quantum de peine applicable de 6 mois à 1 an d’emprisonnement. Cette aggravation des peines permettra notamment d’appliquer aux mineurs ayant commis des faits de rébellion la nouvelle procédure de présentation immédiate.

Enfin je souhaite que ceux qui appellent à l’émeute et incitent les habitants d’un quartier à s’opposer à l’action de la police puissent être sanctionnés d’une peine d’emprisonnement de deux mois, et non pas d’une simple peine d’amende, ce qui permettra notamment de les placer en garde à vue.

Ma détermination à faire appliquer la loi est totale et vous pouvez compter sur moi pour protéger ceux qui la servent.

Le renforcement régulier et constant de l’efficacité de la procédure pénale doit s’accompagner d’un renforcement similaire des garanties judiciaires et des droits de la défense.

Le drame qu’a connu notre pays avec la récente affaire d’Outreau appelle des réponses et je suis décidé à réformer notre procédure en ce sens.

C’est la raison pour laquelle j’ai déposé trois projets de loi devant l’Assemblée nationale, qui devraient être adoptés avant la fin de la législature.

Ces textes tiennent évidemment compte des propositions faites par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Outreau. Ils ne négligent pas non plus les observations des organisations professionnelles de magistrats, d’avocats et de policiers, que j’ai consultées et écoutées, et dont certaines remarques m’ont conduit à modifier mon projet initial.

Le statut militaire de la Gendarmerie ne prévoit pas de représentation syndicale. Je voulais donc présenter personnellement les grandes lignes de mon projet aux représentants de votre Arme.

La réforme tend d’abord à lutter contre la solitude du juge d’instruction

Elle prévoit de confier les affaires les plus graves et les plus complexes, notamment les affaires criminelles, à des magistrats instructeurs regroupés, dans certaines juridictions, au sein de pôles de l’instruction, et qui pourront ainsi travailler en équipe.

Ces pôles permettront de favoriser le recours à la co-saisine, qui pourra être imposée par le président de la chambre de l’instruction. Cette réforme s’inscrit dans la continuité des réformes intervenues ces dernières années afin de spécialiser l’instruction pour certains contentieux, comme en matière d’environnement et de criminalité organisée, car la spécialisation est une garantie de compétence.

Cette réforme permettra de réduire les détentions provisoires excessives ou injustifiées.

Le critère du trouble à l’ordre public ne pourra plus être utilisé pour la prolongation ou le maintien en détention en matière correctionnelle.

Des audiences publiques pourront intervenir tous les six mois devant la chambre de l’instruction, afin d’examiner l’ensemble de la procédure.

Cette réforme renforcera les droits de la défense

La personne mise en examen pourra demander des confrontations individuelles et pourra contester sa mise en examen tous les 6 mois et après chaque notification d’expertise ou chaque interrogatoire.

De même, l’expertise pénale deviendra plus contradictoire : les parties seront informées de la décision du juge ordonnant une expertise.
Elles auront la possibilité de désigner un co-expert de leur choix et pourront faire des observations sur des rapports d’étapes ou sur des pré-rapports.

Le règlement des informations deviendra également plus contradictoire : l’ordonnance de clôture devra préciser les éléments à charge et à décharge à l’encontre du mis en examen.

Cette réforme améliorera, par ailleurs, la protection des mineurs victimes.

Leurs auditions devront systématiquement faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel ou sonore et ils seront obligatoirement assistés par un avocat quand ils seront entendus par le juge d’instruction.

Cette réforme renforcera enfin la crédibilité de la justice en la rendant plus transparente.

Vous le savez, je souhaite que l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires en garde à vue et devant le juge d’instruction soit obligatoire, afin de sécuriser les procédures en prévenant les éventuelles contestations.

Je connais les réticences et les inquiétudes des praticiens concernant ces dispositions.

Loin d’être une mesure de défiance à leur encontre, elles me semblent indispensables pour protéger les enquêteurs comme les juges de mises en causes infondées. Elles existent du reste dans d’autre pays, et même si leur adoption a donné lieu à de longs débats, elles sont maintenant très bien acceptées.

C’est notamment le cas en Angleterre, comme j’ai pu le constater il y a quelques mois. C’est également le cas en Italie. Au demeurant, afin de concilier cette garantie nouvelle avec l’efficacité des procédures, cet enregistrement ne sera prévu qu’en matière criminelle, et non en matière correctionnelle.

Par ailleurs, cet enregistrement pourra être écarté en cas de multiplicité d’interrogatoires simultanés ou en cas d’impossibilité technique dont le magistrat sera avisé.

En outre, il sera facultatif en cas de criminalité organisée et de terrorisme

Enfin, l’entrée en vigueur de ces dispositions est reportée quinze mois après la publication de la loi, afin de permettre aux services de police et de gendarmerie et aux juridictions de s’y préparer dans des bonnes conditions.

Cette réforme répond ainsi à l’attente des Français à la suite du drame d’Outreau, conformément à la demande du Président de la République.

Elle constituent une étape essentielle dans le rééquilibrage de notre procédure pénale, qui est le seul à même d’assurer l’efficacité de cette justice en ce qu’elle doit permettre de confondre et de condamner les coupables, tout en évitant de mettre en cause injustement les innocents.

Elle permettra à l’institution judiciaire d’intervenir de façon plus transparente et mieux comprise des justiciables, en examinant de façon plus complète et plus approfondie les procédures qui lui sont soumises, dans un plus grand respect des droits des parties, et spécialement des droits de la défense.

Elle permettra ainsi de poser les premières pierres des conditions d’un rétablissement durable du lien de confiance devant exister entre les citoyens et leur justice.

Je vous remercie de votre attention.