[Archives] 2nd rencontre européenne des praticiens de la justice des mineurs

Publié le 03 mars 2003

Discours d'ouverture par Dominique Perben

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10 minutes

Madame la Présidente de la Fondation pour l’Enfant
et la Famille, Madame Vardinoyannis,
Madame la Présidente de la Fondation pour l’Enfance, Madame Giscard d’Estaing,
Mesdames et Messieurs,



Je tiens tout d’abord à vous remercier, très sincèrement, Mesdames les Présidentes, de m’avoir convié à cette réunion exceptionnelle.

Cette rencontre est issue d’une initiative conjointe de deux institutions exemplaires de la société civile européenne, deux fondations qui oeuvrent chacune dans leur pays et maintenant à l’échelle de l’Europe, au service de ces deux causes que sont la Justice et la protection de l’enfance.

Or, vous le savez, cette année sera une année très importante pour la construction européenne, avec la Convention sur l’avenir de l’Europe, qui ouvrira de nouvelles perspectives à une Europe en voie d’élargissement.

Cette nouvelle architecture de l’édifice européen, quel que soit l’engagement de nos institutions et de nos gouvernements, ne portera ses fruits que si les citoyens, les associations, les fondations, notamment, s’engagent eux aussi activement dans cette construction.

Cette rencontre apportera donc votre pierre à cet espace judiciaire européen qui est la réalisation d’une grande promesse du Traité de Rome : la liberté d’aller et venir partout en Europe, pour tous les citoyens de l’Union et ceux qui y résident.

Ce chantier exaltant intéresse naturellement le citoyen de l’Europe, car il est le premier concerné.

Mais la mise en œuvre de cette liberté fondamentale pose aux citoyens, comme aux juges et aux politiques, deux défis qu’il est de notre responsabilité commune de relever.

Le premier est celui de la sécurité. Et, tout d’abord de la sécurité des personnes. Vous ferez aujourd’hui progresser, j’en suis convaincu, la sécurité des plus vulnérables d’entre elles, les enfants. Car il ne faudrait pas que la liberté de circulation soit d’abord celle des activités criminelles au sein d’une Europe qui change de dimension.

Le second défi est lié à nos systèmes de droit, plantés au cœur des traditions culturelles de nos Nations. Leur harmonisation, ou même leur simple rapprochement, pour nécessaires qu’ils soient, sont beaucoup plus complexes qu’en matière économique, par exemple, car on touche en matière pénale à l’un des fondements de la souveraineté nationale. Cela interdit toute vision unifiante trop simpliste et nécessite la construction patiente d’une relation de confiance entre ceux qui, dans chaque pays, sont chargés de dire le droit ou de mener des enquêtes.

C’est précisément, me semble-t-il, ce que cette rencontre d’aujourd’hui réussit : réunir, en présence des ministres en charge des questions de sécurité et de justice au titre de la présidence de l’Union, plusieurs dizaines de praticiens des quinze pays membres pour faire avancer concrètement l’échange d’informations et de bonnes pratiques, tisser des liens personnels entre magistrats, policiers et juristes, pour mieux protéger les enfants européens : tel est en effet le visage humain, quotidien et concret que vous donnez à l’Europe de la justice.

C’est d’autant plus utile que l’Europe du droit ne cesse de marquer de nouveaux progrès, que n’auraient sans doute même pas osé envisager les rédacteurs des traités fondateurs.

Je pense à des avancées telles que la suppression des frontières intérieures, l’intensification de la coopération policière au sein d’Europol et celle de la coopération judiciaire au sein d’Eurojust.

Mais ces avancées ne prendront tout leur sens pour l’opinion publique européenne que si l’on peut résoudre simplement et concrètement des problèmes comme ceux des couples mixtes, pour prendre un exemple en matière civile, où la présidence grecque de l’Union Européenne peut remporter un très important succès pour les citoyens européens.

Je pense en particulier, à l’accord politique, dans lequel je me suis personnellement engagé, sur les enlèvements internationaux d’enfants, obtenu à Bruxelles le 29 novembre dernier, sur l’impulsion de la France et de l’Allemagne.

La Justice doit évidemment et en premier lieu garantir la protection de l’enfant.

Dans les cas, toujours très douloureux, de séparations parentales conflictuelles, elle doit veiller à ce que l’enfant ne devienne en aucune façon « l’otage » des parents. L’action –et, dans certaines circonstances, l’inaction - de la Justice peut être ici particulièrement lourde de conséquences sur la vie des enfants.

Cette difficulté est, nous le savons tous, toujours problématique dans un cadre national. Elle est encore accrue pour les couples binationaux. Elle n’est évidemment pas seulement de nature juridique, puisqu’elle tient sans doute au fond autant aux différences de droit qu’à la diversité des cultures.

Comme vous venez de le rappeler, Madame la Présidente, les enlèvements parentaux transfrontières étaient l’un des thèmes de la première rencontre européenne qui s’est tenue à Paris en Novembre 2000, à l’invitation de la Fondation pour l’Enfance.

Dix-huit mois après, la protection des enfants des couples déchirés de l’Europe peut marquer un grand pas grâce à l’accord que je viens d’évoquer, s’il est scellé par un règlement communautaire. J’espère que ce texte pourrait être adopté d’ici à la fin du premier semestre 2003.

Pour atteindre cet objectif, la Présidence Grecque bénéficiera de l’entier soutien de la France.

Ainsi, l’Europe de la justice doit contribuer à améliorer la vie quotidienne des citoyens européens et de leurs enfants.

Des enfants qui sont aujourd’hui unanimement reconnus comme sujets de droits universels. Des enfants qui, vous le savez pour le vivre au quotidien, sont encore trop souvent des victimes.

L’humanité ne pourra se prévaloir d’avoir fait progresser les Droits de l’Homme tant qu’elle n’aura pas réduit le fléau des violences faites aux enfants et réussi à faire respecter leurs droits fondamentaux.

La Convention des Nations Unies sur les droits de l’Enfant exprime une volonté universelle de ne plus laisser faire. Cette volonté est naturellement aussi portée en Europe par les pouvoirs publics, les responsables politiques, les professionnels que vous êtes et les acteurs importants de la société civile que sont les associations et les fondations.

Elle nous engage à agir, à être efficaces, à nous mettre au chevet de l’enfance meurtrie, de l’enfance mutilée, traumatisée. De l’enfance qui souffre et qui souffre encore trop souvent dans le silence.

Je suis convaincu que vos travaux seront particulièrement utiles pour donner une nouvelle impulsion à l’efficacité de l’action de la justice contre ces nouvelles formes de criminalité, qui menacent les enfants de l’Europe.

Je souhaite que vos expériences et vos analyses débouchent sur des réflexions et des propositions qui vous aideront, avec vos collègues, à rechercher des dénominateurs communs dans la lutte contre ces nouvelles menaces.

Vos échanges porteront tous leurs fruits s’ils aident aussi les Etats, l’Union Européenne et les Organisations Internationales, à mieux assumer leurs responsabilités dans la lutte contre ces réseaux, qui se déploient, dans le monde virtuel comme dans le monde réel, en se jouant des frontières.

Cette volonté est aussi celle de la France.

Vous me permettrez, sans empiéter naturellement sur vos propres travaux, d’en donner quelques exemples concernant les deux thèmes de votre journée.

Ces deux thèmes ont en effet en commun d’illustrer les défis nouveaux auxquels sont confrontées les justices et les polices de l’Europe face à des réseaux qui utilisent, avec une redoutable efficacité, toutes les ressources des technologies et de la mobilité internationales. Des réseaux qui pervertissent les libertés nouvelles qu’apportent ces technologies et cette mobilité.

L’internet peut être, en effet, la meilleure ou la pire des choses.

Il permet des échanges extrêmement rapides, quasi instantanés, d’un bout à l’autre de la planète, comme au coin de la rue. Des échanges d’idées, de produits, de services, de messages et de correspondances de toute nature, via le courrier électronique. Ce sont autant de possibilités d’expressions nouvelles, et de contacts nouveaux, y compris au sein des familles. Autant de progrès. Autant de libertés.

L’e-mail, les chats permettent de tisser de nouveaux liens, de rencontrer de nouveaux amis non seulement dans le monde virtuel qui est celui d’internet mais aussi dans le monde réel. Les jeunes, les adolescents, les enfants en sont très friands.

Ils encourent de ce fait de nouveaux dangers, car la pédophilie et la pornographie prospèrent sur Internet, mais aussi le terrorisme, l’appel au meurtre et toutes sortes d’atteintes intolérables à la dignité de l’humanité. Vous êtes particulièrement bien placés, vous qui êtes en première ligne, pour en apprécier les ravages.

Et le droit de l’Internet, le droit de cet espace sans frontière est en cours de construction. Quels que soient les efforts, les progrès que nous faisons et les responsabilités que nous devons assumer au niveau national, nous ne pouvons pas à l’évidence, nous en tenir dans ce domaine à la seule législation nationale. Je sais que vous êtes particulièrement sensibilisés à ce problème.

C’est au niveau européen, voire mondial, que nous devons avoir les mêmes pratiques, les mêmes approches, que nous devons définir des infractions communes et nous donner les moyens de les sanctionner par une coopération policière et judiciaire approfondie.

Ce n’est pas utopique. Cette rencontre en apporte la preuve.
La législation française, quant à elle, comporte déjà un arsenal conséquent pour réprimer la pédo-pornographie. J’ai souhaité qu’il soit mis en œuvre de manière efficace. C’est l’objet de la directive de politique pénale que je viens d’adresser à la fin du mois de Janvier à tous les Procureurs.

Je relève d’ailleurs avec intérêt que certains Parquets, en particuliers ceux de Paris et de Versailles, ont développé des pratiques efficaces et innovantes comme la désignation, au sein de chaque Parquet, d’un magistrat référent, chargé des questions de cybercriminalité.

Sur Internet, comme dans le monde réel, je suis convaincu qu’il ne peut y avoir d’actions efficaces que coordonnées.

Il faut sans doute créer des occasions plus fréquentes de dialogue, des circuits plus opérationnels, des échanges d’informations plus rapides, entre tous ceux qui sont confrontés à ces nouvelles criminalités.

C’est pourquoi je crois beaucoup à des solutions opérationnelles, nouvelles, comme la création, mise en œuvre là aussi à Paris et Versailles, d’un groupe restreint composé des magistrats référents et des spécialistes des différents services (office central, brigade des moyens frauduleux de paiement, IRCGN…), chargés de repérer des faits pouvant justifier une intervention judiciaire, de mettre au point des protocoles d’enquête et de procéder à une analyse a posteriori des dossiers traités.

La diffusion de l’information et la formation des professionnels sont pour moi essentielles.

La première session de formation continue, consacrée spécifiquement à Internet et aux atteintes à la dignité humaine, a eu lieu en Septembre 2002 à l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Je tiens à ce que ce type de sessions soit développé, non seulement en formation continue mais aussi en formation initiale des magistrats.

Outre la recherche d’une meilleure efficacité dans l’application de la loi existante, je tiens à vous annoncer que le projet de loi relatif à l’adaptation des moyens de la justice aux évolutions de la criminalité, que je présenterai très prochainement au Parlement français permettra de réprimer plus sévèrement les réseaux de pédophilie et de pédo-pornographie.

Ainsi, la corruption de mineurs et la diffusion d’images à caractère pornographique par le biais d’Internet seront punies de peines pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement au lieu de cinq ans jusqu’à présent.

Les moyens d’investigation seront également renforcés par ce projet de loi. De nouvelles techniques de surveillance et d’infiltration seront rendues possibles.

Enfin, ce projet de loi renforcera la protection des victimes, ce qui est absolument essentiel. Les victimes sont ainsi replacées au cœur de l’action de la justice. J’ajoute que des mesures seront prises afin d’assurer le respect des interdictions de rencontrer des enfants par les condamnés pour des faits d’agressions sexuelles.

Ce dispositif nous permettra, j’en suis certain, d’avancer dans le sens de ce que j’appellerai la cybervigilance.
Cette cybervigilance se développe au niveau international. Elle se développe également en France grâce notamment au site internet interministériel qui est le fruit d’un groupe de travail piloté par le Ministère de la Justice [ le site www.internet-mineurs.gouv.fr ] .

Ce site est entièrement dédié à la protection des mineurs sur Internet et à la lutte contre les réseaux incitant à la pédophilie. Il contribue à informer les citoyens, particulièrement les parents mais aussi les enfants – sur les risques inhérents à l’Internet, ainsi que sur les outils dont ils disposent pour y faire face.

Ce site permet en particulier un signalement (éventuellement anonyme) de sites ou d’autres services en ligne ayant permis la diffusion d’images de mineurs à caractère pornographique ou de messages favorisant la corruption de mineurs. Les signalements sont enregistrés dans une base de données gérée par l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication. Ce service peut transmettre, après avoir effectué des vérifications, les signalements aux services de police et de gendarmerie.

Le Parquet du lieu où l’internaute a constaté l’existence de ce site est compétent pour traiter la procédure.

J’ai demandé un bilan du traitement de ces signalements.

Je veillerai également à ce que le nouveau site Internet destiné à la jeunesse du ministère français de la justice propose des conseils et des informations aux jeunes. Ce nouveau site, dont je souhaite qu’il soit opérationnel au mois de Septembre, aura ainsi un rôle essentiel à jouer en matière de prévention.

Cet impératif de prévention doit aussi être étendu à la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales qui fera l’objet de vos travaux de cet après-midi.

D’une manière générale, je tiens à souligner l’importance de l’accompagnement des enfants victimes, et tout particulièrement de ceux qui peuvent tomber aux mains de ces réseaux très organisés, contre lesquels il vous faut lutter avec beaucoup de courage et de détermination.

Le drame de la prostitution enfantine touche de manière croissante des mineurs étrangers, dont l’arrivée sur le territoire français est le plus souvent irrégulière. Mais, il est particulièrement difficile de mesurer l’ampleur exacte d’un phénomène qui de manière cyclique touche de grandes villes françaises. Ainsi, en 2001, on assistait à une recrudescence du phénomène à Paris, les associations de protection de l’enfance estimant qu’une centaine de mineurs était livrée à la prostitution, principalement originaires d’Afrique ou d’Europe de l’Est, et plus particulièrement de Roumanie.

Ces enfants sont aussi des victimes. Les plus faibles, les plus vulnérables des victimes. Ils doivent donc bénéficier d’une attention et d’une vigilance toute particulière de la part des professionnels de la justice que vous êtes.

Une justice européenne, une justice plus efficace, une justice qui agit au quotidien pour protéger nos enfants de ces nouveaux dangers.

Je tiens à vous rendre hommage, à vous tous qui accomplissez avec beaucoup de courage, d’engagement et d’humanité cette tâche délicate, mais essentielle.

Soyez en remerciés.