[Archives] 7ème rencontre des associations de victimes

Publié le 06 juillet 2007

Intervention de Mme Rachida Dati, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice - Ecole des officiers de gendarmerie de Melun

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9 minutes

Madame la Ministre,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureuse d'assister à cette rencontre.

 

Cette journée a été souhaitée par Nicolas Sarkozy en 2003, alors qu'il était Ministre de l'Intérieur. Vous le savez, la volonté du Président de la République est entière sur le sujet, et j'ai pleinement conscience de la politique d'envergure qu'il faut mener pour replacer la victime au cœur de notre système judiciaire.

 

Vous connaissez mieux que quiconque les conséquences et trop souvent définitives de la violence !

Vous savez que les victimes, ce ne sont pas les autres, ce ne sont pas des malchanceux qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment.

Non, la victime, cela peut être chacun d'entre nous, un parent, un proche. La violence peut briser une vie ou détruire une famille.

 

Je connais l'importance du travail que vous fournissez sur le terrain, aux côtés des victimes. En 2006, 190.000 personnes ont été accueillies informées dans les permanences d'accueil de victimes. Cette mission d'écoute est essentielle. Je sais également que vous êtes une force de proposition.

 

Je serai toujours à votre écoute. Les services de mon ministère seront toujours à votre écoute.

 

La justice doit jouer son rôle pour prévenir la violence

 

La politique de lutte contre la délinquance menée depuis 2002 a porté ses fruits. La délinquance a baissé de 9,4% en cinq ans. Cela signifie, qu'en cinq ans, 1 153 000 victimes ont été épargnées.

 

Des nouveaux outils ont été développés.

 

Je prendrai deux exemples.

 

Nous avons créé un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles. Ce fichier est opérationnel depuis 2005. Il permet d'éviter le renouvellement des infractions sexuelles. A ce jour, ce fichier traite près de 38.000 dossiers. Ce sont aussi depuis sa création 410.000 consultations par les personnes habilités à le faire.

 

Quant au fichier national automatisé des empreintes génétiques, vous le savez, il est en constant développement. Au 30 juin 2007, 515 630 profils sont gérés par la base dont 140 870 profils de condamnés.

 

Le ministère de la justice a mis en place la procédure d'alerte enlèvement en février 2006 lorsqu'un enfant est enlevé. Cette procédure a été utilisée à trois reprises. Avec l'aide des média, cinq enfants ont été retrouvés. Le 13 janvier dernier, c'est un bébé de 18 jours, le petit Bilel, qui a été sauvé grâce à un usager du RER alerté par la diffusion du message.

 

Je souhaite poursuivre cet effort.

En luttant contre la récidive.

La récidive n'est pas un phénomène marginal. Il suffit pour en prendre la mesure de considérer les chiffres. Ils parlent d'eux-mêmes :

Entre 2000 et 2005,

le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et délits a augmenté de près de 70 %.

  • De plus de 145 % pour les crimes et délits violents.
  • 30% des mineurs condamnés récidivent dans les cinq années qui suivent.

Nous ne pouvons rester sans rien faire face à cette augmentation. Nous le devons aux victimes de ces délinquants qui ne peuvent pas comprendre que la justice ne réagisse pas.

 

Le projet de loi adopté hier par le Sénat met en œuvre des engagements clairement exprimés lors de la campagne présidentielle.

Il renforce la lutte contre la récidive et la multirécidive, tant pour les majeurs que pour les mineurs.

Il le fait particulièrement pour les infractions de nature sexuelle.

 

Le premier volet de ce texte :

Il instaure des peines minimales d'emprisonnement dès la première récidive applicables tant aux majeurs qu'aux mineurs.

 

En cas de seconde récidive, c'est-à-dire lorsqu'une personne commet pour la troisième fois des crimes ou des délits violents, la loi sera encore plus ferme.

 

Face à un récidiviste, le tribunal correctionnel sera tenu de motiver le choix de la peine lorsqu'il décide de prononcer une peine en deça de la peine minimale.

 

Le deuxième volet de ce projet de loi concerne les mineurs.

 

Un mineur de plus de 16 ans qui aura commis deux vols avec violence et qui en commettra un troisième encourra désormais les mêmes peines qu'un majeur.

 

Le troisième volet de ce projet concerne le suivi médical et psychiatrique nécessaire aux personnes condamnées en particulier pour des infractions de nature sexuelle.

Le recours à une injonction de soins sera obligatoire dès lors qu'une expertise aura conclu à une possibilité de traitement.

Les détenus seront incités fermement à se soumettre aux soins et ce sera un préalable à la possibilité de bénéficier d'une libération.

 

Ces soins sont nécessaires pour garantir que ces délinquants, et notamment les délinquants sexuels, ne récidiveront pas et ne briseront pas la vie d'une autre victime.

Je souhaite également lutter plus fermement contre la délinquance des mineurs.

 

La délinquance des mineurs augmente. Elle est de plus en plus violente. Elle concerne des tranches d'âge de plus en plus jeunes.

 

En 5 ans, le nombre de mineurs condamnés pour des délits de violence a augmenté de près de 40%.

 

En 2006, la part des mineurs dans le total des personnes mises en cause pour l'ensemble des crimes et des délits est de 18%. Elle s'élève à 45% pour les vols avec violence.

 

Nous ne pouvons pas laisser se développer le sentiment d'impunité.

 

J'ai ainsi décidé d'adresser aux parquets une circulaire d'action publique en matière de délinquance des mineurs. Elle prône un principe simple « une infraction - une réponse ».

 

Cette fermeté, nous la devons aux victimes.

 

Mais elle sert également les mineurs. 80% des mineurs sanctionnés ne récidivent pas. Appliquer rapidement une sanction, c'est éviter que des violences puissent se renouveler.

 

Je souhaite enfin lutter contre les discriminations.

La discrimination est une réalité pour beaucoup de nos concitoyens.

Je rappelle quelques faits qui doivent nous faire réagir :

  • A diplôme et compétences égales, un handicapé a 15 fois moins de chance de décrocher un entretien qu'une personne non handicapée;
  • un homme d'origine étrangère, 5 fois moins ;
  • un homme âgé de plus de 50 ans, 4 fois moins ;
  • une femme avec 3 enfants, près de deux fois moins.

Les victimes ont souvent peur de témoigner. Elles ont souvent du mal à apporter la preuve de la discrimination.

 

La justice ne peut pas rester aveugle aux souffrances que rencontrent ces victimes.

 

C'est pourquoi je souhaite créer dans tous les parquets un pôle anti-discrimination. Il y aura un magistrat référent et un délégué du Procureur de la République dédiés à la lutte contre les discriminations.

 

Le magistrat référent devra aller sur le terrain pour prendre toute la mesure des difficultés. Il s'appuiera sur des délégués du procureur impliqués dans la lutte contre les discriminations.

 

Ces pôles anti-discrimination susciteront des signalements. Ils devront aussi accompagner les victimes de discrimination.

 

Car l'accompagnement des victimes est aussi un enjeu essentiel.

 

La justice doit soutenir les victimes

 

Les progrès qui ont été accomplis ces dernières années ont été importants.

 

La loi d'orientation du 9 septembre 2002 et la loi du 9 mars 2004 ont renforcé notablement l'accès au droit et l'information des victimes.

 

Elles ont permis aux victimes d'obtenir la désignation d'un avocat dès le début de la procédure. Elles ont permis aux victimes d'être informées des motifs de classement sans suite. Elles ont permis l'octroi de l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources pour les victimes des crimes les plus graves.

 

La loi du 9 mars 2004 et la loi du 12 décembre 2005 relative à la prévention de la récidive ont également donné une vraie place à la victime au stade de l'exécution des peines. L'avocat de la partie civile peut présenter ses observations devant les juridictions de l'application des peines lors de l'examen d'une demande de libération conditionnelle.

 

Dans le même temps, l'amélioration de la prise en charge sanitaire, sociale et psychologique de la victime et le renforcement de la lutte contre les violences faites aux personnes les plus vulnérables se sont affirmés comme des priorités.

 

Mais je souhaite aller plus loin.

 

Je ne veux pas que les délinquants aient plus de droits que les victimes. La victime doit compter plus que le délinquant. Elle doit avoir des droits propres qu'elle doit pouvoir pleinement exercer.

 

Parce que la victime est une personne en souffrance, nous devons en premier lieu, la respecter et lui donner cette considération à laquelle a droit tout être humain et que l'infraction est venue nier. L'injustice, c'est quand une société ignore ses victimes.

 

Je veux axer mon travail autour de 3 priorités :

  • Sécuriser les victimes :

Du fait de la routine, du fait d'une absence de remise en cause des habitudes, les institutions répondent souvent de façon inadaptée aux attentes des victimes.

Nous devons chercher à améliorer sans cesse l'écoute des victimes.

  • Respecter les victimes

Le sentiment de sécurité passe par le respect de l'autre.

C'est un point essentiel de l'action que j'entends mener en renouvelant les modalités de lutte contre les situations les plus injustes.

Le droit à la parole, l'audition de la victime en Justice, un accès facilité à l'information sur l'évolution de la procédure sont des nécessités. Vos associations connaissent l'importance de ces questions.

  • Informer et expliquer :

Trop souvent encore, les victimes font part de leur incompréhension face aux complexités des procédures judiciaires. Il s'agit aussi bien de la répression que de l'indemnisation. Il faut lutter contre cette incompréhension.

 

Nous ne pouvons pas laisser les victimes désemparées face à l'institution judiciaire.

 

Là encore, le rôle que vous jouez est fondamental. Le soutien que vous apportez, jour après jour, aux victimes et parfois tout au long de la procédure, est le meilleur moyen de répondre à ces défis.

A ce titre, il conviendra de nous interroger sur les possibles évolutions de votre représentation et de votre rôle aux seins de différents organismes, je pense ici en particulier au Conseil National de l'Aide aux Victimes (CNAV).

 

Ainsi, je ne vois pas à quel titre les représentants des collectivités locales seraient plus à même de siéger au CNAV que vos associations. Je souhaite donc que, sous une forme ou sous une autre, vous puissiez y apporter votre expérience et vos réflexions en y participant directement.

 

Mais l'institution judiciaire doit également répondre à ces enjeux.

 

C'est à cet objectif que répondra la création du juge délégué aux victimes, à compter du 1er septembre 2007.

 

La mise en place de ce juge marquera de façon lisible, la prise en compte des victimes par l'institution judiciaire et permettra à celles-ci d'être reçues par un magistrat et par ses collaborateurs qui seront à leur écoute.

 

Cet accueil est essentiel pour les publics en difficultés qui ne maîtrisent pas la communication « à distance » et éprouvent des difficultés à formuler leurs demandes même lorsqu'ils sont assistés par un conseil.

 

Le juge délégué aux victimes aura pour principales missions de :

  • Remédier à la dispersion des actions et des responsabilités en guidant la victime dans les méandres de l'institution judiciaire ;
  • Veiller à la qualité de la réponse judiciaire dans tous ses aspects qu'il s'agisse :

- de la protection de la victime après la libération du condamné.

Par exemple, il s'agira de recueillir la volonté de la victime d'être informée des modalités d'exécution de la peine d'emprisonnement ainsi que du suivi de cette volonté.

- de veiller à l'indemnisation par le condamné ou par les dispositifs existants.

En matière d'indemnisation, il y a lieu là encore de ne pas inverser les rôles. Certes, la victime doit s'impliquer dans les démarches d'indemnisation qui participent bien souvent à sa reconstruction. Cependant cette demande ne doit pas être le parcours du combattant et ajouter à la peine légitime de la victime des tracas supplémentaires.

 

Tant que je serai ministre, je ne considèrerais jamais qu'il appartient à la victime de faire le travail de l'administration judiciaire. Ce n'est pas à la victime de rechercher son dossier dans les méandres des procédures.

 

J'ai donc demandé à mes services d'étudier rapidement la possibilité de mettre en place un service d'aide au recouvrement des dommages et intérêts. Les victimes pourraient ainsi se voir proposer une aide au recouvrement par un service spécialisé les dispensant par exemple de l'avance de frais.

 

Vous l'aurez compris, par cette nouvelle fonction de juge délégué aux victimes, il s'agit de se tourner vers les attentes des victimes.

 

Je pense à ces femmes victimes de violences conjugales. Elles ont parfois peur de demander l'exécution d'un jugement, peur de donner leur nom à l'avocat du condamné, peur de se faire connaître et de s'exposer ainsi au regard de tous ou aux représailles.

 

Ces femmes sont marquées par ce qu'elles ont subi. Elles revivent leur drame au moment de l'audience.

 

Elles ne doivent donc pas vivre un nouveau drame au moment de l'exécution de la condamnation.

L'objectif est clair. La complexité de la justice ne doit pas laisser de côté les victimes. Le juge délégué aux victimes doit être leur interlocuteur. Il doit les restaurer dans leurs droits et leur dignité.

*

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire après avoir pris mes fonctions au sein du ministère de la justice.

 

Il ne s'agit que de premiers chantiers. J'examinerai avec attention vos propositions issues de vos travaux.

 

Mais je veux vous assurer que je veux développer une véritable politique en direction des victimes.

 

Il s'agit pour moi d'un enjeu essentiel car il concerne l'ensemble de la société. Chacun d'entre nous a été ou peut être une victime. Chaque français est solidaire des personnes qui souffrent de la violence.

 

Je vous remercie de votre attention.