[Archives] 88ème Congrès Maires et Présidents de Communautés de France

Publié le 23 novembre 2005

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Maires et Présidents de Communautés,

Je voudrais sincèrement vous remercier de votre invitation et vous dire tout le plaisir que j'éprouve à m'exprimer devant les Maires et les Présidents de Communautés à l'occasion de votre 88ème Congrès.

Ma nomination comme Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, ne me fait pas oublier en effet mes anciennes responsabilités de maire.

Comme pour vous qui les exercez aujourd’hui, elles ont été pour moi hier synonyme d'engagement, de contacts et de passion au service de nos concitoyens et au plus près de leurs préoccupations.

Je voudrais dire à tous les élus ici présents que je n'ai pas oublié cette période.

Leurs attentes, leurs interrogations ont été les miennes. Je souhaite, dans mes fonctions actuelles, m'employer à y répondre.

Ce qui fait tout l'intérêt, mais aussi toute la difficulté des fonctions municipales, c'est leur extraordinaire diversité. Même en s’en tenant aux fonctions qui sont en rapport direct avec la Chancellerie, le maire est tout à la fois officier d'état civil et officier de police judiciaire.

En outre, comme autorité de police administrative, il a devoir d'assurer la sécurité des habitants de sa commune, ce qui implique des relations étroites avec d'autres acteurs publics, au rang desquels figurent, bien évidemment, les procureurs de la République.

Ces quelques aspects des pouvoirs des maires embrassent l'ensemble des thèmes de votre Congrès.

Ainsi ce matin, votre atelier était consacré à la question du Maire agent de l'Etat et vos attributions d'officier d'état civil, exerçant sous l'autorité des parquets, s'inscrivent pleinement dans ce champ.

Je sais combien les services d'état civil des communes ou les secrétariats de mairie peuvent être mobilisés pour assurer cette tâche.

Qu'il s'agisse de faire obstacle à la pratique des mariages blancs ou d'être conseillé sur les règles applicables à la transmission du nom de famille depuis la loi du 4 mars 2002, je peux vous assurer que vous trouverez appui et soutien auprès des services civils des parquets qui doivent être vos interlocuteurs privilégiés.

Vous savez que la pratique des mariages de complaisance, qui peut cacher des réseaux de criminalité organisée et d’immigration clandestine, est sanctionnée de peines dissuasives depuis la loi du 26 novembre 2003, reprises désormais dans l’article L 623-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers.

Les parquets sont résolument impliqués dans cette lutte contre l’exploitation de la misère humaine où les réseaux n’hésitent pas à demander aux candidats au mariage de nationalité étrangère des sommes pouvant dépasser 10 000 euros.

Les procureurs de la République ont besoin de votre connaissance du terrain, pour être alertés suffisamment tôt et exercer leur pouvoir d’opposition à mariage, récemment renforcé par la loi du 26 novembre 2003 que je viens d’évoquer.

Une circulaire du 2 mai 2005 leur rappelle les indices permettant de suspecter le défaut d’intention matrimoniale sincère et énumère l’ensemble des vérifications auxquelles les officiers d’état civil que vous êtes doivent procéder.

Je ne peux qu’insister sur l’importance de ces vérifications, notamment celles réalisées à l’occasion de l’audition préalable des futurs conjoints, afin de donner à ce dispositif une peine efficacité.

Demain, vous consacrerez vos débats au thème du Maire et de la sécurité publique, sujet d'incessante actualité, certes, mais qui a connu une acuité supplémentaire ces jours derniers avec les violences urbaines.

Je veux rendre hommage à tous les maires qui ont été confrontés à ces violences et qui ont, à cette occasion, su démontrer leur implication sur le terrain. Ils ont tenu toute leur place, aux côtés des autorités administratives et judiciaires, pour contribuer à l'apaisement des tensions.

Ce moment de crise aiguë est maîtrisé pour l’heure. Il devra, évidemment, rester à l'esprit de tous lorsque, au quotidien, vous travaillerez avec l'institution judiciaire au sein des instances de coopération pour prévenir et lutter contre la délinquance.

Votre rôle dans les politiques locales de sécurité et de prévention est désormais incontournable. C'est pour vous permettre de l'exercer pleinement que la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a défini, dans un nouvel article du Code Général des Collectivités Territoriales, les conditions dans lesquelles le procureur de la République peut répondre à votre besoin légitime d'information.

Désormais, vous le savez, le procureur peut porter à votre connaissance les éléments de nature judiciaire qui doivent vous permettre de remplir vos missions de prévention, d'accompagnement et de suivi social.

En contrepartie, vous êtes liés par un devoir de confidentialité.

Cette réforme législative s'est accompagnée de la diffusion, à la fin de l'année 2004, d'un code de bonne conduite sur la circulation de l'information entre maire et ministère public. Ce guide a été élaboré par la Chancellerie et l'Association des Maires de France qui ont travaillé en étroite symbiose.

Je sais, d'ores et déjà, que ces mesures ont contribué à accroître les contacts entre les élus et les procureurs et que les moments d'informations et d'échanges se sont multipliés.

Je souhaite aller plus loin et mettre en place, au sein de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, un groupe permanent de concertation qui pourra aborder ces questions ainsi que celles touchant à la prévention de la délinquance.

Je rappellerai par ailleurs aux parquets cette obligation d’informer les élus le mieux possible.

Maires et magistrats du ministère public ont des missions différentes mais complémentaires. Ils doivent poursuivre un objectif commun de décloisonnement, dans le respect de leurs prérogatives et de leurs devoirs respectifs, au bénéfice de la sécurité de tous.

J'en viens maintenant à la question qui vous a occupé cet après-midi et que dans votre invitation, M. le Président, vous avez qualifié de débat principal : "comment garantir et assurer la sécurité juridique du maire".

De mon point de vue, les maîtres mots qui doivent guider la réflexion sont la recherche de l'équilibre entre les intérêts en présence et la sérénité devant les responsabilités.

Je voudrais illustrer mon propos à travers quelques considérations sur la législation des infractions économiques et celle des infractions d'imprudence.

Pour ce qui concerne la législation économique, la loi doit évidemment sanctionner les dérives individuelles, c'est l'évidence même.

Mais la loi a aussi pour objectif de préserver la confiance publique en écartant même le simple risque de soupçon de partialité.

C'est la raison pour laquelle l'existence des infractions telles que la prise illégale d'intérêt ou le favoritisme n'est pas subordonnée à l'enrichissement personnel de la personne mise en cause.

L'appréciation qui est portée sur les agissements doit évidemment prendre en compte ce critère et je fais confiance aux magistrats pour répondre avec discernement à chaque situation particulière et graduer leur réponse en fonction de cet élément.

Pour ce qui concerne les infractions d'imprudence, je partage votre préoccupation de pouvoir inscrire votre action quotidienne dans un cadre juridique clair et stable. La conscience précise de vos devoirs et de vos responsabilités doit vous permettre de prendre vos décisions en laissant le moins de place possible à l'incertitude.

A mes yeux, la clarté de la loi, et singulièrement de la loi pénale à laquelle je souhaite limiter mon propos, est l'une des réponses privilégiées à la question posée.

Vous pourriez m'objecter que les textes sont si multiples, si divers que, même clairs, il est illusoire de prétendre les connaître en totalité, particulièrement dans les petites communes où les services juridiques sont nécessairement moins étoffés que dans les structures plus importantes.

Je n'en disconviens pas et c'est justement afin d'assurer un meilleur équilibre entre le risque d'une pénalisation excessive de la société et celui d'une déresponsabilisation des acteurs sociaux qu'a été votée la loi du 10 juillet 2000, dite Loi Fauchon.

Cette loi, d'application générale, a redéfini les contours de la responsabilité pénale pour les infractions involontaires.

Désormais, il est prévu dans les articles 121-3 du code pénal et L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales qu'une condamnation ne peut intervenir que si des diligences normales n'ont pas été accomplies. Le tribunal doit tenir compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait la personne poursuivie, ainsi que des difficultés propres à sa mission.

La loi commande donc au juge de se livrer à une analyse concrète, et non abstraite, de la situation. Il doit examiner les informations et les moyens dont disposait l'élu pour parer au danger qui menaçait.

Il ne s'agit cependant pas de faire disparaître la responsabilité des décideurs. Ce n'est pas souhaitable et ce serait d'ailleurs incompris. Mais seule l'existence d'une faute grave et caractérisée justifiera une déclaration de culpabilité.

En vérité, il apparaît que la jurisprudence pénale ne demande pas aux élus de tout savoir, de tout prévoir et d'imaginer la cascade infinie des malheurs. Les condamnations ne devront intervenir que lorsqu'est démontrée une implication insuffisante de l'élu dans les devoirs de sa mission, notamment lorsque la situation de danger était patente, évidente ou connue.

Je voudrais à cet égard vous citer deux arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation particulièrement éclairants.

Le premier, en date du 4 juin 2002, a rejeté un pourvoi formé à l’encontre d’une décision qui avait relaxé un maire prévenu d’homicide involontaire pour avoir laissé à disposition du public sur un terrain municipal des cages de but ne répondant pas à toutes les règles de sécurité.

La Cour de cassation a confirmé cette relaxe en indiquant qu’il n’apparaissait pas que le maire était informé du risque auquel étaient exposés les utilisateurs éventuels et qu’il ait ainsi commis une faute caractérisée.

Le second, en date du 18 juin 2002, a cassé un arrêt qui avait condamné un maire pour blessures involontaires après que deux enfants qui suivaient une fanfare municipale eurent été blessés par une voiture roulant à une vitesse excessive avec des pneus lisses.

La Cour de cassation a reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché en quoi les diligences du maire pour assurer la sécurité de la fanfare n’étaient pas normales et adaptées aux risques prévisibles.

Cette position de la plus haute juridiction judiciaire doit permettre aux élus de travailler dans la sérénité tout en ayant à l’esprit l’obligation de vigilance constante à laquelle ils se sont engagés en entrant dans la vie publique.

Mesdames et Messieurs les Maires et Présidents de Communautés,

Je crois que nous pouvons tous vous rendre hommage pour votre engagement au quotidien au service de nos concitoyens.

Ma présence aujourd’hui au milieu de vous témoigne de la volonté de l’institution judiciaire d’être à vos côtés pour vous permettre d’assumer pleinement vos responsabilités d’élus.

Je vous remercie de votre attention.