[Archives] Assises de l’aide juridictionnelle et de l’accès au droit

Publié le 30 janvier 2007

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Messieurs les Parlementaires (MM. DU LUART et BLESSIG),
Mesdames et Messieurs les Hauts magistrats,
Monsieur le président du Conseil national des barreaux,
Monsieur le Président de la conférence des bâtonniers,
Mesdames et Messieurs les bâtonniers,
Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir à la Chancellerie, pour cette journée de débat. J’ai souhaité, vous le savez, initier une réflexion d’ensemble sur notre système d’aide juridique. J’attends donc de ces travaux, un dialogue constructif, des propositions pragmatiques, dans la perspective d’une adaptation des textes ou de leur refonte totale.

Ces assises sont d’abord l’occasion de rappeler à la profession d’avocats toute l’attention que je porte aux problèmes qu’elle rencontre à l’occasion des missions accomplies dans le cadre de l’aide juridictionnelle.
Je connais l’attachement de chacun d’entre vous aux valeurs d’humanisme et la priorité que vous voulez donner à une défense de qualité pour chaque personne qui franchit la porte de votre cabinet.
J’ai rappelé, il y a quelques jours à la conférence des bâtonniers, que l’accès à la justice est un droit essentiel et, à ce titre, l’aide à l’accès à la justice, autrement dit l’aide juridictionnelle, est une priorité pour une démocratie telle que la nôtre.

C’est cet objectif qu’avait le législateur en 1991, c’est celui que je porte aujourd’hui en ouvrant ces assises.

Ne perdons jamais de vue que l’accès au droit et à la justice repose exclusivement sur la solidarité nationale et l’implication des professionnels du droit.

Le dispositif actuel, instauré voilà près de 16 ans, se voulait ambitieux, permettant aux plus démunis d’accéder au droit et à la Justice et, à l’ensemble des auxiliaires de justice prêtant leur concours, d’être rétribué à ce titre.

Mais le besoin de justice et le recours au juge ont connu un accroissement continu. La création de nouvelles procédures en matière pénale a entraîné une forte augmentation du nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle. Corrélativement, le budget consacré à l’aide juridique a connu un accroissement sans précédent.
Dans le même temps, la baisse de rendement des placements financiers a affecté les coûts de gestion des fonds d’aide juridictionnelle par les Carpa.

Dès lors, une question évidente se pose : comment garantir aux plus démunis une défense de qualité, dans tous les domaines, dans un contexte budgétaire que l’on sait nécessairement contraint ?

Il n’existe sans doute pas de solution miracle et de réponse unique.

Vous avez fait des propositions que vous m’avez remises le 18 décembre dernier. Elles ont depuis été complétées par certaines de vos commissions, Monsieur le Président du CNB.

Ces travaux seront au cœur de notre réflexion d’aujourd’hui. Ils vont être soumis au débat contradictoire auquel nous sommes tous très attachés.

Je pense qu’une des clefs du problème se trouve sans doute dans la recherche d’une complémentarité entre assurance de protection juridique et aide juridictionnelle.
C’est pourquoi l’un des ateliers est consacré à cette question sous la présidence du Professeur LEVENEUR.

A cet égard, l’adoption, au Sénat, mardi dernier, de la proposition de loi sur l’assurance de protection juridique, est, j’en suis convaincu, une grande avancée.

Ce texte important permet d’améliorer la qualité juridique de cet outil privilégié d’accès au droit de ceux dont les moyens interdisent le bénéfice de l’aide juridictionnelle, tout en garantissant le caractère libéral de la profession d’avocat. Enlisée depuis plusieurs années, cette réforme devrait enfin voir le jour avant la fin de cette législature.

Comme je l’ai annoncé vendredi dernier, Monsieur le président de la Conférence des Bâtonniers, cette proposition est inscrite à l’ordre du jour prioritaire du gouvernement pour la séance du 15 février prochain à l’Assemblée Nationale.
Je salue à ce titre Monsieur le Député Emile BLESSIG, auteur d’une proposition de loi sur ce thème, et Monsieur le Sénateur Roland DU LUART, qui ont bien voulu participer à ces Assises.

Il appartient maintenant à la représentation nationale de d’adopter définitivement cette réforme. Vous connaissez ma détermination pour y parvenir.

Mais je le rappelle ici avec force : cette réforme importante et attendue ne signifie pas pour l’Etat un désengagement en matière d’aide à l’accès au droit des plus démunis. Au-delà du principe de subsidiarité de l’assurance de protection juridique, introduit au Sénat, il convient maintenant de rechercher des modes complémentaires de financement de l’aide juridictionnelle, permettant de dégager de nouvelles ressources.

Il faut également réfléchir aux conditions d’admission à l’aide juridictionnelle, en recherchant le nécessaire équilibre entre le contrôle des conditions d’accès à cette aide, qui doit être fait avec précision mais aussi avec humanité, et la fluidité qui doit exister entre le bureau d’aide juridictionnelle et les autres services du tribunal.
La France a, vous le savez, l’un des plus forts taux d’admission à l’AJ, et l’un des systèmes les plus complets, puisqu’il couvre tous les contentieux.

Permettez-moi de vous rappeler ces quelques chiffres : de 2000 à 2005, le nombre total des admissions à l’aide juridictionnelle est passé de 698 779 à 886 533, soit une augmentation de près de 27 %. Dans le même temps, le budget consacré par l’Etat à l’aide juridictionnelle est passé de 188 millions d’euros à plus de 300 millions d’euros, soit une progression de près de 60 %.

Ce choix d’une admission élargie à l’aide juridictionnelle est celui du législateur jusqu’à présent.
Faut-il aujourd’hui revenir dessus ? La question peut être posée. Gageons que les membres de l’atelier animé par Monsieur le Président Magendie qui vont travailler sur cette question, sauront trouver des pistes de réflexion nouvelles.

Mais il est un principe qui doit rester intangible : chaque affaire doit être traitée avec toute l’attention et tout le professionnalisme requis, que le justiciable soit à l’aide juridictionnelle ou qu’il n’y soit pas. Il nous faut donc nous interroger sur les garanties qui peuvent être données à nos concitoyens pour une défense de qualité dans tous les tribunaux, dans toutes les affaires, petites ou grandes, urgentes ou à plus long terme.
L’atelier consacré à cette importante question, animé par Maître Marsigny, devra s’attacher à trouver des réponses aux attentes de l’ensemble du monde judiciaire sur ce sujet. La généralisation des conventions d’honoraires me semble être une piste de travail intéressante.

J’ajoute à cet égard, qu’afin de parvenir à une plus grande harmonisation des pratiques des bureaux d’aide juridictionnelle, une disposition particulière a été adoptée au Sénat, sur l’initiative du Gouvernement, lors de l’examen de la proposition de réforme sur l’assurance de protection juridique, qui permettra désormais de centraliser devant les cours d’appel, les recours contre les décisions rendues par ces bureaux.
Par ailleurs, ce même texte a permis l’adoption d’un amendement qui facilitera les démarches de l’avocat souhaitant recouvrer contre la partie perdante les honoraires qu’il aurait pratiqués, si son client n’était pas éligible à l’aide juridictionnelle.
D’autres mesures sont en cours visant à simplifier les demandes d’aide juridictionnelle et à faciliter les démarches, tant des justiciables que des avocats. Je pense, notamment, à la dématérialisation des dossiers d’aide juridictionnelle qui devrait être effective à l’automne prochain.

Enfin, bien sûr, il y a la question du financement de l’aide juridictionnelle. Pour préciser mes propos de tout à l’heure, je rappelle que la création d’un programme accès au droit, relève de la volonté de « sanctuariser » ces crédits, afin qu’ils ne soient pas noyés dans la masse des crédits de fonctionnement de la justice.

Faut-il obtenir des moyens supplémentaires ? Auprès de qui et par quel mécanisme ? Comment mieux les répartir ?
Je ne doute pas que Madame la Première Présidente Linden saura conduire avec efficacité les débats de cet atelier décisif, afin d’esquisser les pistes de réponse à ces questions.

Je souhaite que les travaux menés dans ces ateliers puis cet après-midi, en assemblée plénière, permettent de dégager des pistes de travail qui constitueront une référence en la matière et guideront la réforme du dispositif, au-delà de la simple augmentation de l’unité de valeur.

Afin d’enrichir nos débats, j’ai souhaité également une présentation en droit comparé de l’aide juridictionnelle, avec deux systèmes qui nous sont proches par la géographie, puisqu’il s’agit des systèmes allemand et anglais, mais qui sont tout à fait différents par leur organisation. Je remercie très chaleureusement à ce titre Monsieur Rainer HORNUNG, magistrat allemand et professeur à l’Université de Freiburg, et Madame Pamella HUDSON, magistrate de liaison anglaise à Paris, d’avoir accepté d’intervenir sur ces thèmes. Nous attendons beaucoup de leur intervention.

Aux termes de mon propos, je souhaite vous redire que je suis convaincu de la force de proposition qui est la votre pour que nous soyons à même, dans quelques semaines, de trouver un consensus sur un train de premières mesures.

Je compte bien en effet, profiter de mes dernières semaines d’action à la tête de ce ministère, pour compléter le dispositif actuel par toute mesure consensuelle que vous pourriez me proposer, dès lors qu’elle est de nature réglementaire.

Je vous souhaite de bonnes Assises et vous remercie à nouveau de votre participation active au débat.

Je cède maintenant volontiers la parole au Président Paul-Albert IWEINS.