[Archives] Colloque du bicentenaire du code civil à la Sorbonne
Publié le 11 mars 2004
Discours du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Messieurs les ministres,
Monsieur le Premier président,
Monsieur le Recteur,
Mesdames, Messieurs.
Le Code Civil, né à un tournant de notre histoire, constitue la charte, le socle, qui fonde notre vie en société depuis deux cents ans.
Dans les fonctions qui sont les miennes, je suis sensible au fait que le code civil se situe encore aujourd’hui au cœur de la vie de nos concitoyens.
Portalis avait raison lorsqu’il présentait le code civil comme exemplaire de ce que les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois.
Il m’appartient donc aujourd’hui de contribuer à son adaptation et son enrichissement face aux évolutions de notre société.
Ainsi, le code civil pourra conserver le rayonnement intellectuel et juridique du code Napoléon.
Le code civil, un monument historique, à l’influence internationale.
Les éminents orateurs qui vont intervenir cet après-midi vous apporteront les éclairages et les regards croisés de l’historien, du sociologue, du philosophe et du juriste sur ce monument juridique qui a traversé le temps.
Le code civil est une véritable Constitution civile et c’est pourquoi il a pu influencer grandement les législations de nos proches voisins européens.
Le Code Civil inspira aussi les législations des pays qui choisirent, pour nombre d’entre eux, de conserver les traditions juridiques françaises, au moment de la décolonisation.
L’influence du Code dépassa le cercle de ces pays puisqu’on en suit la trace à travers le monde entier : au Québec, en Louisiane, en Amérique du Sud et notamment au Chili et en Argentine.
Le Code Civil a pu s’imposer dans la durée car il a su donner aux femmes et aux hommes des règles claires et accessibles pour vivre ensemble.
Il a rendu possible l’émergence de codes nouveaux qui se sont appuyés sur le socle qu’il constitue.
Seuls son prestige et ses qualités propres lui ont permis en fin de compte d’inspirer les législateurs étrangers.
Le code civil, un monument vivant qui doit s’enrichir des défis de notre temps
Les lois reflètent l’esprit d’un temps donné et une certaine vision de l’avenir, mais les hommes sont toujours en mouvement et ce sont les juges, appliquant les lois, jour après jour, qui ont fait du code civil un monument vivant..
C’est pourquoi le Code Civil demeure une œuvre du présent.
Le Code Civil doit, aujourd’hui comme hier, répondre aux attentes de nos concitoyens en accompagnant l’adaptation de notre société à un Monde en constante mutation.
- le droit des personnes et de la famille.
En établissant, selon la formule de Portalis, un « plan du gouvernement des familles » fondé sur « les indications de la nature, les mœurs, le caractère et la situation politique », les auteurs du Code civil ont posé les premières bases du droit des personnes et de la famille.
Ce qui pouvait apparaître en 1804 comme le rétablissement de modèles d’ancien régime : l’affirmation de la puissance paternelle et maritale, la hiérarchie des filiations et la transmission familiale des patrimoines, traduisait au contraire une volonté de construire une nouvelle conception des rapports de l’Etat et de la famille.
Mais ces modèles ont cédé la place à des structures plus égalitaires.
Ainsi, le modèle familial est redéfini.
La famille a désormais deux chefs qui ont chacun les mêmes droits et devoirs : l’autorité parentale est partagée entre les parents et l’épouse parvient à l’autonomie.
L’institution même du mariage, qui reste encore très dynamique, n’est plus appréhendée unanimement comme le socle fondamental de la vie en société.
De plus en plus, les couples n’admettent d’autres régulations de leur vie affective que leurs propres sentiments et volontés.
Emergent par ailleurs de nouveaux modes de vie en couple reposant sur une libre organisation de la vie commune que la loi reconnaît. Je pense au Pacs ou au concubinage.
Enfin, l’égalité est affirmée au sein des filiations et la vérité biologique rendue possible par les progrès de la science.
Ces évolutions révèlent la formidable flexibilité du Code Civil. Mais, tout en se modernisant, ce texte n’a pas abandonné les valeurs fondamentales qui l’ont inspiré : la force de l’engagement, le respect de la personne, la solidarité familiale.
Aujourd’hui, comme hier, « l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère ».
L’institution du mariage conserve la faveur du législateur, par exemple en matière de filiation avec la présomption de paternité.
La législation bioéthique reste conforme aux idées des rédacteurs du code civil de 1804 selon lesquelles « les personnes sont toujours le principe et la fin du droit ». Ainsi, l'article 1128 du Code Civil, inchangé dans sa rédaction et qui prohibe le commerce du corps humain, continue d’imprégner cette législation.
Enfin, le droit des incapacités, que je souhaite prochainement moderniser par la présentation d’un projet de loi, marque avant tout le souci de maintenir une solidarité de la famille et une meilleure protection de la personne vulnérable.
De nouveaux défis attendent le législateur car le droit de la famille et des personnes de demain devra répondre aux aspirations de nos concitoyens, dans une recherche du plus large consensus possible.
C’est dans cet esprit, que j’ai constitué conjointement avec le Ministre délégué à la famille, un groupe de travail pluridisciplinaire chargé de la réforme du droit de la famille.
Issu des réflexions de ce groupe, le projet de loi de réforme du divorce, qui devrait être adopté avant la fin du mois d’avril, parvient à un équilibre entre la liberté individuelle et le respect du principe de responsabilité.
Je souhaite enfin, dans le même esprit et dans le respect des principes fondateurs du droit des successions, ajouter à la transmission familiale des patrimoines, une plus grande liberté de disposer. Tel est le sens du projet de loi que j’entends déposer au Parlement cette année.
Le code civil, un monument ouvert sur le monde.
La mondialisation des échanges, qui installe la compétition économique au cœur des préoccupations du politique, ne peut être abordée avec succès sans un droit rénové et adapté. Le Code Civil reflète d’ores et déjà ces évolutions. Il prévoit ainsi des solutions nouvelles qui s’articulent aisément avec les principes fondateurs qu’il énonce.
Le Code Civil contient aujourd’hui de multiples références aux technologies de l’information et de la communication. Tel est le cas des notions d’écrit et de signature électronique. Il en sera de même pour le contrat électronique dès le vote de la loi dite « Confiance dans l’économie numérique ».
C’est ainsi que l’acte sous seing privé pourra être passé à terme par voie électronique, avec la même valeur que l’acte établi sur support papier. Le contrat électronique, nouveau dans sa forme, restera fidèle aux principes de droit contractuel établis dès l’origine par le Code Civil.
L’ensemble du droit des obligations constitue l’un des chantiers d’avenir de la rénovation du Code Civil.
Je tiens à saluer les travaux du groupe que j’ai mis en place sur le droit des sûretés, et qui est présidé par le professeur Grimaldi. Chacun sait l’importance de ces questions pour le développement de l’activité économique comme pour les opérations de la vie quotidienne.
A l’heure de l’élargissement de l’Union à dix nouveaux membres, à ce moment crucial de la construction européenne, l’élaboration d’un droit européen des contrats, proposée par la Commission, constitue un défi considérable lancé à la communauté juridique française et européenne.
La tradition juridique française, incarnée par le Code Civil, saura, tout en s’enrichissant des autres grandes pensées juridiques, marquer de son influence ce droit européen à venir.
Et, dans cette œuvre, je sais toute la place qui revient à l’Université.
Je tiens ici tout particulièrement à saluer la mémoire du Doyen Jean Carbonnier qui s’est éteint le 28 octobre dernier.
Il fût l’âme des grandes réformes en droit civil qui ont marqué notre époque. Sous l’impulsion de Jean Foyer, il a inspiré les lois gouvernant le droit des majeurs incapables, l’autorité parentale, la filiation, le divorce et les régimes matrimoniaux.
Pour honorer la marque que le doyen Jean Carbonnier laisse dans notre droit, je vais prochainement inaugurer une salle qui portera son nom au ministère de la justice (à la direction des affaires civiles et du sceau en charge d’élaborer les projets de législation civile).
En considération des défis à relever, seule la poursuite de la collaboration intense menée entre la Chancellerie, l’Université, la recherche et tous les acteurs de la justice, permettra à un Code Civil modernisé d’irriguer le corpus juridique européen.
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Ce Bicentenaire, vos travaux le montreront, je n’en doute pas, est certes l’occasion de célébrer un passé glorieux. Il est, tout autant, le moment d’une grande ouverture sur les mutations et les défis majeurs de notre époque.
Le Code Napoléon s’inscrivait dans la perspective d’une unification autoritaire de l’Europe.
Dans une Europe à vingt-cinq, qui s’est librement choisie, le rapprochement des traditions juridiques nationales est de nature à favoriser de nouvelles solidarités de fait.
Ce sont de telles solidarités qui rendent possible, comme le pensaient les Pères fondateurs de l’Europe, la solidarité des peuples.
Le Code Civil, avec vous, prendra toute sa part à cette nouvelle ambition.
Je vous remercie.