[Archives] Colloque "vivre et faire vivre le code civil" au Sénat

Publié le 29 avril 2004

Discours de Dominique Perben

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12 minutes

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs les bâtonniers
Mesdames, Messieurs


Le moment est venu de clore ce colloque par lequel chacun d’entre vous est venu « vivre et faire vivre le code civil ».

C’est un grand plaisir pour moi d’être parmi vous afin de célébrer le bicentenaire du code civil avec les professionnels qui l’appliquent.

Je voudrais tout d’abord vous remercier chaleureusement pour votre présence et, avec vous, tous ceux qui ont participé activement à la réussite cet événement.

La qualité des travaux et la réflexion menée tout au long de cette journée ont contribué à donner encore plus d’éclat, de force et de vie aux valeurs portées par le code civil que l’écoulement du temps n’a pas altérées.

L’histoire du code civil c’est également l’histoire des professions qui l’ont fait évoluer.

C’est pourquoi les professions judiciaires et juridiques ont été associées à ce colloque, elles qui sont tout à la fois l’expression de la loi qu’elles appliquent au quotidien et le moteur de sa transformation.

Les professionnels du droit concourent au bon fonctionnement de la justice, en raison de leur contribution active à la sécurité juridique, à la paix sociale et à l’accès au droit et aussi par la force de proposition qu’ils représentent.

Parce que les professionnels du droit sont chaque jour dans une relation de proximité avec le justiciable, ils se trouvent aux avant-postes des évolutions de notre société. Il en va bien sûr ainsi pour l’avocat, confident de son client.
C’est aussi le cas de tous les officiers publics et ministériels. Au-delà des prérogatives d’autorité publique qui leur sont conférées par l’Etat, ils sont appelés à connaître les aspects les plus confidentiels de la vie des personnes qui se tournent vers eux. Je songe par exemple au rôle clef confié au notaire pour conseiller un testateur.

Tous à votre place et dans des rôles différents, vous aidez nos concitoyens à comprendre et appliquer les règles de droit.

Vous êtes ainsi au cœur de l’évolution de la loi, comme par votre intervention dans le procès, vous êtes au cœur de la formation de la jurisprudence.

Et c’est bien la vision de professions volontaires et exigeantes qui s’est imposée à moi au fil des nombreux échanges que j’ai pu nouer depuis bientôt deux ans.

Le colloque qui nous réunit aujourd’hui me donne l’occasion de rappeler que Ministère du droit, la Chancellerie est aussi votre ministère, ministère qui a l’ambition d’accompagner et de soutenir le développement des professions judiciaires et juridiques.

Je voudrais vous redire que je partage avec vous cette volonté de rechercher les moyens d’améliorer le fonctionnement de la justice afin de mettre le droit au service de nos concitoyens.
Célébrer un bicentenaire, c’est s’arrêter un instant pour embrasser d’un seul regard le passé et l’avenir.

Le gouvernement a entrepris une réforme du code civil. Je sais, en confiance, pouvoir compter sur votre capacité de mobilisation et votre enthousiasme pour la mener à bien.

Cette réforme est une réforme d’ampleur à un double titre.

D’ampleur par son ambition : perpétuer l’œuvre accomplie par nos aînés, la transcender pour laisser aux générations futures un code civil rénové, véritable expression de la volonté générale, destiné à vivre le plus longtemps possible.

D’ampleur par son champ d’application ; elle concerne en effet tous les pans de notre droit civil, droit de la famille et des personnes(I) droit des biens et des obligations (II) mais aussi droit processuel et notamment le droit de la preuve (III).

I) Droit des personnes et de la famille

Fidèle au vœu de Portalis de constituer un droit civil qui soit le reflet “de la nature, des mœurs, du caractère et de la situation politique”, je crois que le droit d’aujourd’hui doit se construire en identifiant les aspirations de nos concitoyens, en en comprenant les finalités et en recherchant le plus large consensus possible.

En cette matière, c’est avec ce souci qu’a été constitué à la Chancellerie, un groupe de travail réunissant parlementaires, universitaires, magistrats, avocats et notaires.


Ces professionnels, appelés au quotidien à appliquer le droit de la famille, sont en effet directement concernés par les réformes entreprises en ce domaine. Par la voix de leurs représentants, ils ont pris une part active à l’élaboration de textes actuellement en cours de discussion au Parlement ou qui le seront dans un avenir proche. Il s’agit notamment de la réforme du divorce et de celle du droit de la filiation.

Adopté par le Sénat le 8 janvier dernier et par l'Assemblée Nationale le 14 avril, le projet de loi réformant le divorce fait l'objet d'un examen aujourd'hui même par la commission mixte paritaire et entrera en vigueur le 1er janvier prochain.

Mon objectif est de pacifier et de simplifier les procédures, tout en les adaptant aux évolutions majeures intervenues ces dernières années.

La pluralité des cas de divorce y est affirmée, dans le souci de redonner à chacun sa véritable place.

Le formalisme du divorce par consentement mutuel et du divorce accepté est ainsi allégé. Un nouveau cas, fondé sur l'altération du lien conjugal, est substitué à la procédure pour rupture de la vie commune, dont les conditions sont profondément modifiées.

De même, le projet tend à faire de la procédure un temps privilégié pour accompagner les époux et les aider à organiser les conséquences de leur séparation le plus efficacement possible.

Dans ce cadre, le rôle de soutien et de conseil des avocats et des notaires est déjà essentiel.

Le projet renforce encore cette mission, au service des familles et de la Justice.

Ainsi, à l’audience de conciliation, l’époux devra être assisté d’un avocat pour accepter la demande en divorce formée par son conjoint.
De même, grâce au mécanisme de l’homologation, introduit par le projet dans tous les types de divorce, les accords conclus entre les époux, en particulier par l'intermédiaire de leurs avocats, seront mieux pris en compte.

Par ailleurs, la volonté de voir régler l'ensemble des conséquences de la séparation implique que la question de la liquidation du régime matrimonial, très souvent liée à celle de la prestation compensatoire, soit traitée le plus en amont possible de la séparation.

Simplifiée lorsqu'elle ne portera pas sur un immeuble, la liquidation du régime matrimonial sera encouragée dès l'audience de conciliation. La possibilité de voir homologuer les éventuelles conventions, conclues sous l’égide des avocats, constituera, là encore, un facteur réel d'apaisement des relations d’après divorce.

Enfin, le sort de la prestation compensatoire lors du décès du débiteur dépendra d'un régime nouveau, impliquant un choix fondamental pour les héritiers, entre la substitution d'un capital à la rente ou le maintien de celle-ci. Les notaires joueront un rôle essentiel de conseil et d'assistance dans ce contexte.

Ainsi, la réforme du divorce, en renforçant la liberté des parties, en recherchant une efficacité accrue des procédures, donne à vos professions des responsabilités nouvelles.

Je sais pouvoir compter sur votre engagement au service de cette importante réforme de droit civil attendue par les Français.

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C’est la même volonté d’approfondissement en commun qui marque les autres chantiers législatifs du droit de la famille et des personnes.

L’avant-projet de loi portant réforme du droit des successions et des libéralités ne pouvait être bâti sans les notaires.

Le droit des successions et des libéralités constitue le seul volet du droit de la famille à n’avoir pas fait l’objet d’une refonte globale depuis le code civil de 1804.

Certes, quelques textes épars en ont aménagé certains aspects notamment la loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, mais aucune réforme d’ensemble n’a pu être menée à ce jour.
Désireux d’adapter ce droit aux changements économiques et sociaux tout en tenant compte des préoccupations de nos concitoyens confrontés à l’épreuve du décès d’un de leurs proches, j’ai souhaité consulter l’ensemble des notaires de France.

En juillet dernier, plus de trois mille notaires ont répondu à cette consultation, manifestant un vif intérêt pour cette réforme qui doit permettre un règlement plus rapide des successions et une réelle consécration de la liberté de disposer de son patrimoine.

Le notaire, acteur essentiel du bon déroulement de la liquidation et du partage des successions, doit pouvoir disposer d’outils juridiques nouveaux pour lui permettre de mener à bien sa mission.

Je pense en particulier à la mission d’administrateur de la succession qui pourrait lui être confiée, mais aussi à la faculté qui doit lui être reconnue de représenter un copartageant négligent pour débloquer le partage de la succession.

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Enfin, je souhaiterais enfin évoquer la réforme de protection des majeurs actuellement en cours d’élaboration.

Vous le savez, la loi du 3 janvier 1968 a défini les grands principes de notre droit des incapables majeurs : subsidiarité et proportionnalité de la mesure de protection, intervention des familles, contrôle du juge.

Il ne s’agit pas de remettre en cause ces principes, mais d’en réaffirmer la vigueur alors que les évolutions démographiques, sociales et économiques pourraient mettre en péril dans quelques années l’ensemble du dispositif.

Il faut également repenser l’articulation du droit de la protection des majeurs avec la prise en charge sociale des personnes vulnérables en limitant l’intervention du juge aux seules hypothèses d’inaptitude avérée, tout en maîtrisant l’augmentation du coût financier pour l’Etat.

Dans le cadre juridique en vigueur, il faut enfin tracer de nouvelles voies, mettre en place de nouvelles procédures plus respectueuses encore de la personne et de ses droits.

Vos professions auront à jouer dans cette perspective un rôle déterminant.

Je pense aux droits de la défense qui doivent se traduire par la présence de l’avocat tout au long du processus judiciaire précédant l’ouverture de la mesure ou son renouvellement.
Je pense aussi au mandat de protection future confié au notaire par la personne avant qu’elle ne perde son discernement.

Au total, c’est donc un projet ambitieux aux multiples dimensions, sociales, économiques et juridiques. Il faut le mener rapidement.

Les réformes entreprises en droit de la famille et des personnes que je viens d’évoquer démontrent le bien fondé de la collaboration des pouvoirs publics et des praticiens. Il en va de même en matière de droit des biens et des obligations.

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II) Droit des biens et des obligations

Acteurs de premier plan, vous veillez au maintien de l’adéquation de nos lois au regard non seulement des évolutions sociologiques mais aussi des mutations techniques.

Je fais allusion ici au pragmatisme dont les professions judiciaires ont su faire preuve face au défi des nouvelles technologies.

Partisans d’une dématérialisation accrue de l’acte sous seing privé et de la conclusion des contrats en ligne, vous avez été attentifs aux débats sur le projet de loi relatif à la confiance dans l’économie numérique. Vous avez fait des propositions d’amendements aux parlementaires pour faire avancer la législation.

Lors du vote de la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique vous avez souhaité que soit dématérialisé l’acte authentique.

L’article 1317 du Code civil a été enrichi d’une disposition permettant de voir l’établissement et la conservation d’un tel acte sur support électronique.

Cette disposition met l’officier public au cœur des avancées techniques et nécessite de répondre à un certain nombre d’enjeux.

Etablir un acte authentique sur support électronique, c’est ouvrir la possibilité d’une première mise en œuvre du décret du 30 mars 2001 relatif à la signature électronique sécurisée.

Conserver un tel acte, c’est aussi mettre les professions chargées de le dresser aux prises avec les innovations techniques les plus récentes en matière d’archivage électronique.
Ces enjeux, vos professions, particulièrement les notaires et les huissiers, les connaissent bien.

Elles ont en effet été associées dès l’origine aux travaux menés au sein de la chancellerie sur les textes réglementaires relatifs à cet acte.

Je fais bien entendu référence aux travaux de réflexion menés par la mission de recherche « droit et justice » puis à ceux du groupe de travail placé sous la direction du professeur Jérôme Huet.

Dans ce cadre, les praticiens ont fait des propositions concrètes pour que l’officier public garde la maîtrise de l’acte à toutes les étapes de son existence.

Son établissement confirmera le rôle de l’officier public en tant que témoin du consentement éclairé des parties.

Sa conservation devra en effet s’effectuer sous l’autorité de chacune des professions.

L’authenticité de l’acte découlera toujours de l’homme ou de la femme chargé de le dresser.

Modernité et respect des traditions se trouveront une fois de plus liés pour faire progresser notre droit, qui se verra très prochainement complété par des textes relatifs aux actes authentiques sur support électronique.

Cette volonté de réforme d’ampleur du Code Civil m’a également conduit à missionner un groupe de travail sur le droit des sûretés présidé par le professeur Grimaldi, président de l’Association Henri Capitant des amis de la culture Juridique Française.

L’importance décisive du droit des sûretés pour le développement de l’activité économique comme pour les opérations de la vie quotidienne, nécessite que soient énoncés, au sein du Code Civil, des principes directeurs qui répondent aux objectifs de modernisation du droit des sûretés.

Ce groupe vient de me remettre un rapport d’étape des travaux entrepris qui apparaissent d’ores et déjà aussi ambitieux que prometteurs. Ils conservent l’esprit et les qualités essentielles de notre droit et montrent le souci de répondre de façon adaptée et efficace aux évolutions internes et internationales.

Quelques repères balisent d’ores et déjà la future réforme du droit des sûretés.

Je pense particulièrement à la modernisation du cautionnement et du gage.

Cette œuvre de conception et de préparation des réformes, en étroite collaboration avec les professionnels et l’Université, permettra à notre Code Civil, modernisé, d’irriguer le corpus juridique européen.

III – Le droit processuel

N’oublions pas qu’en plus de fixer les grands principes du droit de la famille et des obligations, le code civil, avec le code de procédure civile, définit également les différents modes de preuve.

Quels que soient les lieux et les époques, le besoin de conserver la trace écrite des contrats et des règles qui régissent les rapports privés des individus et des groupes s’est toujours fait sentir. Mais les modes de preuve littérale diffèrent selon les types de sociétés.

Les présidents LISSARAGUE et BELOT ont rappelé que notre code civil consacre l’acte authentique comme le mode de preuve le plus parfait. Ce faisant, il place les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires que vous êtes, au cœur du droit de la preuve.


Aux côtés de l’acte sous seing privé qui trouve naturellement sa place dans notre pays où l’autonomie de la volonté constitue la base même de l’activité humaine, l’acte authentique vient contrebalancer l’inégalité des rapports de force et renforcer la sécurité juridique.

Ainsi, le notaire, qui fixe dans l’écrit l’expression des volontés, est un acteur de la paix sociale.

De même, l’huissier de justice contribue à la sécurité juridique en procédant avec efficacité à la signification et à l’exécution des décisions de justice.

Les professionnels du droit sont des rouages essentiels de notre système juridique et leur compétence, dans des matières complexes, en garantit la pérennité.

Les avoués et les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation tirent notamment leur légitimité de la maîtrise qu’ils ont de procédures d’une grande technicité.

Mon souhait est de rendre la justice civile, à laquelle vous participez, toujours plus efficace dans son fonctionnement et meilleure gardienne de la sécurité juridique.

Le projet de décret réformant la procédure civile, en cours d’examen au Conseil d’Etat, tend à améliorer l’examen des procédures en appel afin de simplifier, d’accélérer et de sécuriser leur traitement.

A titre d’illustration, tous les appels seront désormais formés à la cour d’appel, quelle que soit la juridiction d’origine ayant rendu la décision.

Par ailleurs, la technicité des débats devant la Cour de cassation rend nécessaire le recours à un avocat aux Conseils pour éviter que le requérant ne renouvelle son argumentaire présenté devant le juge de fond alors qu’il est désormais devant le juge du droit. Le projet étend la représentation obligatoire aux matières qui jusque là en étaient dispensées, notamment la matière sociale.

Grâce à cette réforme, la procédure civile demeurera un outil efficace aux mains des professionnels afin que les justiciables voient aboutir, dans les meilleurs délais, l’instance qu’ils ont engagée.


La compétence dont vous faites preuve dans l’exercice de vos missions me conduit aujourd’hui à vous renouveler ma confiance. C’est cette confiance qui m’a déterminé par exemple à insérer dans la loi du 11 février 2004 réformant certaines professions judiciaires et juridiques, des dispositions autorisant les huissiers de justice à accéder au fichier FICOBA. C’est encore cette confiance qui préside aux réformes que je mène et auxquelles je souhaite vous voir associés.

Je dirai pour conclure que notre droit écrit, issu de la tradition romano-germanique, contribue fortement à la sécurité juridique des relations entre les individus.

En assurant une grande prévisibilité, il permet aux personnes physiques ou morales de tisser des liens de confiance solides, propices au développement économique de notre pays.

Vous me trouverez donc à vos côtés chaque fois qu’il s’agira, en France ou hors de nos frontières, de défendre notre système juridique pour qu’ensemble nous continuions à faire vivre le code civil.