[Archives] Commémoration de l'arrêt du 12 juillet 2006

Publié le 12 juillet 2006

Discours de Pascal Clément à la cour de cassation

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Madame le Ministre de la Défense,
Monsieur le Ministre délégué à l’Industrie,
Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,
Monsieur l’Avocat général,
Monsieur le Grand Rabbin de France,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de me retrouver parmi vous dans l’enceinte de la Cour de Cassation pour participer à cette cérémonie. Je voudrais saluer, avant toute chose, l’initiative du Président de la République qui, il y a quelques instants, a participé à une importante célébration dans la cour de l’Ecole Militaire et a prononcé un hommage émouvant et solennel en la mémoire du capitaine Dreyfus.


L’affaire Dreyfus a également fait l’objet d’un travail de mémoire exceptionnel dans le monde judiciaire. Nous célébrons aujourd’hui la date anniversaire de l’arrêt du 12 juillet de la cour de cassation qui a réhabilité Alfred Dreyfus. Je vous remercie, Monsieur le premier président et Monsieur l’avocat général, de commémorer le jour où l’institution judiciaire, il y a un siècle, a rendu son honneur au capitaine Dreyfus. Ce souvenir est illustré également par le choix de la Poste de réaliser un timbre à son effigie que Monsieur François Loos, Ministre délégué à l’Industrie, vient de nous présenter.

En effet, Alfred Dreyfus est un symbole républicain.

La République est une quête exigeante de vérité, de dignité, de liberté. La condamnation du capitaine était une insulte à nos principes les plus fondamentaux, aux valeurs humanistes qui sont celles de notre régime.

On ne sacrifie pas un innocent sur l’autel d’un quelconque corporatisme. On ne dégrade pas un innocent pour préserver une institution. On ne condamne pas un innocent pour protéger des coupables. Cette conviction, nous la partageons tous, et je suis heureux que Madame Michelle Alliot-Marie, Ministre de la Défense, soit présente parmi nous aujourd’hui pour honorer celui qui n’a jamais cessé de clamer sa fierté d’être un militaire au service de la France.

Alfred Dreyfus est également le symbole d’un crime judicaire et, par conséquent des victimes de la Justice.

Alfred Dreyfus a vu son honneur bafoué et sali. Il a dû quitter sa famille, la laisser dans un profond dénuement. L’affaire Dreyfus aurait pu n’être qu’une catastrophe judiciaire, l’emprisonnement d’un innocent.
Ce qui la transforme profondément, c’est l’origine du capitaine. Victime d’un système implacable, victime de ses origines, il aurait pu désespérer.

Alfred Dreyfus, comme le rappelle la récente biographie de Vincent Duclert, a pourtant conservé sa confiance en la Justice de son pays, malgré les tourments qui lui furent imposés. Il savait que la Justice avait été instrumentalisée, par une succession de manipulations, de faux et d’analyses hasardeuses. Il savait que la quête de la vérité prendrait le pas sur les complots et les manœuvres de couloir. Il savait que la Justice lui serait un jour rendue.

C’est une leçon qui honore la Justice elle-même et dont elle doit se montrer digne.

Car Alfred Dreyfus est enfin le symbole de la reconnaissance par la Justice de ses erreurs.

Grâce à la mobilisation acharnée de ses défenseurs, grâce au courage de la famille Dreyfus, le mouvement de protestation en faveur de la révision de son procès aboutit à une annulation de sa condamnation par la Cour de Cassation, le 3 juin 1899.

Ce n’est pourtant que le 12 juillet 1906 que le jugement fut cassé sans renvoi. Douze ans de luttes judiciaires, d’acharnement procédural, douze ans de combats républicains auront été nécessaires.

Je suis convaincu que l’institution judiciaire se grandit en conservant la mémoire des grandes affaires où la Justice a fini par triompher. C’est pour nous tous un devoir et, bien évidemment, la meilleure manière d’éviter de nouvelles erreurs judiciaires.

Je souhaite donc que cette date soit pour toute la Justice la commémoration d’une victoire.

La victoire d’un homme qui, envers et contre tout, et n’a jamais cédé à la tentation de la fatalité.

La victoire de quelques hommes, ceux qui ont toujours cru que la vérité l’emporterait sur la honte d’un jugement tronqué, fondé sur l’antisémitisme.

La victoire des hommes, parce que l’affaire Dreyfus nous concerne tous.

La France a toujours eu comme volonté d’assurer la coexistence de tous ses enfants par notre pacte républicain, sans exclusive et sans exclusion.

Quand la République tolère le racisme ou l’antisémitisme, elle perd son âme.

Je vous remercie de votre attention.