[Archives] Congrès annuel des avocats, 2ème édition

Publié le 14 octobre 2016

Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice

« L'avocat, le secret et la transparence »
La Défense – Vendredi 14 octobre 2016

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Seul le prononcé fait foi

 

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de m’avoir invité et donc de me permettre de venir, par ma présence, manifester toute ma considération à l’égard de votre profession.

Vous m’avez proposé de clore une journée de réflexion autour de la dialectique très délicate du secret et de la transparence.

Ce sujet m’intéressait bien avant que je n’exerce la responsabilité qui me donne la chance de notre échange.

J’ai, en effet, été tout à la fois le rapporteur de :

-      la loi « Transparence de la vie politique » promulguée le 11 octobre 2013

-      et de la loi « Renseignement » publiée au Journal Officiel le 24 juillet 2015.

J’ai donc déjà eu l’occasion de réfléchir sur les mutations radicales de ces termes.

Qu’on y songe, hier, qualifier un individu de transparent, c’était désigner un être creux et sans intérêt.

Aujourd’hui, être transparent traduit la respectabilité dans toute sa quintessence.

Et ainsi si transparence rime avec probité ; secret s’est mis à rimer avec suspect !

Car nombreux sont ceux qui sont prompts à appréhender dans tout secret une turpitude qui ne dit pas son nom.

Pourtant, le secret n’est pas plus un vice que la transparence n’est une vertu.

Je partage votre avis, Monsieur le président : un secret n’est pas toujours la marque d’un comportement répréhensible.

Et personnellement, je n’ai jamais cru à l’extase promise par la lumière des bûchers, ni au confort qu’offrirait une fréquentation assidue des ténèbres.

Secret et transparence ne sont que des moyens, qui n’ont d’autre valeur que celle de la fin qui leur est assignée.

Opposer secret et transparence en eux-mêmes n’a pourtant guère de sens.

Et comme la transparence ne consiste qu’à lever le voile du secret, c’est à la nécessité de celui-ci qu’il faut réfléchir.

Pourquoi garder le secret ? Pourquoi percer un secret ? 

Et pourquoi ne pas tenter de concilier secret et transparence ?

Voilà les réflexions, qui, sans être directement au cœur de la politique que je conduis à la Chancellerie, n’en sont pas pour autant éloignées et que je voudrais évoquer devant vous.

Le secret est évidemment positif, lorsqu’il assure la protection d’intérêts légitimes.

Ainsi chacun admet que le droit au respect de la vie privée est essentiellement un droit au secret.

C’est le droit de contrôler les informations relatives à son intimité, et plus particulièrement d’interdire à autrui l’accès à ces informations.

Ce secret n’est toutefois pas une fin, ce n’est qu’un moyen.

Un moyen de protéger la personne.

C’est aussi un soutien de la liberté individuelle, comme l’a indiqué une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2002.

D’ailleurs, le secret des correspondances, l’un des aspects éminemment symbolique de la protection de la vie privée, fut une conquête longue et difficile.

Puisque ce n’est qu’à partir de la moitié du 18e siècle qu’il devint une forme de revendication, avant de se voir consacrer textuellement par la Révolution et une réalité pratique à la fin du 19e siècle.

Le secret est tout aussi positif,quand il contribue à créer la confiance, quand il est protecteur.

ØC’est le cas du secret professionnel.

Il est alors indispensable au bon fonctionnement de certaines professions, dont le rôle est jugé indispensable au bien commun de la société.

Voilà qui m’amène évidemment aux avocats !

Sa puissance vient du fondement que l'on s'accorde à lui reconnaître.

Selon la belle expression de votre confrère  - qui est aussi un collègue universitaire – J-J. Taisne « l'avocat se veut une conscience à laquelle s'adresse une confiance ».

C’est à cette condition qu’il peut assurer efficacement la défense de son client, et ainsi permettre l’exercice effectif de son droit à un procès équitable.

Il n’y a pas de défense possible, si celui à qui je me confie me trahit, livre mes secrets à mon adversaire ou à l’accusation.

Aussi comme avocat vous êtes débiteurs d'un secret professionnel qui vous est imposé, non seulement dans l'intérêt de votre client, mais plus encore pour des raisons liées à l’Etat de droit, à la réalisation de la justice.

Ce secret, votre secret, n’est pas un droit du client.

C’est une obligation pour vous car il est justifié par l'intérêt général.

ØC’est pourquoi il est d’ordre public.

Plus largement, le secret tient d’ailleurs une place importante dans la réalisation de la Justice.

Il est un instrument de son efficacité, ce qui conduit à évoquer le secret de l’instruction.

Ce dernier a de fortes justifications :

-      Les impératifs de protection des droits d'autrui, parmi lesquels la présomption d’innocence,

-      La préservation d'informations confidentielles,

-      Ainsi que la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Ce secret n’est ni un serpent de mer, ni un monstre juridique, mais la protection du principe de la présomption d’innocence.

Et je demeure convaincu de sa pertinence.

Je crois important que les informations recueillies dans le cadre de l’instruction restent secrètes, dans l’intérêt des personnes mises en cause et pour le bon fonctionnement de la justice.

Tout aussi emblématique est le secret du délibéré.

C’est pour nous une règle traditionnelle qui différencie fondamentalement notre procédure d’autres systèmes.

Ici, contrairement à la pratique anglo-saxonne, le jugement ne doit pas rendre compte de l'opinion dissidente des juges minoritaires.

Ainsi à l'exception des membres de la juridiction administrative, tout juge lors de sa nomination à son premier poste, prête serment « de garder (autrefois « religieusement », mais plus depuis le projet de loi de modernisation de la Justice du 21ème siècle) le secret des délibérations ».

Cette règle du secret est alors absolue, comme l’écrivit le président Guy Canivet.

C’est pour cela qu’il a été élevé au rang de principe général du droit public par le Conseil d'État dès 1922.

 

Le secret possède enfin une légitimité en matière économique.

C’est alors le secret des affaires qui protège le fruit d’investissements financiers aussi bien qu’intellectuels.

C’est une barrière dressée contre l’appétit de s’approprier indûment ces connaissances, sans bourse délier ni sans avoir fait aucun effort pour les développer.

****

On le voit donc, le secret a bien des fondements, bien des atouts.

On peut l’appréhender comme un contre-pouvoir, un espace qui protège du regard – parfois – inquisiteur de la société.

Et pourtant, il peut être légitime qu’il soit percé.

C’est le cas lorsqu’il se heurte à un intérêt supérieur ou que la protection qu’il offre cesse d’être utile à celui qui en bénéficie.

Ainsi, lorsque l’intérêt général est en jeu, la loi autorise, voire impose la révélation du secret professionnel.

Le code de la santé publique prévoit ainsi que les médecins peuvent transmettre des données individuelles si une maladie nécessite une intervention urgente locale, nationale ou internationale.

On le voit donc – et comme vous l’avez rappelé Monsieur le Président -, le secret connaît aussi des limites.

Remarquez néanmoins que nous avons récemment rendu hommage à sa valeur, en refusant de le faire céder à l’alerte.

Ainsi l’article 6A du projet de loi relatif à la transparence et à la lutte contre la corruption dispose que « les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini ».

Mais il est vrai que, dans d’autres circonstances, le secret de l’avocat peut céder : dans le cadre des perquisitions, de certaines écoutes, en vertu d’obligations déclaratives…

Vous en avez fait l’inventaire.

Il ne faut pas s’en étonner car comme l’affirmait Maître Henri Leclerc, il n’est pas « sacré », même s’« il est une norme nécessaire au bon fonctionnement de la justice ».

Et comme toute norme, il peut donc être limité, par une autre norme, porteuse d’un intérêt au moins équivalent.

La Cour européenne des droits de l’homme l’a clairement affirmé : une atteinte au secret de l’avocat est possible, pour autant qu’elle ne soit pas disproportionnée.

Au demeurant, quand bien même il serait sacré, il pourrait connaître des limites.

L’article 17 de la Déclaration énonce bien que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, (et sous la condition d'une juste et préalable indemnité) ».

Eh bien, le secret de l’avocat peut, comme le mur de la propriété, être percé, pour autant que la nécessité publique l’exige évidemment.

ØC’est le cas notamment pour prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Mais l’importance du secret de l’avocat justifie que la réglementation applicable à votre profession soit spécifique, et même dérogatoire à celle qui régit les autres professions.

C’est ainsi, par exemple, que des mécanismes protecteurs sont prévus, telle que l’intervention du bâtonnier.

La levée du secret peut aussi avoir pour fondement la protection des personnes, collectivement ou individuellement.

C’est d’ailleurs un conflit classique que celui qui oppose le secret professionnel à l'intérêt des victimes d'infractions ; deux valeurs également et pénalement protégées.

Et de fait, le législateur n'a pas choisi de donner systématiquement à l'une la priorité absolue sur l'autre.

ØTout est fonction de la qualité de la victime et de la nécessité d'agir pour la protéger.

Par exemple, en présence d'un danger grave et imminent, l'obligation d'agir prendra le pas sur le secret professionnel.

Puisqu’il s'agit là du secours à personne en danger.

Chacun comprend alors l’ambiguïté : si le secret peut être protecteur, un impératif de protection peut parfois justifier de le percer. 

Il en va de même dans le domaine de la justice : si le secret peut contribuer à son efficacité, le percer peut aussi servir l’intérêt général.

Le secret des correspondances (que j’évoquais précédemment) peut, par exemple, être levé à des fins judiciaires.

Les exigences de la Justice, et l'intérêt général qui l'accompagne, paraissent, en effet, bien supérieurs à la dimension privée du secret des correspondances.

Du reste, il n'est guère de secret qui ne résiste à la Justice, et spécialement à la Justice pénale.

Ainsi, le secret bancaire ou le secret médical ne sont pas opposables au juge d'instruction

Et lorsque pour les nécessités de sa défense, il est indispensable que le professionnel rende compte d'informations qu'il a connues dans le cadre de sa profession, l'exercice des droits de la défense prévaut sur le secret professionnel.

Le professionnel bénéficie alors du fait justificatif de permission tacite de la loi, laquelle garantit les droits de la défense.

Secret et  transparence paraissent ainsi souvent  inconciliables.

Mais le sont-ils vraiment toujours ?

Une illustration me semble particulièrement appropriée pour dépasser cette opposition : le cas des lanceurs d’alerte.

Au nom de la liberté d’expression, reconnue par l’article 10 de la Convention, notre Gouvernement a souhaité que les lanceurs d’alerte soient protégés.

C’est ainsi que j’ai créé des statuts de lanceur d’alerte dans les deux lois que j’évoquais au début de mon propos (loi « transparence » et loi « renseignement »).

Et récemment, dans le projet de loi dit « Sapin 2 », deux articles définissent pareillement le lanceur d’alerte, ainsi surtout, - et c’est ce qui importe pour mon propos -, que les conditions de signalement et de révélation.

Une alerte ne peut pas, ne doit pas être lancée n’importe comment.

Ce n’est pas un cri dans la nuit, ni une bouteille jetée à la mer.

L’alerte implique une procédure, puisqu’elle vise avant tout à révéler l’existence d’un dysfonctionnement, susceptible d’avoir des conséquences graves, afin d’éviter que celles-ci ne se produisent. 

Sa révélation doit donc avant tout être faite à la personne qui est à même de corriger ce dysfonctionnement, et éventuellement à l’autorité qui peut la sanctionner. 

Un « canal » de révélation a donc été prévu, de manière :

-      D’une part, à protéger le lanceur d’alerte contre les  risques de représailles, notamment en assurant son anonymat,

-      Et, d’autre part, à protéger les tiers, de signalement pouvant leur nuire en portant atteinte à leur nom ou en divulguant inutilement des informations confidentielles.

Le secret est ainsi mis au service de la transparence.

Il constitue en quelque sorte les parois du canal, qui assure la transmission de l’information à son destinataire effectif.

Et je n’aurai de cesse que de vous inviter à ce que le secret de l’avocat puisse être cette paroi, compte-tenu de sa solidité.

Vous l’avez dit, Monsieur le président, j’ai été très sensible à l’initiative de votre confrère et à la création d’Ethicorp.

Je crois que les avocats doivent davantage se saisir de l’alerte, et apporter leur savoir-faire à ce mécanisme.

C’est, en outre, l’occasion de mettre en avant les vertus de leur secret, y compris dans une perspective de transparence.

Car l’alerte illustre parfaitement l’équilibre nécessaire, et possible, entre transparence et secret.

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Finalement, nous pourrions dire que, dans une démocratie, le secret et la publicité constituent deux piliers.

Deux piliers qui s’équilibrent mutuellement, empêchant l’un de prendre le dessus sur l’autre, nous évitant ainsi l’enfer d’une société totalement transparente et celui d’une société totalement secrète.

Car il ne faudrait pas que nous ayons renoncé, pour reprendre les mots puissants de Guy Carcassonne,  à un « secret maladif » « que pour glisser dans une névrose de la transparence ».

Je vous remercie de votre attention.

Contact presse – Cabinet du garde des Sceaux

01 44 77 63 15 secretariat-presse.cab@justice.gouv.fr


 

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