[Archives] Congrès du S.C.H.F.P.N.

Publié le 13 juin 2006

Congrès du Syndicat des Commissaires et Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale

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Monsieur le secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les fonctionnaires de police,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie sincèrement, Monsieur le secrétaire Général, pour vos paroles de bienvenue qui ont le mérite de la franchise et nous permettent d’aborder des enjeux cruciaux pour la Justice de notre pays.

Permettez-moi tout d’abord de remercier votre prédécesseur de son invitation à votre congrès et, surtout, du travail que nous avons réalisé ensemble depuis mon arrivée à la Chancellerie, il y un an. Je lui souhaite bonne chance pour le reste de sa carrière, mais connaissant ses qualités, je n’ai guère d’inquiétudes à cet égard.

C’est maintenant la deuxième fois qu’un Garde des Sceaux participe à votre congrès. Cette expérience initiée en 2002 devient donc une véritable tradition, du moins, j’en forme le vœu avec vous.

Je vous félicite également, Monsieur le Secrétaire Général, pour votre brillante élection qui démontre manifestement l’unité des haut-fonctionnaires et commissaires de la police nationale.

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Je voudrais maintenant aborder les principes directeurs des réformes, en matière de procédure pénale, que je souhaite porter devant le parlement, à la suite des réflexions qui ont été menée pour tirer les conséquences de l’affaire Outreau.
Ces réflexions, nombreuses, ont donné lieu à de multiples propositions, dont les dernières sont celles de la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale qui ont été rendues publiques il y a quelques jours.

Le champ de la réforme devra être précisé dans les prochaines semaines, en liaison avec la représentation nationale et les autres ministères concernés. D’ores-et-déjà, je peux cependant vous indiquer la direction vers laquelle je souhaite aller.

Si vous le voulez bien, je commencerai par dire quelques mots des propositions qui intéressent directement les commissaires de police puisqu’elles concernent la phase d’enquête, et notamment la question de la garde à vue.

Sur ce point, je souhaite améliorer les garanties procédurales, mais je veux également préserver les équilibres actuels afin de ne pas porter atteinte à l’efficacité des enquêtes ni à la logique de notre procédure pénale.

C’est pourquoi, après avoir examiné cette question de façon approfondie, je veux vous dire que je ne suis partisan ni de l’accès au dossier de l’avocat du gardé à vue, ni à sa présence tout au long de la garde à vue, ni même à une remise en cause des hypothèses actuelles de l’intervention différée de l’avocat (terrorisme, trafic de stupéfiants…).

En revanche, la proposition consistant à généraliser aux majeurs l’enregistrement des interrogatoires en garde à vue, comme cela est prévu actuellement pour les mineurs, me paraît devoir être retenue. Je me suis rendu en Angleterre, où cet enregistrement est pratiqué et j’ai été impressionné par la satisfaction des forces de sécurité publique quant à son utilisation.

Contrairement à ce que j’ai pu lire, cette proposition ne révèle nullement une défiance à l’égard des enquêteurs, mais au contraire, renforce considérablement la sécurité de la procédure, en supprimant toute contestation ultérieure. C’est d’ailleurs très exactement ce qui s’est passé s’agissant des auditions des mineurs, qui ne sont quasiment plus contestées depuis qu’elles sont enregistrées. C’est en réalité une mesure de protection des enquêteurs contre les suspicions infondées.
Bien évidemment, cette réforme nécessitera d’importants moyens, et son entrée en vigueur devra en tenir compte.

S’agissant des autres recommandations du rapport concernant la garde à vue, la proposition de notifier à la personne les faits qui lui reprochés, et non simplement leur nature, peut poser des problèmes dans certaines procédures. Ne faudrait-il pas en faire plutôt une possibilité pour l’enquêteur et non une obligation ? Je serai heureux d’avoir votre avis sur cette question.

En ce qui concerne les autres phases de la procédure, mes propositions tendent également à concilier le renforcement des droits des parties et l’efficacité des investigations.

Je souhaite ainsi instituer des pôles de l’instruction, au niveau départemental ou interdépartemental, afin de favoriser la co-saisine des juges d’instruction et le travail en équipe, notamment dans les dossiers les plus complexes.

Je souhaite également renforcer le caractère exceptionnel de la détention provisoire, en en limitant les critères. Je pense, bien entendu, au critère de l’ordre public, qui ne pourrait être retenu qu’en matière criminelle. Le contrôle de la chambre de l’instruction pourrait aussi être renforcé, notamment par l’institution d’une audience semestrielle

Je souhaiterai en outre renforcer le caractère contradictoire de la procédure pénale, notamment en améliorant le caractère contradictoire des expertises.

Je désire enfin améliorer la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, en rendant systématique l’enregistrement de leurs auditions, et en prévoyant qu’ils soient obligatoirement assistés par un avocat devant le juge d’instruction.

Telles sont, sans être exhaustif, mes principales propositions.

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Comme vous l’aurez compris je ne pense pas que l’on construise une Justice plus moderne en faisant table rase du passé. Je pense, au contraire qu’en cette période de radicalisation des violences sur les personnes, il est plus que jamais nécessaire d’insister sur la nécessité de la cohésion de la chaîne pénale.

Outreau est un exemple négatif, car le dysfonctionnement d’un ou plusieurs maillons de la chaîne pénale s’est répercuté sur les autres et a finalement impliqué l’ensemble des acteurs dans un véritable désastre judiciaire.

En revanche, la répression des violences urbaines de novembre 2005 et des débordements des manifestations anti-CPE de 2006 en est un exemple positif. Au professionnalisme des forces de l’ordre, que je tiens à saluer, a répondu la fermeté de la réponse de la Justice.

Je sais combien, en effet, il est délicat, dans de pareilles circonstances, pour les forces de l’ordre, parfois victimes de tirs par armes à feu, de concilier les impératifs du rétablissement de la paix publique et la sécurité des personnes. Je sais également qu’il est parfois difficile d’assurer le maintien de l’ordre public tout en respectant le formalisme et les contraintes nécessaires à la validation des procédures par les tribunaux. Je comprends les difficultés de votre mission.

En tout cas, encore une fois, je voudrais saluer l’action que vous avez menée et rappeler, en ce qui me concerne, les instructions de fermeté que j’avais adressées aux parquets pour réprimer toutes les violences commises à l’encontre des policiers en ces circonstances. Ces instructions avaient été parfaitement suivies par les parquets.

Cette cohésion ne doit cependant pas se manifester uniquement pendant les périodes de crise, elle doit se pratiquer sans relâche que ce soit au travers des Groupes Locaux de Traitement de La Délinquance ou des Conseils Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance. Vous le savez, ces structures de coordination permettent d’associer autorités locales, forces de l’ordre et autorités judiciaires dans la lutte contre la délinquance, dans le strict respect du rôle dévolu à chacun par la loi.
Pour le plus grand bien de nos concitoyens, nous devons travailler ensemble pour confronter nos expériences et nos champs de compétence.

Il y a, vous le savez, des magistrats au ministère de l’Intérieur mais il y a aussi des commissaires de police au ministère de la Justice : à la direction des affaires criminelles et des grâces, au secrétariat général au sein d’un groupe qui cherche comment réduire et mieux utiliser les frais de justice, auprès du procureur de la République de Paris. J’ai choisi d’en prendre un également au sein de mon propre cabinet.

Enfin, les échanges en matière de formation, entre votre école de Saint Cyr Au Mont d’Or où je me rendrai bientôt et l’Ecole Nationale de la Magistrature de Bordeaux mais aussi avec le CNEF de Gif sur Yvette sont en progression constante, ce dont je me félicite.

Mesdames et Messieurs, nous sommes là pour répondre au besoin de sécurité, au besoin de justice exprimés par nos concitoyens et plus particulièrement par les victimes de la délinquance. Nous leur devons d’être efficaces.

A cet égard, nous devons être fiers du chemin accompli : la délinquance a baissé et, grâce à votre mobilisation, le taux d’élucidation a considérablement augmenté. De son côté, la Justice s’emploie à apporter une réponse adaptée.

En ce qui me concerne, j’ai pris mes responsabilités dans cette lutte contre l’insécurité. Je voudrais, à cet égard, vous rappeler :

  • La loi sur la récidive, qui durcit les sanctions à l’égard des récidivistes et limite les sursis avec mise à l’épreuve.
  • Le bracelet électronique mobile pour les délinquants sexuels.
  • Le durcissement des sanctions contre les auteurs de violences conjugales, le tourisme sexuel, la pédopornographie et les mariages forcés.
  • La création et la mise en œuvre du FIJAIS (fichier des délinquants sexuels).
  • Le renforcement du dispositif antiterroriste par la centralisation de l’application des peines à Paris et la criminalisation de l’association de malfaiteurs en vue de préparer un crime terroriste.
  • La mise en place puis la généralisation des bureaux d’exécution des peines.
  • La mise en œuvre avec l'Allemagne, la Belgique et l'Espagne, de l'interconnexion des casiers judiciaires des quatre pays, afin de connaître instantanément les antécédents judiciaires des personnes mises en examen.

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Je voudrais enfin répondre à un problème sur lequel vous avez appelé mon attention à plusieurs reprises, je pense aux difficultés rencontrées par les chefs de service ou d’unités de police judiciaire à être tenus informés de l’activité judiciaire en raison des liens directs établis entre leurs officiers de police judiciaire et les magistrats.

Le code de procédure pénale définit clairement le rôle de la justice dans la direction et le contrôle de la police judiciaire.

Certes les articles 19 et R.2 établissent un lien direct entre l’autorité judiciaire et l’officier de police judiciaire qui doit lui transmettre directement ses procédures et ne peut recevoir de directives, à l’occasion d’une enquête ou de l’exécution d’une commission rogatoire, que du Procureur de la République ou du juge d’instruction

En revanche l’article D.2 précise clairement que « le chef de la formation cordonne l’exécution des opérations de police judiciaire effectuées dans son service et veille à la transmission des procès-verbaux.

Coordonner l’exécution des opérations de police judiciaire signifie qu’il revient aux chefs de service de répartir les tâches, de dégager les moyens nécessaires à l’accomplissement des diligences requises, de s’assurer que les procès-verbaux parviennent à l’autorité judiciaire sans retard.

Le corollaire de cette mission de coordination est votre droit à l’information en temps réel sur l’état d’avancement des enquêtes confiées à votre service, information que vous doivent les personnels placés sous votre autorité.

Il me semble que les chefs de services ou de formations disposent déjà des outils leur permettant d’exercer des prérogatives dans l’organisation des missions de police judiciaire afin que celles-ci soient exécutées dans les meilleures conditions d’efficacité et de délai.

Je ne suis donc pas favorable à l’idée, suggérée par certains, d’une qualité d’officier de police judiciaire « supérieur ».

Je crois qu’il ne faut pas confondre l’exercice de pouvoirs attachés à la qualité d’officier de police judiciaire et les pouvoirs consacrés par l’existence d’un lien hiérarchique et administratif entre le chef de service ou de formation et les personnels placés sous sa responsabilité.

Ceci étant, je ne nie pas qu’il y ait pu y avoir, dans certaines affaires, des difficultés.

Comment alors en sortir ? Peut-être par le biais d’une circulaire qui rappellerait à tous l’existence de ces textes. Peut-être avez-vous une autre solution technique dont je serais preneur. Je suis ouvert à une discussion avec vous sur ce sujet.

En attendant, je vous invite à faire usage des prérogatives que le code de procédure pénale vous reconnaît et à ne pas hésiter à vous faire connaître des magistrats susceptibles de vous confier l’exécution d’enquêtes ou de commissions rogatoires. Beaucoup de magistrats ont en effet le sentiment que certains chefs de service, accaparés par des tâches de nature administrative, se désintéressent des missions de police judiciaire.

Je ne doute pas qu’il s’agit là d’un sentiment subjectif mais il importe néanmoins de profiter de toute occasion pour rencontrer l’autorité judiciaire et pour lui témoigner l’importance que vous attachez à ce que les délégations et réquisitions adressées à votre service soient exécutées au mieux.
J’appelle de tous mes vœux une collaboration renforcée entre les magistrats et les chefs de service de police judiciaire. Ce n’est en effet qu’au prix d’efforts conjugués que nous parviendrons à améliorer l’instruction des plaintes et les résultats des enquêtes judiciaires.
En effet il n’est pas de bonne justice qui n’ait été précédée de bonnes constatations et de bonnes investigations. Vous êtes les garants et les responsables de la qualité de la phase d’enquête policière et je sais pouvoir compter sur vous.

Je vous remercie de votre attention