[Archives] Congrès de l'union syndicale des magistrats à Reims

Publié le 18 octobre 2002

Discours du Garde des Sceaux

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19 minutes

Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames et Messieurs les Magistrats,
Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie de m'avoir invité à participer à votre Congrès ici à Reims. C'est, pour moi, la première occasion de m'exprimer directement devant autant de magistrats réunis. Je suis particulièrement heureux de le faire devant la première organisation représentative de la magistrature.

A la question de savoir si la fonction de Ministre de la Justice est parmi les plus difficiles.

Je vous réponds simplement que je suis fier d'être le Garde des sceaux, votre ministre : c'est une tâche dont je mesure, croyez-le bien, l'ampleur et les devoirs qu'elle impose.

C'est aussi une mission passionnante, au service de la République, de la Nation, de la Justice.

Vous avez su, Monsieur le Secrétaire Général, trouver les mots justes pour exprimer la passion de votre métier. Cette passion, je la partage aussi, dans l'exercice des fonctions qui sont les miennes. C'est elle qui fonde notre ambition pour la Justice.

Je crois utile, à ce propos, de préciser devant vous les fondements de l'action de ce gouvernement en matière de justice.

Il y a quelques mois, les Français nous ont fait part, sans ambiguïté, de leur exigence démocratique et de leur volonté de changement, particulièrement dans les domaines relevant de l'autorité de l'Etat.

Ces messages du suffrage universel, expriment notamment une immense attente à l'égard de la Justice. Non pas d'une justice qui serait abstraite ou lointaine. Mais d'une justice rempart des droits des citoyens, gardienne de leurs libertés et de leur sécurité, garante du respect des règles qui s'imposent à la marche de notre société.

C'est dans ce cadre ambitieux, qui est aussi celui de votre propre engagement, de votre dévouement quotidien, que je tiens à situer mon action.

La Justice est une vertu cardinale. C'est aussi une institution. Or, cette institution se trouve aujourd'hui, j'en suis profondément convaincu, à un moment important de son histoire. Pour l'aborder, nous devrons tous faire preuve de courage. Vous avez souligné à juste raison que les magistrats n'en manquent pas et que c'est même leur vertu essentielle.

Je crois que nous pouvons largement nous accorder sur le constat : le droit devient sans cesse plus touffu, plus difficile d'accès. Dans le même temps, nos concitoyens, de mieux en mieux formés et informés, de plus en plus conscients de leurs droits, attendent toujours davantage des magistrats et de l'institution judiciaire.

Vous avez évoqué l'inflation législative. La loi a perdu en force et en autorité au fur et à mesure qu'elle est entrée dans un niveau de détail, dont le constituant lui-même, avait signifié le danger.

C'est pourquoi l'amélioration du fonctionnement de notre système judiciaire repose, certes, et je vais y revenir dans un instant, sur des moyens accrus. Mais elle dépend aussi de la qualité du travail législatif. Le Gouvernement doit y prendre sa part et j'y veillerai.

Forts de votre tradition syndicale, vous souhaitez un dialogue constant et nourri avec la chancellerie.

J'y souscris entièrement et je suis persuadé que, dans le respect mutuel, nous saurons le faire vivre ensemble et cela d'autant plus que vos préoccupations sont exactement les miennes : comment en effet mener une action pragmatique et efficace sans prendre en compte vos préoccupations , vos besoins et vos charges ?..

Cette mesure des besoins et de vos attentes, je ne puis la trouver qu'au plus près de la réalité des juridictions, et c'est pourquoi je me rendrai tous les mois dans une juridiction afin de vous écouter.

J'ai en effet bien conscience que la justice de qualité, que nos concitoyens attendent, ne peut réussir que si elle est portée par chaque magistrat et chaque fonctionnaire, dans son travail quotidien.

J'ai la conviction que nous y arriverons ensemble :

  • grâce aux moyens nouveaux que j'ai obtenus du Parlement ;
  • en recherchant des modes de fonctionnement et une organisation rénovés ;
  • dans un cadre juridique garantissant l'efficacité de votre action, tout en préservant les principes fondamentaux du droit et les libertés.

Ce plan d'action porte simultanément sur les hommes, les moyens et les méthodes.

A) les hommes :

Depuis 20 ans, les magistrats et les fonctionnaires de justice ont porté la charge d'une activité qui n'a cessé de croître.

Ils ont eu à cœur d'améliorer la réponse judiciaire et l'accès des justiciables au droit et à la justice .

Comme je l'ai fait inscrire dans la loi de programmation, ces efforts doivent être reconnus. Je m'y emploie avec détermination.

Je tiens à ce que l'effort de l'Etat pour la justice aille de pair avec l'amélioration des conditions matérielles et morales d'exercice de ceux qui la servent.

En 2002 a été mise en oeuvre l'importante réforme statutaire, conçue en 1996 et introduite par la loi organique du 25 juin 2001 et ses textes réglementaires d'application.

Cette réforme a modifié la physionomie du corps judiciaire. Elle a amélioré l'évolution de la carrière des magistrats en prenant en compte la spécificité de chaque fonction. Après ce premier pas, nous devrons réfléchir ensemble à la poursuite de ce mouvement

Les modifications statutaires déjà intervenues ont rendu nécessaires des reclassements d'une ampleur sans précédent.

Les délais que j'ai constatés pour la première moitié de l'année étaient trop importants. C'est pourquoi j'ai demandé dès le mois de mai que tout soit mis en œuvre pour accélérer ces opérations. J'ai fait mettre les moyens nécessaires à disposition de la DSJ.

L'élaboration des arrêtés collectifs et individuels de reclassement a été achevée en septembre 2002. Ces arrêtés sont actuellement mis en application.

L'activité professionnelle antérieure des magistrats qui devaient faire parvenir leur demande de reconstitution de carrière au 30 juin 2002 sera prise en compte à la fin du mois.

L'important mouvement de l'été donne lieu à des arrêtés d'élévation d'échelon ou de grade au fur et à mesure de la transmission par les cours des dates d'installation des magistrats concernés.

Enfin, pour l'avenir j'ai donné des Instructions précises à la DSJ pour :

  • réduire les délais de reclassement ;
  • anticiper de trois mois la procédure de prise d'échelon afin que les incidences financières coïncident exactement avec la date d'effet juridique.

Comme vous le savez, le régime indemnitaire des magistrats de l'ordre judiciaire n'a pas été revalorisé depuis 1996.

Cette revalorisation m'apparaît aujourd'hui indispensable.

En effet, parmi les cadres du plus haut niveau de l'Etat, les magistrats sont ceux dont le régime indemnitaire est le plus défavorable. Et parmi ces personnes chargées de juger, ce sont les magistrats de l'ordre judiciaire qui ont, et de loin, les primes les plus basses. Non seulement, cette situation n'a pas de justification technique, mais en outre, elle est en totale contradiction avec la place que la Justice et ceux qui la mettent en œuvre ont aux yeux des Français.

Le premier objectif que je me suis fixé, c'est que l'ensemble des magistrats relevant du Ministère de la Justice, c'est à dire les magistrats judiciaires et administratifs, aient un régime indemnitaire déjà au moins aussi favorable que les membres des chambres régionales des comptes.

Cette première étape sera elle-même, pour des raisons de masse budgétaire, subdivisée : dès l'année 2003, votre taux moyen de prime passera de 37 % à 41 %, soit une augmentation de quatre points. Mais j'espère atteindre rapidement -très rapidement- le niveau des chambres régionales des comptes, c'est à dire 47,5 %.

Cet alignement vers le haut nous amènera à examiner en très étroite concertation les conditions d'ensemble d'une répartition tenant compte, pour une part, de l'activité et des charges de travail. Dans le même esprit, les modalités de répartition des indemnités compensant les vacances de postes seront étudiées.

Mais il est évident qu'au-delà, il faut réfléchir au niveau relatif des rémunérations des magistrats et des hauts fonctionnaires, ce sera mon second objectif.

Les qualités humaines du magistrat sont primordiales. Sens de l'essentiel, volonté de comprendre, esprit d'ouverture, refus des certitudes, indépendance, y compris vis-à-vis de l'opinion : autant de qualités indispensables lorsque l'on est amené à prendre des décisions qui peuvent bouleverser le cours d'une existence, l'équilibre d'une famille ou le destin d'une entreprise.

Toutes ces qualités doivent être étayées par de solides compétences juridiques, mais aussi techniques.

C'est pourquoi la formation initiale des magistrats doit être aussi complète que possible. Elle est d'excellente qualité. Elle doit continuer de s'ouvrir aux évolutions de la société et du monde contemporains.

Je sais que des efforts importants ont déjà été accomplis dans ce domaine. Ils doivent être développés, notamment dans ces matières aujourd'hui indispensables : techniques d'administration et de gestion ; définition et conduite de politiques publiques ; connaissance précise du monde socio-économique.

Le jeune magistrat doit disposer d'une large palette de possibilités de mobilité temporaire dans le secteur public. Ces mobilités doivent être encouragées et valorisées. Ils sont des gages d'enrichissement pour l'exercice de votre métier.

Je sais que la situation matérielle des auditeurs de justice, et particulièrement leur régime indemnitaire, nécessite des réponses concrètes dans les délais les plus brefs.

La Cour des Comptes avait souligné l'absence de base juridique suffisante au versement des indemnités tel qu'il se pratiquait jusqu'à présent. Des mesures transitoires ont été prises en avril 2002. Je les ai étendues à l'ensemble des auditeurs début août.

Dès le début de l'an prochain, un nouveau régime aligné sur celui des grandes écoles de la fonction publique entrera en vigueur. Les projets de textes réglementaires nécessaires ont fait l'objet d'une concertation avec les organisations syndicales le 11 juillet dernier. A l'issue de l'examen interministériel en cours, ils pourront être publiés.

Parallèlement à l'effort mené en faveur des magistrats, les fonctionnaires des services judiciaires verront également leurs statuts évoluer dès 2003.

L'objectif est d'utiliser au mieux l'ensemble des moyens disponibles et les capacités de chaque agent en rendant le travail de celui-ci plus intéressant à tous les niveaux.

B) Les moyens :

J'ai souhaité ainsi que le renforcement de l'institution judiciaire passe par l'allocation de moyens sans précédent.

En adoptant la loi du 9 septembre 2002, le Parlement, conformément à l'engagement pris devant les Français par le président de la République et le gouvernement, dote la justice de moyens supplémentaires d'une ampleur inégalée. D'importantes mesures de fond et de modernisation accompagnent ces moyens. Cet effort massif sera conduit dans la durée, sur des objectifs précis, et sur la base d'une évaluation inscrite dans la loi, tout au long de la législature.

Cette démarche procède d'une triple volonté de modernisation :

  • Modernisation par l'augmentation des moyens matériels : ce préalable était, à l'évidence, indispensable. On a souvent trop demandé à la Justice sans lui donner les moyens correspondants. On a parfois fait des réformes non financées, et dépourvues d'un réel appui logistique. Ce premier objectif, qui est la clé de tout le reste est atteint.
  • Modernisation par l'organisation des services : parce qu'il faut dans l'intérêt public utiliser la ressource disponible et parce qu'aux moyens doivent correspondre une méthode.
  • Modernisation par le droit : parce qu'il faut améliorer l'efficacité des procédures au service des citoyens, développer l'efficacité des réponses à la délinquance comme l'effectivité des mesures de réinsertion.

Cette programmation sans précédent remet la France en phase avec ses partenaires européens : la loi prévoit que le montant global des crédits affecté au ministère de la Justice s'élèvera à 3,650 milliards d'€ en dépenses ordinaires et en dépenses en capital. Elle renforce l'ensemble de l'institution par la création de 10.100 emplois.

Le budget 2003 nous permettra de mettre en œuvre la première tranche de la programmation. Le budget du ministère de la justice progresse de 348 M€, soit une hausse de 7,43 %. Il comporte le 5ème des emplois prévus sur les 5 ans.

Ce budget crée en effet 2 026 emplois dont :

  • 180 emplois de magistrats. Ces créations renforceront la chaîne pénale. Elles permettront d'améliorer l'exécution des peines et la réduction des délais de traitement des affaires.
  • 520 emplois de fonctionnaires des greffes.
  • 314 emplois pour la PJJ dans le cadre de la priorité donnée à la lutte contre la délinquance des mineurs.

Comme vous le savez, il n'y a pas de relation directe immédiate entre ces emplois et les moyens nouveaux arrivant en juridiction en raison notamment des délais de recrutement et de formation, des départs en retraite, etc… Aussi le chiffre que je souhaiterais que vous reteniez est le suivant : dès 2003, les juridictions disposeront de 290 magistrats supplémentaires, et de plus de 800 fonctionnaires des greffes.

Les juridictions des mineurs seront considérablement renforcées : j'ai décidé de marquer cette priorité en augmentant de 20 % les effectifs de juges des enfants en 2003. Les sections des mineurs des parquets seront également renforcées.


Il s'agit de donner des moyens plus nombreux et adéquats au juge pour lui permettre de répondre à l'évolution de la délinquance et de conduire une réinsertion plus efficace et plus adaptée à chaque personnalité.

C) les méthodes :

Les moyens du budget 2003 comme ceux de l'ensemble de la période, seront déployés sur un programme d'action précis et accompagnés d'un important effort de modernisation, de l'organisation et des méthodes.

Ces moyens sont ciblés au service de la modernisation de la justice :

Il ne s'agit pas en effet de se limiter au quantitatif.

Il faut recentrer les magistrats sur leurs missions essentielles. Des équipes d'assistants seront mises en place autour de vous. Vous serez délestés des tâches indues (certaines commissions administratives, par exemple). Vous disposerez de collaborateurs qualifiés, les " greffiers-rédacteurs ". Sous votre contrôle et selon vos instructions, ils prépareront des projets d'actes juridictionnels et accompliront des recherches juridiques.

Une nouvelle méthode d'allocation des ressources sera définie. Des contrats d'objectifs seront passés avec les juridictions : des moyens en personnel et en crédits de fonctionnement seront alloués sur des objectifs précis de réductions des stocks et des délais. Ces contrats seront accompagnés de mesures d'organisation et d'amélioration du fonctionnement des juridictions définies en concertation avec l'ensemble des magistrats et fonctionnaires concernés.

La modernisation des règles de procédure civile sera poursuivie.

La qualité de la justice civile passe par un procès au déroulement bien maîtrisé, où des rendez-vous judiciaires peuvent être programmés et tenus, où les incidents de procédure peuvent être réglés en amont pour permettre au juge de se consacrer le moment venu aux questions de fond.

Il faut également intégrer le souci de simplification des procédures, tout en le conciliant avec les nécessités de la sécurité juridique.

Des décrets ont été pris au cours de ces dernières années qui ont introduit certaines mesures relatives à l'instruction des procédures. Je pense, en particulier, à celui faisant suite au rapport du Président COULON et à la meilleure formulation des écritures.

D'autres mesures sont actuellement en préparation qui seront replacées dans le cadre d'une réflexion plus globale, sur la qualité et l'efficacité de la justice civile, sur lesquelles vous serez bien sûr consultés.

La création d'un nouvel ordre de juridiction, les juges de proximité, participe de ce même mouvement d'amélioration du fonctionnement. Il ne s'agit pas d'empiéter sur la compétence des juges d'instance. Vous avez évoqué certains extraits de mes déclarations devant le Sénat.

Permettez-moi de citer à mon tour des propos empreints de beaucoup de bon sens, d'un magistrat, tenus le 27 mars 2002, devant la commission des lois de cette assemblée : " Les demandes de justice sont importantes, en matière pénale comme en matière civile, mais nous estimons que toutes les affaires ne sont pas d'égale importance (…)


Est-il utile de faire intervenir un juge en matière civile, parce qu'un client est mécontent, sans doute à juste titre, d'un pressing qui a taché une robe qu'il a payée 20 euros ? (…) Le juge doit demeurer un recours pour les affaires importantes, ce qui ne signifie pas que les personnes n'ont pas besoin de décisions. Il faut mettre en place de véritables moyens procéduraux simplifiés. (…) La crédibilité de l'Etat est ici en jeu. " (fin de citation)

Je crois que je ne saurais mieux expliquer pourquoi 90 % des Français, interrogés par l'institut CSA, sont favorables à la création du juge de proximité et pourquoi le Parlement a voté massivement pour cette innovation, qui, comme toute innovation, peut faire l'objet de critiques.

L'institution d'une nouvelle juridiction ne constitue nullement une critique implicite des précédentes.

Les juges d'instance ont pleinement leur part dans l'œuvre judiciaire. La création du juge de proximité, loin de les dévaloriser, pourra être l'occasion de leur transférer de nouvelles attributions contentieuses nécessitant une expérience judiciaire à la mesure des qualités qui sont les leurs.

Mais un constat ne peut être occulté.

Les Français, et ils le disent très clairement, ne trouvent pas dans l'institution judiciaire actuelle une réponse appropriée à certains types de contentieux.

Et cette réponse ne peut consister dans la seule augmentation du nombre des magistrats professionnels.

Bien sûr, il faut renforcer les effectifs du corps, bien sûr il faut des moyens supplémentaires et cela, vous le savez, la loi de programmation l'a prévu.

Mais il faut aussi une approche diversifiée.

Le juge non professionnel est déjà une réalité de nos institutions.

Faut-il le cantonner à des contentieux très spécialisés comme celui des prud'hommes ?

Je suis convaincu, comme nos concitoyens, qu'il y a place, même dans le contentieux de droit commun à coté des juges d'instance et des conciliateurs de justice, pour un troisième personnage qui doit être facilement identifiable. C'est pour cela qu'il faut en faire une juridiction autonome.

Le Conseil Constitutionnel a rappelé que le juge de proximité doit exercer une part limitée des compétences des tribunaux d'instance et bénéficier des garanties statutaires appropriées.

C'est précisément l'objet du projet de loi organique actuellement en discussion devant le Parlement.

J'ai conscience que la question de l'élargissement du recrutement et celle du renouvellement de fonction, sont délicates. La réflexion se poursuivra, j'y veillerai, au cours de la navette parlementaire, au regard, en particulier, des exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Quant aux moyens pour mettre en œuvre cette réforme, je tiens à vous assurer qu'ils sont prévus.

J'aurais l'occasion de les exposer après l'adoption de la loi organique.

Il faut aussi s'attacher à moderniser par le droit.

Je veux vous dire clairement que le ministère de la justice est et doit demeurer le ministère du droit .

Je veille et je continuerai à veiller à ce que les principes fondateurs de notre droit et des libertés soient préservés.

J'ai besoin de votre concours dans cette mission :

  • par les avis et propositions dont vous pouvez me faire bénéficier dans le cadre d'une indispensable concertation sur les textes ;
  • par votre expérience de l'application de la loi.

Avant d'aborder brièvement le fond du droit, je voudrais préalablement dire quelques mots de l'expérimentation en matière normative.

Vous le savez le projet de loi constitutionnelle relatif à la décentralisation ouvre à l'Etat la possibilité d'expérimenter des réformes en matière législative comme réglementaire.

A ceux qui voient dans cette faculté la fin de l'unité de la République et la disparition de la souveraineté régalienne de l'Etat, je dis très simplement que leurs inquiétudes ne sont pas fondées.

Il ne faut pas se méprendre : à aucun moment le Gouvernement n'a imaginé qu'il puisse y avoir une décentralisation de la justice.

La seule expérimentation qui serait éventuellement rendue possible en la matière par la révision constitutionnelle consisterait par exemple à tester une réforme de procédure dans le ressort d'une cour d'appel, puis à demander aux chefs de cour un rapport, au bout d'une année, avant de décider du maintien, de la généralisation, ou de la suppression de cette réforme.

Il ne s'agit donc en aucun cas d'instituer une différenciation pérenne des normes selon les régions.

Au demeurant, cette expérimentation est déjà possible, selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, sans que le domaine judiciaire soit par principe exclu.

L'expérimentation n'écarte pas en elle-même les principes fondamentaux qui nous gouvernent au rang desquels figure l'égalité des citoyens devant la loi. Elle doit se concilier avec eux. Cette conciliation doit être appréciée spécifiquement à chaque expérience.

J'observe d'ailleurs que vous-même reconnaissez à l'expérimentation toute son utilité puisque vous auriez souhaité faire du juge de proximité, à titre expérimental, un auxiliaire du juge d'instance.

Avant d'aborder les questions relatives au droit pénal et à l'action publique, je souhaite développer brièvement la question du rôle et de la place du ministère public, dont je reparlerai très prochainement avec l'ensemble des procureurs généraux et des procureurs

Je réaffirme d'emblée le maintien des principes-clefs que vous connaissez et auxquels vous êtes justement attachés :

  • L'unité du corps judiciaire,
  • L'indivisibilité du ministère public,
  • La hiérarchie du ministère public,
  • La loyauté,
  • La direction effective de la police judiciaire,
  • La dyarchie à la tête des juridictions


Un principe-clef : l'unité du corps judiciaire :

Au-delà des différences existant entre les fonctions du siège et celles du parquet, ces dernières se caractérisent par un triple souci :

  • de représentation de l'intérêt général,
  • de garantie et de protection des libertés individuelles,
  • d'impartialité et de qualité de l'expertise juridique donnée dans le cadre du débat devant le juge pénal, civil ou commercial.

Tout cela manifeste une éthique professionnelle commune à l'ensemble des magistrats qui leur permet d'exercer alternativement, dans leur carrière, les fonctions du siège et celles du parquet.

La hiérarchie du parquet, n'a d'autre objet que de permettre au ministère public d'assurer, dans le seul souci de l'intérêt général, en toute impartialité et de la meilleure façon possible, l'application égale de la loi sur le territoire de la République.

La cohérence de la politique pénale est une nécessité, rappelée avec force par le Président de la République pour garantir l'application de ce principe.

A cet effet, les directives générales procèdent du pouvoir du Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la Nation (conformément à l'article 20 de la Constitution) dans le cadre tracé par le législateur.

Au-delà de l'accompagnement technique de la législation, j'entends également par ce moyen, conformément au message reçu des Français, assurer :

  • une action publique unifiée,
  • une présence toujours plus grande de la dimension judiciaire des politiques publiques, particulièrement au niveau local, en concertation avec les élus,
  • une meilleure cohérence de l'intervention de la justice sur le territoire,
  • la continuité et la cohérence de l'effort déployé par l'ensemble des acteurs de la sécurité.

Il appartient en effet aux Parquets de tenir pleinement leur place dans la conduite d'une véritable politique d'action publique , non seulement dans la recherche des auteurs d'infractions , mais aussi dans les domaines de la prévention, de la dissuasion du crime. La loi leur donne un rôle d'impulsion et de direction dans lequel je souhaite qu'ils s'investissent à plein et pour lequel ils ont mon entier soutien .
Je ne saurais trop insister sur la nécessaire coopération avec les préfets et avec les diverses administrations, dès lors qu'il s'agit d'agir en commun très en amont du crime, sur les facteurs de prévention . L'action de l'Etat ne peut qu'en être globalement renforcée, sans que cela ne porte atteinte à ce qui, en aval, est du strict ressort de l'autorité judiciaire .

La pertinence de votre action doit également découler d'une écoute et d'un échange d'information avec les élus . Ils représentent la population et ses attentes . Ils ne peuvent que vous aider à définir vos priorités d'action publique. Il est aussi très utile que, comme à l'égard des administrations, vous puissiez leur faire connaître et prendre en compte les impératifs et les spécificités de l'intervention judiciaire.

Cette cohérence de la politique pénale repose également sur l'expertise technique que la Chancellerie doit pouvoir apporter aux parquets ainsi que sur les instructions de procédure dans les affaires ponctuelles, tel que le prévoit d'article 36 du code de procédure pénale. Je ne saurais renoncer a priori à une compétence qui n'a d'autre objet qu'une meilleure application de la loi pénale et qui préserve l'indépendance d'appréciation des magistrats du siège et ne peut permettre d'entraver la saisine d'une juridiction.

En ce qui concerne maintenant le Droit pénal et la procédure pénale, je voudrais vous apporter quelques éclaircissements :

Le projet de loi sur la sécurité intérieure correspond d'abord à un engagement du Gouvernement lors de la discussion des deux lois d'orientation (Justice et Sécurité Intérieure) de l'été.

L'objet du projet de loi sur la sécurité intérieure est simple : renforcer la législation sur les armes, encadrer les activités de sécurité privée, étendre la compétence des officiers de police judiciaire au département, pérenniser certaines dispositions de la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, instituer ou préciser certaines incriminations de voie publique.

Quant à la réforme de la procédure pénale : vous le savez, la complexité croissante du cadre procédural limite l'efficacité de la lutte contre la délinquance et la criminalité sans apporter de réelles garanties supplémentaires.

Nous avons simplifié certains régimes procéduraux : je citerais à titre d'exemple la comparution immédiate, l'unification du seuil de placement en détention provisoire, la suppression du débat devant le juge d'application des peines en cas d'accord sur l'aménagement d'une peine, l'aménagement des délais d'examen des demandes de mise en liberté.

Ce travail n'est évidemment pas achevé. Il doit se poursuivre. Il faut en effet simplifier encore les procédures et l'organisation pour que les moyens considérables que j'ai obtenus soient utilisés plus efficacement.

Il faut simplifier les procédures civiles.

Dans le vaste domaine du droit des personnes, le droit de la filiation, du divorce, des successions et des libéralités doit être réaménagé.

Il faut simplifier les procédures de divorce notamment le divorce par consentement mutuel, ou la seconde comparution ne m'apparaît pas devoir être systématiquement maintenue mais qui doit cependant, j'en suis convaincu, rester une procédure judiciaire. Il faut dédramatiser les divorces pour faute sans pour autant les supprimer - ce serait irréaliste.

Il faut qu'à l'occasion du divorce, soient trouvées des réponses aux difficultés qui persistent en matière de prestation compensatoire et que des mesures soient prises pour permettre une liquidation rapide du régime matrimonial.

Je souhaite qu'un texte soit finalisé d'ici l'été 2003. Mes services y travailleront dans la concertation la plus ouverte.

Il faut aussi continuer à simplifier les procédures pénales.

C'est pourquoi de futures dispositions de droit et de procédures pénales sont à l'étude à la Chancellerie. Vous y serez, de même que le Barreau, étroitement associés. Il s'agira de développer les moyens à disposition des magistrats pour une procédure efficace. Il s'agira également de mieux réprimer le crime organisé.

J'ai bien conscience que même en améliorant les moyens à votre disposition et donc l'efficacité de vos actions et de vos décisions, il subsiste un problème qui, s'il n'est pas résolu, ne manquera pas de provoquer une grande frustration. Il s'agit de l'exécution des décisions.

Je ne peux qu'abonder dans votre sens, quand vous relevez la convergence des préoccupations du Gouvernement et les vôtres.

Le " Livre blanc sur la Justice " que vous avez publié en avril 2002, a apporté, sur ce sujet notamment, une contribution de grande qualité au débat public sur la justice.

Le rapport de l'Inspection générale des services judiciaires qui m'a été remis tout récemment souligne la pertinence des analyses de l'USM : il met en évidence le problème prioritaire des moyens dont disposent les juridictions pour assurer l'exécution des peines.

Les moyens dégagés par la loi du 9 septembre 2002 apportent une première réponse.

Je souhaite poursuivre cet effort sur l'exécution des peines : ce rapport doit déboucher sur des résultats pour que la justice n'encourt plus le reproche d'être " virtuelle ".

J'ai décidé de publier ce rapport en sollicitant les observations et la contribution de tous ceux qui le souhaiteront.

Un comité de suivi, composé de magistrats et de fonctionnaires des juridictions sera associé aux travaux mené par les directions pour mettre en place des solutions qui devront être effectives et rapides .

Certes, il y a bien d'autres chantiers, et vous avez vous-même ouvert de nombreuses pistes qui méritent d'être explorées, dans le dialogue.

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Vous le constatez, nous avons une tâche immense à mener . Je suis convaincu que nous allons réussir.

Mais cela suppose que nous conjuguions nos efforts .
Les hommes et les femmes que j'ai rencontrés dans le monde judiciaire depuis bientôt six mois m'ont - au-delà de leur diversité - tous frappé par leur qualité et leur engagement au service de la justice .

Je sais donc pouvoir compter sur eux ,sur vous tous, comme vous pouvez compter sur ma détermination sans faille et sur celle du gouvernement pour vous aider dans l'accomplissement des missions qui sont les vôtres. Il n'en est pas de plus essentielles dans la République.

Je vous remercie.