[Archives] Conseil scientifique de lutte contre la radicalisation
Publié le 31 août 2016
Discours de Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Installation du Conseil scientifique de lutte contre la radicalisation violente
Mercredi 31 août 2016 - Chancellerie
Seul le prononcé fait foi
Je vous remercie d’avoir accepté de prendre part à ce Conseil scientifique dont j’ai souhaité la création et de participer aujourd’hui à son installation.
C’est un honneur pour moi que vous ayez accepté de le rejoindre.
Paul Guimard avait coutume de dire : « le pouvoir ne donne pas d’idées, il donne des moyens ».
J’essaie tous les jours de lutter contre cette fatalité ou, à tout le moins, d’en atténuer la portée.
Au minimum, je souhaite donner des moyens aux idées.
C’est pourquoi, il m’est apparu absolument indispensable d’associer les universitaires à la réflexion que nous sommes en devoir de conduire.
Je le réalisais déjà dans l’opposition, puis à la Commission des Lois, aujourd’hui, je veux continuer d’agir ainsi, en donnant un tour plus officiel qu’auparavant à cette démarche.
Ce Conseil Scientifique sera dans un premier temps concentré sur la question de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente.
Mais j’espère qu’il me survivra et verra son spectre croître en fonction des besoins du ministère.
Cette première « étape » de la vie du Conseil Scientifique est particulièrement lourde et prégnante dans la mesure où leministère de la Justice est concerné au premier chef par la lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente.
De fait, les directions ont porté de nombreux projets :
-
pour comprendre,
-
pour lutter contre le phénomène,
-
pour prendre en charge
-
et pour accompagner les publics concernés mais aussi l’action que nous devons conduire.
Nous avons beaucoup expérimenté, beaucoup d’initiatives ont été mises en œuvre.
Il est temps à présent d’évaluer, de prendre du recul et de voir très simplement ce qui marche, ce qui ne marche pas, les causes de ces constats et comment nous améliorer.
Cette démarche doit naturellement être conduite en premier lieu au sein des directions, et il m’a donc semblé essentiel de créer un Comité de pilotage (COPIL), les réunissant pour :
· évaluer les dispositifs de lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente déjà engagés par le Ministère.
· coordonner et harmoniser ces dispositifs, y compris les travaux de recherche menés en partenariat avec les administrations,
· construire, à partir des différents travaux de recherche et des expériences déjà conduites, une doctrine d’évaluation et de prise en charge unifiée de la radicalisation violente,
Mais ce COPIL, au sein duquel participeront des représentants du Conseil Scientifique, a vocation à se nourrir de votre regard, de vos travaux, de vos propositions d’idées, de vos critiques aussi.
La perspective administrative, aussi noble soit-elle, doit s’enrichir de vos diversités, de vos divergences.
De même, au-delà de la simple évaluation des dispositifs mis en place par les directions, il me semble essentiel d’explorer de nouvelles pistes et d’imaginer de nouveaux protocoles d’action.
-
C’est, là aussi, dans cette mission, que j’aurai particulièrement besoin de vous, en indispensable complément aux réflexions que peuvent conduire les directions.
J’insiste sur la complémentarité des deux organes (COPIL et Conseil Scientifique).
Pour moi, cette articulation est une évidence.
Elle doit donc l’être dans les faits.
La fécondité de la recherche, la proximité du terrain et les enseignements de la pratique doivent venir nourrir nos actions.
Je serai très attentif aux productions de ce Conseil Scientifique et à l’écho qu’elles pourront trouver au sein du COPIL et au sein des directions.
Mon cabinet sera chargé de veiller à ce processus d’enrichissement.
Les objectifs que je viens d’assigner trouvent une traduction dans la composition de ce Conseil.
Certains d’entre vous se connaissent déjà, d’autres pas du tout.
J’ai souhaité que diverses disciplines soient représentées : sociologie, psychologie, sciences politiques, droit, sciences cognitives et comportementales, science des religions, philosophie, etc.
Cela est essentiel pour explorer ce défi sous tous ses angles, du moins sous le maximum d’angles possibles.
Cette pluridisciplinarité nous invite à ne laisser de côté aucune hypothèse :
- travailler sur le rapport à la société,
- le rapport à soi et aux autres,
- les mécanismes cognitifs,
- le passage de la décision à l’action,
- la révision des croyances,
- les méthodes d’apprentissage, etc.
Chacun d’entre vous est la pièce d’un puzzle qui va nous permettre de pallier nos lacunes et de disposer d’une vue d’ensemble plus riche, plus complexe, plus proche de la réalité.
J’ai souhaité que le Conseil réunisse à la fois des chercheurs habitués à mener des travaux dans les prisons et qui sont déjà en partenariat avec l’Administration pénitentiaire avec d’autres chercheurs qui n’ont jamais eu la prison comme terrain de recherche.
Je voulais que le Conseil rassemble des spécialistes de la radicalisation, mais aussi des chercheurs travaillant sur des problématiques proches.
J’ai souhaité que des praticiens et membres des directions du ministère soient également présents, de manière à ce qu’un échange fécond puisse avoir lieu.
J’aimerais souligner le caractère inédit de cette politique publique : nous devons développer une culture de l’évaluation plus poussée, une culture de la coordination, une culture de l’hybridation, une culture de la recherche, aussi.
L’essor du terrorisme et de la radicalisation violente nous pousse dans nos retranchements ; il fait éclater nos catégories, nos concepts, nos habitudes.
Le danger serait de l’appréhender avec des méthodes classiques.
Il peut être, il doit être l’occasion pour nous, de porter un regard sur notre manière de travailler.
D’avoir le courage de visiter d’autres chemins.
Voilà l’ambition que j’ai et que je souhaiterais voir partagée dans ce Conseil Scientifique.
De manière très concrète, je souhaiterais que ce Conseil Scientifique se réunisse au moins mensuellement, à date fixe, pour que ce soit plus simple, si possible tous les premiers lundis matins du mois.
J’ai demandé à mon cabinet de suivre tous vos travaux et de participer à leur animation.
A chaque session, un thème spécifique et convenu à l’avance sera traité :
· le COPIL devra vous avoir transmis à l’avance des documents concernant la thématique, de manière à ce que vous ayez pu les étudier en amont et que la séance soit le lieu d’un échange entre vous, d’approfondissement, de transmission d’interrogations, de propositions d’expérimentation, de réorientation...
De la même manière, les documents que vous aurez produits seront transmis au COPIL pour que ses membres puissent travailler en amont.
-
L’idée est vraiment d’instaurer des échanges denses et durables entre les séances pour que ce travail collectif soit encore plus fécond.
Je ne serai donc pas plus long, de manière à ce que nous puissions en discuter dès à présent.
Je vous remercie.