[Archives] Deuxième édition des "entretiens du palais" à Bordeaux

Publié le 08 octobre 2004

Intervention du garde des Sceaux

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12 minutes

Mesdames et Messieurs les magistrats,
Mesdames et Messieurs les avocats,
Mesdames et Messieurs,


Avant toute chose, je tiens à remercier chaleureusement les organisateurs de cette deuxième édition des « entretiens du palais » de leur invitation.

Je veux saluer d’abord l’initiative qui permet de faire dialoguer les différents acteurs de notre système judiciaire.

Si le prétoire est fréquemment un lieu de confrontation, il est essentiel de veiller à ce que le débat se poursuive dans la sérénité lorsqu’il s’agit de réfléchir au sens de notre justice.

Il me faut d’autant plus remercier les organisateurs de cette invitation, que je crois être, à lire le programme des débats, un peu l’initiateur des sujets qui vous occupent !…

Je vais donc tenter de répondre à une actualité très fournie.

Les hasards du calendriers veulent que je m’adresse à vous une semaine à peine après l’entrée en application d’une partie importante de la loi du 9 mars 2004 rapidement baptisée du nom de PERBEN II, du fait même de ses détracteurs !…

Au-delà de cette actualité, je veux surtout défendre l’idée que la simplification de la justice est possible.
S’afficher devant vous praticiens des arcanes et des subtilités de nos codes de procédures, comme le ministre de la « simplification » peut résonner comme une provocation.

Mais je considère que la simplification s’impose pour rendre notre Justice plus efficace et plus sereine.

A force de détourner le regard de la lenteur et de la complication des procédures, nous ne trouvons de réponse que dans la multiplication des voies d’urgence : c’est le cas du développement du référé et des audiences de comparution immédiate.

Nous laissons les instances se noyer dans le flot de l’abattage, quand nous pourrions commencer par résorber, de manière systématique, les facteurs de ralentissement inutile du processus judiciaire.

Simplifier la Justice, c’est refuser la fracture qui s’aggrave entre la justice des professionnels et le tribunal de l’opinion.

Simplifier les procédures, c’est restaurer le lien de confiance entre les citoyens et la Justice. C’est rechercher une justice rendue dans des délais raisonnables qui préserve les conditions du procès équitable.

La simplification de la Justice n’est pas l’affaire exclusive d’un ministre : ce doit être une ambition partagée entre les professionnels et les citoyens.

La simplification de la justice s’inscrit dans l’action de modernisation de l’Etat engagée par le gouvernement sous l’autorité du Président de la République

L’idée de simplification ne recueille pas spontanément l’adhésion des juristes. Ce réflexe à mes yeux est moins corporatiste qu’intellectuel.

Simplifier les procédures, redoutent certains, c’est mettre en péril l’armature qui soutient l’édifice du droit, c’est céder, en somme, à un désir d’immédiateté qui serait contraire à l’idée de Justice.

C’est vrai, la complexité des lois et des procédures est le reflet du développement de la civilisation et des libertés. Mais, comme le savait aussi Montesquieu, dans une République bien ordonnée, la bonne justice se garde de complications superflues.

La bonne procédure est celle qui permet au procès d’avancer, pas celle qui vise à se dégager de la loi.

Quittons un temps l’enceinte des Palais de Justice et regardons la société dans son entier, pour prendre la mesure de la nécessité de la simplification de notre droit. Car le défi auquel est confrontée la Justice n’est pas isolé : il se pose à l’ensemble de nos institutions. En un mot, il se pose à notre Etat.

La relation entre les citoyens et l’Etat est complexe.
C’est à tort qu’on oppose les plaintes de ceux qui dénoncent les excès de réglementation à l’inquiétude de ceux qui redoutent le retrait de l’Etat.

Les uns et les autres partagent, au fond, une même aspiration : celle d’un Etat assuré dans ses missions, plus efficace, et à l’autorité recouvrée et respectée.

C’est à cette aspiration profonde des Français que le Président de la République a répondu, en octobre 2002, en fixant au gouvernement un objectif de réforme : « l’État, en se modernisant, devra continuer à exercer ses missions au service de la cohésion nationale. »

Le gouvernement modernise l’Etat pour le recentrer sur ses missions fondamentales et pour lui donner une autorité accrue.

Un Etat moderne et efficace, voilà ce que veulent nos concitoyens, voilà ce que veut le gouvernement, et voilà ce que je veux également pour la Justice.

La simplification est une composante de cette modernisation : elle participe de l’exigence de qualité du service public.

La demande de simplification n’est pas seulement le fruit d’une pression s’exerçant de l’extérieur sur la Justice. Elle émane aussi des professionnels du droit eux-mêmes, des magistrats comme des avocats.

Tous les jours, dans vos activités, vous faites l’expérience de démarches inutiles, de ces lenteurs injustifiées voire de ces blocages injustifiables qui entravent le bon déroulement d’une affaire.

La simplification s’impose. Mais il ne tient qu’à nous de savoir en faire une chance. C’est aussi l’occasion de pouvoir se recentrer sur l’essentiel en prenant en compte la transformation des métiers.

J’en veux pour illustration, le foisonnement des commissions administratives, fruit de la loi ou de règlements. Pourquoi faut-il, par exemple, mobiliser des magistrats pour le comité de la protection des obtentions végétales ou pour décider de l’attribution de la médaille de la famille française?

J’avais pris devant les magistrats l’engagement de les retirer de commissions dans lesquelles leur présence n’est plus justifiée. Cela a commencé à se traduire dans les faits par la publication de l’ordonnance du 1er juillet dernier. D’autres retraits interviendront d’ici la fin de l’année.

Mais le cœur de la simplification de la justice tient à la refonte des procédures et au sens que l’on veut donner aux différents degrés de juridiction. Pour ma part, je considère que dès la première instance, la justice doit être rendue dans les meilleures conditions.

Si l’on souhaite que la première instance soit la mieux adaptée pour les parties à la résolution d’un contentieux, il faut en repenser le déroulement.

Le décret du 20 août 2004 marque le point de départ de la simplification du traitement des affaires en première instance.

L’innovation en procédure civile est en marche.

Le décret qui vient d’être publié va entraîner des modifications en profondeur dans la conduite du procès et, par conséquent, dans vos pratiques quotidiennes.

La réforme consacre, tout d’abord, des expériences concluantes menées sur le terrain, pour une meilleure efficacité de la justice civile.
Ainsi en est-il des dispositions qui concernent la mise en état et qui s’inspirent des « contrats de procédure » mis en place dans certaines juridictions.

Ces expérimentations témoignent de l’importance de la mise en état, qui n’est pas une phase de la procédure parmi d’autres mais qui en est la clef de voûte.

Le décret tend à la simplifier afin qu’elle remplisse exactement son rôle essentiel qui est, littéralement, de mettre une affaire en état d’être jugée.

Ainsi, le juge de la mise en état pourra prononcer le retrait du rôle de l’affaire. Cette mesure déchargera magistrats et avocats de diligences particulièrement inutiles, notamment lorsqu’un rapprochement est en cours entre les parties.

Le juge de la mise en état pourra également statuer sur les incidents mettant fin à l’instance.

Je pense au désistement, à la péremption, à la caducité ou à l’acquiescement.
Cette nouvelle disposition est une disposition de bon sens. Le juge de la mise en état est un magistrat à part entière. Il doit pouvoir, sans attendre, statuer sur des difficultés de nature à rendre inutile un jugement sur le fond.

Par ailleurs, la réforme harmonise et modernise l’exercice des voies de recours.

Le décret impose désormais que tous les appels soient formés à la cour et non plus auprès de la juridiction qui a rendu la décision.

Les modalités de la déclaration d’appel sont ainsi uniformisées et le justiciable connaît immédiatement la juridiction appelée à statuer sur l’affaire.

Le décret procède aussi à la fusion de l’acte d’appel et de la demande d’inscription au rôle.

Je suis persuadé que ce nouveau dispositif, permettant la saisine immédiate de la cour, aura des conséquences profitables sur les délais d’audiencement des affaires sans pour autant nuire aux droits des parties.

Enfin, et c’est, pour moi, une disposition essentielle, le décret généralise la représentation obligatoire par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, dans toutes les matières non répressives, à l’exception de la matière électorale.

Cette réforme, réclamée de longue date par la Cour de cassation, pourrait de manière erronée apparaître contraire à l’objectif de simplification. En effet, l’opinion est largement répandue qu’il suffit d’avoir accès à un juge pour que ses droits soient naturellement reconnus.

Cependant, nul ne l’ignore, la proportion des pourvois déclarés irrecevables, non admis ou rejetés, est très supérieure dans les affaires où le requérant n’est pas représenté, en particulier si son adversaire bénéficie de l’assistance d’un avocat spécialisé.

Cela tient à la mission de la Cour suprême qui est le lieu d’un vrai débat juridique où le rôle des professionnels est crucial.

C’est pourquoi, recourir à un avocat spécialisé se traduira par un meilleur traitement des affaires dans l’intérêt du justiciable.

Soucieux que cette réforme ne se traduise pas, dans les faits, par des difficultés d’accès à la juridiction suprême, j’ai modifié la loi relative à l’aide juridique afin d’en assouplir les conditions d’admission.

J’ai veillé notamment à ce que l’indemnité de licenciement soit exclue de l’appréciation des ressources pour bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Sont ainsi préservés tout à la fois les droits des justiciables et l’efficacité du service de la justice.

Une autre étape a été franchie avec la réforme du 26 mai 2004 relative au divorce.
Le divorce représente chaque année pour 110.000 couples une véritable épreuve. La réforme vise à apporter plus de simplicité, en respectant mieux le choix des parties, et à faciliter la pacification des conflits familiaux.

Il s’agit d’abord d’offrir plus de simplicité lorsqu’une affaire ne soulève pas de difficulté. Grâce au nouveau divorce par consentement mutuel, les époux qui s’accordent sur le principe de la rupture et ses conséquences pourront obtenir très rapidement un jugement.

La loi a aussi simplifié les autres procédures dites « contentieuses » par la création d’un tronc commun procédural.

Le divorce pour faute est maintenu. Mais la place qu’il occupe dans le nouveau système est amenée à évoluer de façon importante.

La réforme a profondément rénové les autres cas de divorce avec un double souci :

  • mieux respecter la volonté des parties et permettre ainsi aux époux d’accepter le principe de la rupture sans référence à sa cause,
  • tirer les conséquences d’une altération définitive du lien conjugal lorsque les époux vivent séparément depuis plus de deux ans.

Ces cas de divorce sont désormais soumis à une procédure identique, introduite de façon indifférenciée par une requête qui ne mentionnera pas les motifs de la séparation. Sera ainsi évité un débat, toujours très conflictuel au début de la procédure, sur les torts des époux.

En effet, si le procès est le lieu du conflit, il doit être l’instrument de sa résolution. La réforme s’est donc fixée comme objectif de parvenir à la pacification des conflits conjugaux.

Il s’agit en premier lieu de réserver le recours au divorce pour faute aux seuls cas qui le méritent.

Je pense notamment aux victimes de violences conjugales, pour lesquelles la loi a prévu un nouveau dispositif protecteur, permettant d’obtenir l’expulsion du domicile de l’auteur des violences.

Le divorce pour faute constituait jusqu’à présent la seule voie procédurale envisageable pour des époux en désaccord sur le principe de la rupture. Il faut reconnaître que le système actuel les incitait à s’engager dans cette voie conflictuelle, notamment pour tenter d’échapper au paiement d’une prestation compensatoire.

Désormais, les conséquences pécuniaires du divorce seront indépendantes de la répartition des torts.

La réforme a en outre ouvert de nouvelles « passerelles », en cours de procédure, vers des divorces moins contentieux, ce qui devrait limiter d’autant le nombre de divorces prononcés en considération des torts des époux.

Dans le même souci d’apaisement, la loi nouvelle implique davantage les parties dans le processus judiciaire et favorise les solutions négociées.

Ainsi, le recours à la médiation familiale est généralisé et pourra intervenir dès le début de la procédure. Les époux pourront, en cours d’instance, soumettre à l’homologation du juge leurs accords portant sur l’ensemble des conséquences du divorce, y compris la prestation compensatoire.

Enfin, la réforme favorise une meilleure anticipation des suites du divorce, notamment la liquidation du régime matrimonial.

Pour ce faire j’ai introduit trois dispositions nouvelles :

  • dès le début de la procédure, le juge pourra désigner un notaire ou un professionnel qualifié afin de préparer cette liquidation,
  • le demandeur devra joindre à son assignation une proposition de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des époux,
  • la liquidation sera encadrée dans de nouveaux délais.

Vous le voyez, la réforme du divorce est également une illustration de simplification de la procédure dans le respect des règles fondamentales du droit de la famille.

En ce qui concerne la procédure pénale, certains dispositifs de simplification contenus dans la loi du 9 mars 2004, à laquelle vous consacrez une grande partie de vos discussions portent en eux les ferments d’une véritable révolution. Il s’agit notamment de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, abusivement appelée « plaider coupable ».

A travers cette procédure, il s’agit d’adapter la justice à l’impératif d’une plus grande efficacité. Celle qui permet de répondre avec rapidité, compétence et respect des droits de la défense aux attentes des justiciables.
Avant cette loi, les affaires simples et reconnues par leurs auteurs lorsqu’elles étaient poursuivies par les Procureurs aboutissaient à une audience correctionnelle lointaine (plusieurs mois souvent) et surchargée.

Nous devons franchir une étape nouvelle qui adapte la voie de procédure pénale choisie, à la nature des faits commis et à la personnalité de l’auteur.

Par cette disposition, j’ai voulu donner à la justice les moyens juridiques de mieux répondre à ces affaires simples et reconnues.

Par hypothèse, la peine homologuée aura été acceptée. J’y vois la garantie d’une justice mieux comprise.

L’avocat est obligatoirement présent à tous les stades de la procédure. Je sais, parce que c’est l’essence même de leur profession, que les avocats sauront ainsi contribuer à la qualité de la justice qui sera rendue.

Le juge contrôle la forme et le fond de l’accord. Les audiences d’homologation sont publiques. C’est à la fois une justice de qualité et une justice transparente.

Je me félicite que la mise en œuvre de cette réforme, voulue par la représentation nationale, s’effectue dans la concertation entre les magistrats et les avocats. C’est une garantie pour les justiciables. C’est aussi notre attachement commun à la loi républicaine.

L’efficacité de la justice n’est pas limitée au prononcé des décisions. Elle se caractérise également par une meilleure exécution des sanctions. Je ne me satisfais pas d’une situation dans laquelle plus d’un tiers des décisions pénales ne sont pas exécutées.

La loi du 9 mars 2004 énonce : « Les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution dans les meilleurs délais ».

Je veux souligner ici combien mon engagement au service de cet objectif est total. Il s’agit de ramener immédiatement à exécution les peines prononcées par les juridictions. J’ai favorisé sur ce thème le développement d’expériences telles que le « BEX » Bureau de l’exécution des peines.
Les premiers bilans de cette expérience, en particulier ici à Bordeaux, sont excellents.

Je souhaite la généralisation de telles pratiques qui permettent, tout à la fois, de donner force à la décision judiciaire pénale et d’en personnaliser les modalités d’exécution.

Dans le domaine de la modernisation et de la simplification de la justice, j’ai la volonté d’aller plus loin.

Pour cela, les préconisations de la mission que le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, Monsieur Jean-Claude MAGENDIE, a dirigé à ma demande, offrent des pistes fructueuses. Après concertation, elles serviront de base à une réforme dont chacun sait ici qu’elle est nécessaire.

Il nous faut engager une véritable « démarche qualité » qui vise à identifier en matières civile et pénale tous les facteurs de ralentissement inutile du processus judiciaire. Je souhaite que la perspective d’une efficacité renforcée des procédures constitue le point d’ancrage de la simplification et de la rénovation de la Justice.


Vos débats contribueront, j’en suis convaincu, à faire avancer la réflexion.

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L’écueil véritable sur lequel je ne veux pas que la Justice se brise, c’est celui de la défiance des citoyens.

Pour rapprocher l’institution judiciaire de nos concitoyens, il convenait d’innover en les associant à l’œuvre de justice. La création du juge de proximité participe de cette nécessité.

Je sais que la justice de proximité suscite encore, chez certains, des interrogations. Il ne s’agit en rien d’une remise en cause des fondements de notre Justice.

Est-il nécessaire de rappeler les juridictions au sein desquelles se trouvent déjà des juges non professionnels, depuis les tribunaux de commerce jusqu’aux tribunaux pour enfants en passant par les cours d’assises ?

Les critères fixés pour le recrutement des juges de proximité et leur formation associée sont une garantie réelle de leur compétence.

Est il encore nécessaire de rappeler que la compétence de cette juridiction est strictement délimitée, qu’elle respecte le principe du contradictoire et le principe de loyauté ?

Je me demande si son défaut majeur n’est pas d’être nouvelle : laissons lui le temps de faire ses preuves et tirons ensuite ensemble un bilan objectif et de bonne foi.

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La simplification de la justice que je vous propose de mener de concert vise à la moderniser, à la rendre plus efficace et en accroître la qualité dans la continuité des principes fondateurs de notre tradition juridique et dans le respect des exigences européennes.

La méthode que je vous propose est fondée sur la concertation et la prise en compte de votre expérience de terrain.

La Justice est une œuvre collective qui repose sur la définition d’objectifs et de principes communs, sur la compétence de ses professionnels et sur l’adhésion des citoyens.

Simplifier la justice, c’est la réformer.

J’en mesure la difficulté.

Montaigne avant moi a souligné « Combien téméraire lui semble quiconque prétend faire évoluer les coutumes ou changer les lois de son pays ».

J’ai la témérité de me présenter devant vous en ayant conscience que la simplification de la Justice à laquelle je vous convie ne va pas sans quelques changements d’habitude.

Toutefois si je vous propose d’innover, c’est pour retrouver l’esprit même de nos lois.
Je vous remercie de votre attention.