[Archives] Inauguration du Tribunal de Commerce d'Angers

Publié le 04 janvier 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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7 minutes

Monsieur le Préfet,
Madame le Premier Président,
Monsieur le Procureur Général,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de me retrouver parmi vous au Tribunal de Commerce d’Angers, installé dans ses nouveaux locaux depuis septembre 2005.

Alors que le Tribunal de Commerce d’ANGERS était jusqu’ici logé dans le Palais de Justice avec la Cour d’Appel et le Tribunal de Grande Instance, il a été jugé opportun de le doter de son propre siège.

En effet, le Tribunal de Commerce y bénéficiait de conditions de travail peu fonctionnelles. Ainsi le greffe était au dernier étage et la présidence à l’étage inférieur.

C’était également sans compter avec les désordres de ce bâtiment et les besoins croissants de la Cour d’Appel et du Tribunal de Grande Instance.

Après recherche et comparaison de sites, le siège du Tribunal de Commerce dans une ZAC, la ZAC Saint-Serge, rue René Rouchy et d’y acquérir un plateau de bureau aménagé avec une salle d’audience et équipé en mobilier, informatique, téléphone et signalétique.

Un investissement très important a été réalisé par le Ministère de la Justice puisque le coût total du projet s’élève à 1 810 000 euros pour 760 m².

Autant dire que ces nouvelles conditions matérielles seront un atout pour rendre une Justice plus sereine, plus rapide et pour mettre en œuvre la réforme des procédures collectives.

Cette année est en effet pour vous et votre juridiction une année charnière, comme le sont les années au cours desquelles un droit totalement nouveau applicable aux entreprises en difficulté, entre en vigueur.

La dernière était l’année 1986.

Au cours de l’année 2006, vous allez devoir appliquer deux droits, l’ancien, toujours en vigueur pour les procédures en cours, le nouveau, régissant les procédures nouvelles. Il ne fait pas de doute que vous mesurerez ainsi tout le bienfait de la réforme. Je ne doute pas non plus que votre travail va être significativement accru. Je vous remercie par avance de vous engager avec enthousiasme vers ce défi.

Permettez-moi de vous dire quelques mots sur cette loi de sauvegarde des entreprises, du 26 juillet 2005, que chacun de ses commentateurs a déjà adoptée comme étant la loi de « sauvegarde ».

Le large consensus que ce texte a recueilli devant le Parlement n’est pas démenti par les très nombreuses manifestations qui lui ont été consacrées depuis le début du mois de janvier dernier. Il est exceptionnel qu’une réforme aussi vaste, portant sur un sujet où les intérêts sont contradictoires, n’ait rencontré aucune critique.
C’est désormais vers son application par les juridictions que tous les regards sont tournés.
Il s’agit là d’une étape importante de l’évolution d’un droit indispensable à la vie et à l’économie de toute société. Ce texte est porteur d’un grand espoir pour les entrepreneurs mais aussi pour les salariés. La loi nouvelle s’inscrit en effet indiscutablement dans la bataille pour l’emploi, menée par tout le Gouvernement.
L’occasion m’est ainsi donnée, d’insister auprès de vous sur le nouvel état d’esprit auquel doit conduire la loi nouvelle.

Le succès de la réforme dépendra en effet en grande partie du changement de comportement des entrepreneurs en difficulté, mais aussi de leurs créanciers, dont les intérêts sont, tout autant, légitimes. Ce changement est nécessaire mais ne peut être obtenu que par la confiance.

Cette confiance doit être réciproque. De la confiance du législateur à l’égard des dirigeants d’entreprises doit naître la confiance de ceux-ci à l’égard du droit rénové et des institutions qui l’appliquent. C'est-à-dire de vous-même.

Je souhaite à cet égard souligner le rôle incontournable des juges consulaires. Juges de plein exercice, vous accomplissez votre mission non seulement au regard de votre compétence économique, mais aussi dans le respect du droit national et du droit européen. Votre implication sera donc déterminante dans la réussite de cette loi. Là aussi, j’ai confiance en l’avenir.

Je me réjouis également de l’installation prochaine du Conseil National des Tribunaux de Commerce, que je présiderai. Il veillera à la déontologie des juges consulaires, participera à l’élaboration des normes de fonctionnement, d’organisation et de procédures, bref sera le garant de l’efficacité et de l’indépendance de la justice consulaire.

La loi de sauvegarde des entreprises reconnaît désormais la capacité du chef d’entreprise à décider la meilleure procédure à suivre lorsqu’il connaît des difficultés. Le juge doit en comprendre le bienfait et accepter en cela de renoncer à prendre certaines initiatives. Ainsi, c’est au seul chef d’entreprise qu’il revient de prendre l’initiative d’une procédure de sauvegarde ou de demander la nomination d’un mandataire ad hoc.

Je tiens également à vous alerter sur la différence de nature fondamentale entre le rôle du conseil et le rôle du juge. Je mesure combien cet exercice est difficile du fait du climat de confiance qui doit présider à ces entretiens et à la liberté de propos qui en résulte. Mais l’impartialité du juge en dépend et ne doit pas pouvoir être mise en défaut par la suite.


La loi nouvelle rend le chef d’entreprise davantage maître du choix du mode de déroulement des procédures.

Lorsqu’il aura fait le choix de la procédure amiable, il se situera dans un rapport de négociation contractuelle, garanti par la confidentialité et décidera lui-même s’il entend ou non que cette procédure soit judiciarisée.

S’il le souhaite, il construira avec ses créanciers un accord, librement consenti, dont le président du tribunal se contentera de lui donner acte afin qu’il soit solennisé et ait force exécutoire pour ceux qui l’ont conclu.

Ne voyez pas de la défiance envers le juge dans ce caractère limité. Il affirme l’importance de la négociation entre les partenaires économiques et renforce l’importance de l’homologation judiciaire, autre issue possible de la conciliation.

Le rôle du tribunal et sa responsabilité seront alors très importants car si sa décision sécurisera les uns, apporteurs de capitaux mais également fournisseurs de biens ou de services, elle réduira les droits des autres.

Il s’agit d’une mission nouvelle donnée au juge. Elle sera difficile car il lui appartiendra d’analyser avec précision l’équité des termes de l’accord, non seulement à l’égard des parties, mais aussi à l’égard des tiers.

Il lui appartiendra également de porter un jugement sur son efficacité économique, l’accord conclu ne devant en aucun cas être une façade destinée à ce que certains obtiennent des avantages à court terme. L’expérience des juges consulaires sera, à cet égard, précieuse.

J’en viens à la procédure de sauvegarde, apport majeur de la réforme.

Elle assouplit considérablement les contraintes issues de la cessation des paiements, notion qui demeure indispensable, mais qui n’est plus le pivot du droit en cette matière.

Elle redonne confiance aux chefs d’entreprise, en leur garantissant qu’ils ne seront pas évincés de la direction de l’entreprise qu’ils ont souvent créée.

La procédure de sauvegarde, qui est une procédure collective, présente certains des caractères d’un redressement judiciaire anticipé. Elle est appelée néanmoins a prendre toute sa place en tant que procédure nouvelle et à remplacer progressivement ce dernier, dont l’efficacité s’est inexorablement amoindri au fil des années.

Le rôle des créanciers y est valorisé.

L’institution des comités, seconde innovation essentielle, après l’anticipation, va, en fonction du nombre des créanciers et de la taille de l’entreprise, sensiblement modifier le processus d’élaboration des plans.

Ici encore, les rôles respectifs des parties et du tribunal changent de nature. La juridiction veille au respect des droits de ceux qui n’ont pas accepté les termes de l’accord manifesté par le plan. Elle n’en contrôle les dispositions qu’en l’absence de comités.

De cette nouvelle conception du mode d’élaboration des plans devrait renaître le principe des cessions négociées, par la voie de la prise de participation consentie et de l’abandon concomitant d’une part des créances. Il est bien préférable aux cessions forcées qui ont suscité tant de critiques.

Néanmoins, la sauvegarde ne doit pas être réduite à l’existence des comités.
Ceux-ci en sont une modalité particulièrement adaptée aux procédures intéressant les entreprises d’une taille significative. J’ai retenu, pour les rendre obligatoires, les deux seuils alternatifs de 150 salariés et de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Elle doit également être considérée comme un instrument privilégié au service des plus petites entreprises.

Elle peut être pour leurs dirigeants le moyen de faire face aux accidents de la vie qui mettent brutalement leur activité en péril. Je souhaite que vous leur réserviez le meilleur accueil.

De la prise de conscience des avantages des procédures nouvelles résultera l’évolution des mentalités guidées aujourd’hui le plus souvent par des craintes légitimes sur les conséquences indirectes du recours à la justice commerciale.

Je ne voudrais pas omettre dans mon propos, résolument optimiste, la réalité malheureuse mais inévitable de la liquidation judiciaire.

Cette procédure, qui représente la majeure partie des dossiers de procédures collectives que vous suivez est profondément réformée par la loi de sauvegarde.

Un sujet la concernant m’apparaît spécialement préoccupant : le nombre des procédures en cours, qui demeure considérable. Il convient de le réduire sensiblement.

Au-delà des procédures nouvelles de liquidation simplifiée, que je vous encourage très vivement à mettre en place dès maintenant, sans réserve et à clôturer dans le délai d’une année, j’insiste sur la nécessité qui s’impose de voir rappeler progressivement devant votre juridictions l’ensemble des procédures qui n’y ont pas été évoquées depuis plusieurs années.

Permettez-moi également en tant que responsable de la conduite de l’action publique au sein des juridictions de vous dire quelques mots sur l’accroissement de son rôle dans les procédures commerciales.

J’ai insisté auprès des procureurs généraux afin qu’elle soit conçue comme la défense de l’intérêt général dans les procédures commerciales et non comme un instrument destiné essentiellement à la recherche d’infractions pénales. La perception qu’ont les chefs d’entreprise du parquet dans cette matière se traduit encore beaucoup trop par la crainte et la méfiance.

C’est donc avec confiance et enthousiasme que nous aborderons ensemble cette année, au bénéfice de l’emploi et de la sécurité juridique.

Je vous remercie de votre attention.