[Archives] Lancement de la fondation pour le droit continental

Publié le 01 mars 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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7 minutes

Madame la Ministre, Chère collègue,
Monsieur le Vice-président du Conseil d’Etat,
Monsieur le premier président de la Cour de Cassation,
Monsieur le procureur général de la Cour de Cassation,
Madame la Présidente,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,

La mondialisation économique n’est pas un phénomène nouveau. La volonté de la France de contribuer, avec ses partenaires européens, à la régulation de la mondialisation et au respect de la diversité des modèles est tout aussi connue.

Mais la mondialisation juridique est plus récente. Le développement des échanges internationaux nécessite concrètement aujourd’hui de choisir un régime juridique de passation des contrats parmi l’éventail des droits nationaux. Ce mouvement est accentué par les échanges d’étudiants et d’enseignants, qui forment désormais une communauté de juristes aptes à utiliser tous les ressorts des différentes législations. La volonté d’attirer les investissements étrangers pousse également les Etats à faire évoluer le cadre de leur droit économique.

Dans ce contexte, la montée en puissance de la common law et de ses relais efficaces, ne peut être observée passivement. Tous les pays expriment des besoins juridiques et comparent les bénéfices et l’efficience des différents systèmes de droit.


Dans ce domaine, régalien par excellence, chaque système juridique doit faire la preuve de ses mérites, faire valoir ses réussites et enfin s‘adapter en permanence aux besoins d’un monde qui change.

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J’ai la profonde conviction que le droit est un des facteurs de l’influence de la France.

L’influence d’un pays ne se réduit pas à sa puissance économique, militaire ou culturelle. Le droit et l’attractivité d’un modèle juridique concourent à lui donner une place spécifique dans les relations internationales.


Lorsque les groupes étrangers décident d’investir en France, ils prennent en compte la stabilité de notre environnement juridique, le degré de notre réglementation et l’ensemble des outils juridiques à leur disposition. Le droit du crédit, le droit du travail, le risque juridique sont des variables fondamentales dans une stratégie de localisation d’entreprises, tout comme le sont le régime de la fiscalité ou la qualification de la main d’œuvre.

La France, et l’ensemble des pays de tradition romano-germanique, disposent d’acquis considérables en ce domaine. De nombreux pays, partout dans le monde, se sont inspirés du code civil et de nos traditions juridiques. La constitution de l’ordre juridique international et communautaire n’est pas non plus étrangère au dynamisme juridique de la France.

Bien entendu, nous n’avons pas hésité à faire évoluer notre modèle juridique.

Le gouvernement a ainsi entrepris, ces dernières années, de moderniser notre droit financier et la gouvernance des entreprises.

Nous avons également rénové notre droit des procédures collectives afin de donner une plus grande sécurité juridique et économique aux créateurs d’entreprise.

N’hésitons pas à le dire, les exemples étrangers nous ont aidés, même si nous ne voulons pas qu’un modèle juridique unique nous soit imposé. Nous ne refusons pas les apports extérieurs, mais nous ne voulons pas changer les principes fondateurs de notre droit. Le droit continental n’est attractif que s’il est attentif à renforcer ses atouts.

En ce domaine, la tâche n’est jamais terminée, bien qu’elle soit stimulante.

Car notre modèle juridique, s’il est perfectible, est cohérent et adapté.

Notre influence n’est pas aujourd’hui de l’ordre d’un passé révolu. La demande de nos partenaires est importante. La confiance des entreprises dans notre droit est réelle. Les juristes italiens, espagnols, français ou allemands conservent une réputation de sérieux et d’efficacité.

Mais notre influence repose aujourd’hui plus sur des initiatives personnelles que sur une stratégie commune.

Il est temps désormais de nous organiser pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés.

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C’est bien cette problématique que le Président de la République Jacques CHIRAC avait à l’esprit lorsqu’il a souhaité la création d’une Fondation pour le droit lors du colloque de la Sorbonne sur le bicentenaire du Code civil en 2004.

Cette Fondation était appelée depuis longtemps de leurs vœux par les hautes juridictions, dont je veux saluer la très importante contribution au rayonnement international du droit français, et par l'Université, dont les travaux en droit comparé sont essentiels à l'adaptation de notre modèle juridique.

Dans la compétition internationale, nous devons fournir aux acteurs économiques, sans a priori et sans idéologie, une meilleure connaissance de notre droit et de ses principales qualités.

La création d’une « Fondation pour le droit continental » était donc une nécessité.

Nos principaux compétiteurs, héritiers de traditions juridiques différentes de la nôtre, se sont engagés depuis longtemps dans une promotion vigoureuse de leur droit. Le barreau américain dispose ainsi d’associations internationales dynamiques. L’Allemagne et le Japon ont créé des fondations pour faire connaître leur droit des affaires.

Il nous revient donc aujourd’hui de nous engager dans cette direction avec plus de force, de manière audacieuse et décomplexée.

Pour ce faire, il est important de mobiliser fortement les entreprises et la communauté juridique.

La Fondation pour le droit continental offrira ce lieu d’échanges et de dialogue indispensable à une meilleure compréhension du terrain. L’Etat en sera naturellement partie prenante, mais la détermination des objectifs de la Fondation relèveront des partenaires privés.

La Fondation ne se substituera pas aux nombreux acteurs de la coopération juridique internationale dont l’intervention continuera à demeurer indispensable. Mais elle jouera un rôle d’appui. Carrefour d’initiatives, la Fondation devra stimuler, valoriser, appuyer leurs efforts.

Je me réjouis qu’au terme d’une très large concertation nous soyons parvenus à fixer le périmètre et la gouvernance de cette Fondation. J’y vois le signe de la maturité des attentes et des ambitions affichées tant par les entreprises que par les professionnels du droit.

Naturellement, la volonté de notre pays de préserver l’originalité d’une tradition française qui a fait ses preuves au cours des siècles et dont se sont inspirés de nombreux pays à travers le monde fait aussi partie du projet de cette Fondation. Mais il ne s’agit certainement pas de se complaire dans l’auto satisfaction.

La Fondation aura la tâche de faire mieux connaître et de valoriser les domaines d’excellence de notre droit des affaires, notamment en répondant aux attaques injustes et caricaturales dont il est parfois l’objet.

La France n’a, à ce titre, pas été inactive. Avec le soutien des professions juridiques, le gouvernement a lancé l’an dernier le Programme « Attractivité économique du droit », chargé de coordonner les réponses scientifiques au rapport Doing Business de la Banque Mondiale, qui présentait le droit français comme un frein aux échanges économiques. Ce programme sera intégré dans la Fondation dès son installation.

Plus précisément, ce que je souhaite au travers de cette Fondation, c'est dynamiser la présence internationale des acteurs du droit, soutenir les entreprises dans la gestion du risque juridique qui pèse sur leurs activités internationales, et enfin de mettre en œuvre une stratégie d'influence juridique.

C’est parce qu’il a bien compris l’étendue de cette exigence, parce que, comme beaucoup de ses collègues chefs d’entreprise, il a depuis longtemps mesuré les dangers d’une perte d’influence du droit continental, qu’Henri LACHMANN, Président de SCHNEIDER Electric, a accepté de prendre la Présidence de la « Fondation pour le droit continental ».

Monsieur LACHMANN a bien voulu relever ce défi et c’est pour moi une très grande satisfaction de savoir à nos côtés ce grand industriel, ce conquérant infatigable de nouveaux marchés, pour susciter l’enthousiasme et l’adhésion de tous ceux qui sont concernés par cette tâche immense.

Nul ne peut douter que ses qualités, mises au service de ce projet, ne soient les plus sûres garantes de sa réussite.


Pour ma part, Monsieur LACHMANN, je peux vous assurer que les services de l’Etat sauront vous apporter toute l’attention, tout le soutien nécessaire pour vous permettre de donner corps à notre ambition commune.

Je ne doute pas que tous nos partenaires, et notamment le monde de l’entreprise, soient sensibles à ce nouvel enjeu. Je souhaite que la Fondation rassemble les professionnels du droit en suscitant de nouveaux modes de coopération plus efficaces avec le monde de l’économie. Dans le prolongement de la concertation déjà largement engagée, il vous reviendra de mettre en place les bases opérationnelles définitives de la Fondation le plus rapidement possible.

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Mesdames, Messieurs,


Vous l’aurez compris, la création d’un instrument tel que la « Fondation pour le droit continental » relève d’une grande ambition trop longtemps différée pour la France.
En assignant cet objectif à notre pays, le Président de la République a rappelé clairement la nécessité du respect de la diversité des systèmes juridiques. La promotion du droit ne se confond pas avec le combat pour la francophonie, mais ils sont de même nature. La mondialisation ne doit pas être un facteur d’uniformisation.

La réalité est de fait très différente. Les droits s’échangent, s’interpénètrent car ce sont les acteurs de l’économie qui déterminent leurs choix. Notre mission commune, dès lors, est de tout mettre en œuvre pour que ce choix repose sur l’information la plus complète et la plus objective possible.


La « Fondation pour le droit continental » dont les actions seront essentiellement dirigées vers les attentes concrètes des différents opérateurs, et Monsieur LACHMANN nous en dira sans doute quelques mots, exercera une mission de vigilance et d’alerte pour développer nos domaines d’excellence dans la continuité d’une tradition à laquelle nous restons fortement attachés.

Au delà de la seule question du rayonnement et de la diffusion de notre droit, il en va de l’intérêt de l’Europe et du rang de la France dans le monde

Je vous remercie.