[Archives] Ouvrir les palais de Justice

Publié le 16 février 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux aux chefs de cours

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7 minutes

Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur général près la Cour de Cassation,
Mesdames et messieurs les Premiers Présidents,
Mesdames et messieurs les Procureurs généraux,


J’ai souhaité vous réunir aujourd’hui à la Chancellerie parce que j’ai conscience que les magistrats et les fonctionnaires de justice sont troublés, parfois même blessés, par le débat né de l’affaire d’Outreau.

J’ai écrit le 10 février à chaque magistrat pour dire que personne ne peut résumer la justice française à cette affaire et qu’au contraire, la justice rendue en France est une justice de qualité.

Je vous demande aujourd’hui d’être mon interprète auprès de vos collègues et des fonctionnaires qui travaillent à vos côtés pour leur dire que ma confiance en notre justice est totale.

L’épreuve que traversent actuellement l’institution judiciaire et les hommes et les femmes qui la composent est l’occasion d’un grand débat sur la Justice, qui passionne les Français. Ce débat le Gouvernement l’a souhaité : le Premier Ministre l’a dit lorsqu’il a reçu les personnes acquittées, moi-même j’en avais souligné la nécessité au lendemain du verdict de la Cour d’Assises de Paris.

Ce débat est sain et nécessaire et il est normal qu’il se déroule dans l’enceinte du Parlement.

L’institution judiciaire ne doit pas en être le témoin muet et impuissant, elle ne doit pas non plus y participer de façon désordonnée.

Parmi beaucoup d’autres, des magistrats interviennent dans le débat public pour avancer des propositions de réformes.

Chacun est bien sûr libre de son opinion sur ce que pourrait être l’organisation judiciaire idéale, ou la procédure pénale dont les règles nous garantiraient le mieux contre les risques de dysfonctionnement.

J’entends et je lis ces opinions. Je crois que leur expression est encore prématurée.

Après le temps de l’émotion, vient de commencer celui de la réflexion. Lorsque toutes les causes de l’affaire d’Outreau auront pu être analysées et comprises, alors seulement viendra le temps de la réforme.

Mais pour que de la réflexion naissent des propositions de réforme utiles et qui permettent une vraie amélioration du fonctionnement de notre système judiciaire, il faut que le débat soit complet et équilibré.

Sans les magistrats et les fonctionnaires de justice il n’y aura pas de débat équilibré, car sans eux il manquera un élément fondamental de la réflexion : la connaissance de la réalité du fonctionnement quotidien de l’Institution.

J’ai déjà eu l’occasion de dire que ce débat est une chance pour la Justice. En effet, les Français ont, de façon générale, une grande méconnaissance de l’Institution Judiciaire. Ils ne la connaissent qu’à travers quelques affaires médiatiques qui ont, sur la réalité de la Justice du quotidien, un effet de loupe dans les deux sens du terme : elles la grossissent, parfois jusqu’à l’outrance, et elles la déforment.

Cette image déformée de la Justice ne me satisfait pas, et ne satisfait aucun d’entre vous.

Alors, tous ensemble, profitons de l’intérêt de nos concitoyens pour leur assurer une véritable information, honnête et complète, sur ce qu’est réellement la Justice. Je fais, à cet égard, plusieurs propositions :

1 - Il faut ouvrir les Palais de Justice pour montrer ce que les Françaises et les Français ont à la fois le besoin et l’envie de connaître : le travail quotidien des magistrats et de l’ensemble des acteurs du monde judiciaire.

La Justice a toujours eu du mal à communiquer. C’est bien sur affaire de législation : la Justice est gardienne de secrets qu’il faut continuer à protéger, mais c’est aussi, et peut être surtout, affaire de culture.

Je suis convaincu qu’il est désormais possible de concilier la nécessaire confidentialité, celle qui concoure à protéger la présomption d’innocence, le respect de la vie privée ou les nécessités du travail du juge ou du substitut, avec la non moins nécessaire publicité qui, seule, est de nature à permettre au peuple français, au nom duquel la Justice est rendue, de la comprendre et de la respecter.

D’ailleurs, beaucoup d’émissions, notamment sur les grandes chaînes de télévision, ont montré la Justice dans son fonctionnement de tous les jours. Elle en est presque toujours sortie grandie aux yeux des téléspectateurs.

Je vous demande donc d’apporter votre soutien à la réalisation de films documentaires sur la Justice. La demande existe. Elle est importante. Il n’y a pas de semaine sans que mes collaborateurs en charge de la communication ne fassent l’objet de sollicitations en ce sens. C’est trop souvent localement que les projets rencontrent des difficultés pour être mis en œuvre.

Vos interrogations au sujet des autorisations de tournage, des limites qui peuvent être fixées sont nombreuses et légitimes.

C’est pourquoi j’ai demandé au Service Central d’Information et de Communication du Ministère (SCICOM) et à la direction des affaires criminelles et des grâces de tenir à votre disposition et à celle des organes de presse un protocole dont le respect assurera la protection des personnes et la garantie des principes.

Très prochainement une circulaire en ce sens vous sera adressée, mais sans attendre j’ai décidé de lancer ce programme en sollicitant le volontariat de quelques juridictions qui serviront de juridictions pilotes.

Je vous invite à répondre à cet appel.

2 – Il est, par ailleurs, souhaitable qu’il y ait un contact direct entre la population et ceux qui jugent en son nom.

Il faut qu’une fois par an les Palais ouvrent leurs portes aux citoyens qui sont désireux de s’informer sur l’Institution, voire de dialoguer avec les magistrats et les fonctionnaires.

Le Ministère mettra à votre disposition tous les outils pédagogiques qui faciliteront le déroulement de ces journées.

Si nous n’expliquons pas aux Français ce qu’est la réalité du travail d’un magistrat, ce que sont ses contraintes, ses obligations, nous ne pouvons pas espérer que le regard de nos compatriotes change.

C’est à nous qu’il appartient de faire ce travail de pédagogie à destination des Français. Pour être mieux comprise, la Justice doit d’abord être plus compréhensible.

Je suis convaincu que ce dialogue permettra aux citoyens de mieux comprendre la complexité du travail du juge.

Je propose d’appeler les journées : « Justice ouverte ». La première pourrait avoir lieu au moment des journées du patrimoine. Elle sera pilotée par un Comité dont je confierai la co-présidence à un premier président, un procureur général, un avocat et un greffier en chef.

Sans attendre, et si vous le souhaitez, vous pouvez d’ores et déjà prendre l’initiative de telles journées dans vos cours.

3. Les éclairages sur votre métier, il vous appartient également de les fournir aux élus, lorsqu’ils vous sollicitent.

N’hésitez pas à leur décrire votre activité et celle de l’ensemble de vos collègues.

N’hésitez pas à souligner combien il est difficile de juger, lorsque chaque décision mécontente les parties au procès, l’une parce qu’on lui a donné tort, l’autre parce qu’on ne lui a pas donné suffisamment raison.

Depuis 2003, les tribunaux ont accueilli 97 sénateurs dans le cadre de stages. Cette année, 24 sénateurs effectueront à leur tour un stage en juridiction, pour appréhender concrètement la complexité et l’exigence des fonctions juridictionnelles.
De son côté, l’Ecole Nationale de la Magistrature organise dans le cadre de la formation continue des stages de magistrats au Sénat et à l’Assemblée Nationale.

Je suis persuadé que chacun s’enrichit de ces échanges.

Je vous demande donc de favoriser ces stages, et d’encourager vos juridictions à accueillir les parlementaires qui effectuent cette démarche d’ouverture que je salue.

4. Je sais que vous êtes nombreux à être attachés au renforcement des liens qui unissent la magistrature et le barreau.

Je vous demande de poursuivre cet effort, et de veiller à ce que les avocats soient toujours plus associés à la vie des juridictions dont vous avez la responsabilité.

Je pense par exemple aux modules de formation communs aux magistrats et aux avocats que certains d’entre vous ont mis en œuvre dans leur cour.

Ces initiatives doivent être saluées et encouragées. Elles répondent d’ailleurs à une attente très forte du barreau. J’ai demandé au directeur de l’Ecole Nationale de la Magistrature de vous apporter toute l’aide dont vous pouvez avoir besoin.

Vos métiers, vos modes de pensée sont différents. Mais ce sont les mêmes hommes qui sont défendus puis jugés.

Ce seul point commun justifie que le dialogue soit constant entre magistrats et avocats.

Ce dialogue doit être inscrit dans la culture des magistrats. Je souhaite d’ailleurs que soit rapidement concrétisée la très heureuse initiative de Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation et du directeur de l’Ecole Nationale de la Magistrature de mettre en place une formation commune, d’une durée significative, qui sera dispensée aux auditeurs de justice et aux élèves avocats.

Je souhaite qu’ils abordent ensemble l’exercice de toutes les fonctions judiciaires, afin de confronter leurs approches et d’initier les échanges sur leurs pratiques professionnelles respectives qui se poursuivront tout au long de leur carrière.

Je vous demande de veiller à ce que le dialogue ne soit jamais rompu, aussi bien pour les auditeurs de justice en stage dans le ressort de vos cours, que pour les magistrats en fonction.


5. Dès le 24 février prochain, le secrétaire général du ministère de la justice effectuera le 1er des 20 déplacements qu’il a prévus dans les juridictions pour exposer le processus de modernisation de l’institution qu’il met en place.

Il convient en effet d’associer magistrats et fonctionnaires à la modernisation de la Justice, qui passe par exemple par la rationnalisation des frais de justice ou par la mise en place de bureau de l’exécution des peines.

Cette modernisation, que nous devons aux Français, ne se fera qu’avec l’engagement de chacun des acteurs du monde judiciaire.

Je me rendrai moi-même dans certaines de ces 20 juridictions pour y dire ma conviction que le succès de ce processus sera le signe de la confiance qu’accordent magistrats et fonctionnaires à l’institution qu’ils servent.

C’est parce que nous partageons cet objectif de modernisation, c’est parce que notre confiance en la justice n’est pas affaiblie par les débats actuels, c’est parce que notre engagement à son service en sort renforcé que nous retrouverons l’adhésion des Français.

Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur général près la Cour de Cassation,
Mesdames et Messieurs les premiers présidents, Mesdames et messieurs les procureurs généraux,

Avec vous, j’aime les magistrats et les fonctionnaires de justice. Avec vous, j’ai le plus grand respect pour leur activité quotidienne. Tous ensemble, nous traversons une épreuve difficile.

Je vous demande de dire à tous vos collègues, et notamment aux plus jeunes d’entre eux, qu’ils ne doivent jamais regretter d’avoir choisi ce métier difficile et exigeant.

C’est un métier que caractérise sa grandeur, mais qui doit être exercé avec humilité.

C’est ce difficile métier que nous devons nous attacher, tous ensemble, à mieux faire connaître aux Français.