[Archives] Les prisons en France

Publié le 02 novembre 2005

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux à Lille

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Je suis heureux de visiter aujourd’hui l’établissement pénitentiaire de SEQUEDIN. J’allais dire, je suis heureux comme à chaque fois que je visite un établissement pénitentiaire, tant j’ai de l’estime et de la sympathie pour les personnels de l’administration pénitentiaire.

Dans toutes ces occasions, j’ai constaté une mobilisation sans faille de ces personnels pour exercer les missions qui leur étaient confiées par nos concitoyens.

« Surveiller et prévenir », pourrait être la nouvelle devise de ceux qui, jour après jour, assurent, souvent dans des conditions difficiles, l’exécution des décisions de justice, mais également éduquent, enseignent et accompagnent vers la réinsertion.

C’est dire que la situation que je découvre lorsque je visite des prisons est très différente de l’image véhiculée dans les media. La prison fait débat en France et c’est à l’honneur de notre démocratie.

Ce débat, je souhaite le mener dans la transparence et de manière objective. Il doit éviter la caricature et les amalgames qui visent, sous couvert de défendre la dignité des prisonniers, à imposer une vision de la justice et de la prison qui a été clairement rejetée par les Français il y a trois ans.

C’est ainsi que certains sont allés jusqu’à écrire que les prisons étaient la honte de la République. Que le parc pénitentiaire soit pour partie trop ancien, que nous manquions de places de prison, que nous devions poursuivre nos efforts en matière de santé et singulièrement en matière de santé mentale en prison, qu’il y ait des marges de progression dans notre politique de réinsertion. Tout cela est vrai. Mais cela n’autorise pas les contrevérités que j’entends proférer ici ou là.

La Nation a entrepris des efforts considérables pour ses prisons, d’autant plus considérables, d’ailleurs, qu’on a trop attendu pour le faire.

Alors qu’entre 1900 et 1986, seules 14 500 places de prison ont été construites, les gouvernements appartenant à l’actuelle majorité ont réalisé des efforts sans précédent pour moderniser le parc pénitentiaire.

En 1986, Albin Chalandon lance un programme ambitieux de construction de 13 000 places de prison.

En 1994, c’est le programme Méhaignerie, qui prévoit la construction de 4 000 places.

Enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la justice, votée en 2002, prévoit la construction de 13 200 places, dont les premières verront le jour en 2007.

La situation dans les prisons françaises ne sera conforme à notre tradition humaniste qu’à la sortie de ce lourd programme immobilier. Il serait paradoxal de s’entendre aujourd’hui critiquer par ceux qui se disent les champions des droits de l’homme et qui sont ceux de l’inaction.

Il va de soit que ces établissements seront dotés des personnels nécessaires à leur fonctionnement. Ainsi, la loi d’orientation et de programmation pour la justice a prévu sur 5 ans la création de 3.740 emplois pour l’administration pénitentiaire. En 2006, l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire accueillera, d’ailleurs, 2.300 élèves, dont 1.700 surveillants et 300 travailleurs sociaux.

Cette politique de construction d’établissements pénitentiaires conduira à de réelles améliorations pour les détenus. Les cellules seront plus confortables, les douches seront individuelles, les espaces de loisirs plus accueillants et les parloirs familiaux plus nombreux.

La réalisation d’un tel programme prend nécessairement du temps. En attendant, nous ne sommes pas restés inactifs. Grâce à l’ouverture des 6 établissements lancés par Pierre Méhaignerie et à un programme de rénovation de bâtiments vétustes au sein des prisons, plus de 3.000 places ont été mises en service et des établissements vétustes ont pu fermer.

Grâce à ces efforts, le taux d’occupation des établissements est passé de 122 % en janvier 2004 à 112 % actuellement.

Vous constatez aujourd’hui les effets de cette politique ambitieuse au sein de la maison d’arrêt de Sequedin, qui a ouvert au début de l’année.

Dans l’agglomération lilloise, la priorité fut de lutter contre le surencombrement. En 2005, tant à Sequedin qu’à Loos, le taux d’occupation est inférieur à 100%. Dans une seconde étape, un troisième établissement, prévu en 2008, sera construit à Annoeulin, et permettra de reconfigurer le site de Loos.

Cette politique assumée de construction ne nous a pas conduit pour autant à renoncer à l’entretien des prisons. Des efforts substantiels ont été faits pour réhabiliter le parc ancien. Entre 1999 et 2002, les crédits consacrés à la rénovation des établissements pénitentiaires étaient de 170 millions d’euros. Entre 2003 et 2006, l’effort est de 369 millions d’euros, soit une augmentation de 117%.

L’importance des investissements effectués ces dernières années pour combler les manques du passé ne doit pas fausser le jugement que l’on peut porter sur notre politique.

Affirmer, comme certains, que la France a fait le choix du « tout carcéral » est une contrevérité.

Le taux d’emprisonnement pour 100 000 habitants est de 93 en France. Ce taux est comparable à celui des pays voisins. Il est inférieur à ceux constatés au Royaume-Uni, pays de l’Habeas Corpus, en Allemagne ou en Espagne.

Loin de mener une politique uniquement répressive, le Gouvernement cherche également à favoriser la réinsertion des détenus, que se soit pendant leur détention ou lors de leur libération.


Vous le savez, les détenus sont majoritairement des individus en grande précarité.

Psychologique, tout d’abord, puisque nombre d’entre eux souffrent de troubles mentaux à leur arrivée en détention.

La création d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) permettra de soigner, dans des conditions satisfaisantes, les détenus nécessitant une hospitalisation d’office. Il est ainsi prévu d’ouvrir 700 lits répartis sur 19 UHSA. Cet été, le Ministre de la Santé a annoncé, avec mon accord, l’ouverture de 450 lits dès 2008.

De manière plus générale, la prise en charge sanitaire des personnes détenues dépend du service public hospitalier depuis la loi du 18 janvier 1994. Tout détenu, dès son incarcération, est affilié à la sécurité sociale. Une unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), aménagée au sein de chaque établissement pénitentiaire, assure cette prise en charge sanitaire.

Lorsque les soins dispensés au détenu nécessitent une hospitalisation, pour les hospitalisations en urgence ou de courte durée, celui-ci est conduit à l’hôpital de proximité, sa garde étant assurée par les forces de l’ordre. Lorsqu’il s’agit d’une hospitalisation programmée de plus de 48 heures, le détenu est alors transféré dans une unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI). Une UHSI est ouverte à Lille, à Nancy et à Lyon. A terme, 8 UHSI fonctionneront et desserviront l’ensemble du territoire métropolitain.

Mais la précarité des détenus est également sociale. Une majorité d’entre eux était en effet au chômage avant leur incarcération et une proportion non négligeable de détenus est illettrée ou ne maîtrise pas correctement l’usage de la langue française.

Malgré ces handicaps, l’administration pénitentiaire réalise un travail remarquable.

Prenons quelques chiffres.

En 2004, 35.000 détenus ont suivi, à un moment ou à un autre, un enseignement. La grande majorité a, bien évidemment, bénéficié d’une formation de base (alphabétisation, préparation du certificat de formation générale), mais tous les niveaux sont concernés.

Toujours en 2004, près de 5.000 détenus se sont présentés à des examens. 70 % ont passé avec succès cet examen et plus d’une centaine ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur.

Enfin, 18.000 détenus ont également bénéficié en 2004 d’une action de formation professionnelle.

Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que la prison n’est pas une institution fermée. Près de 1.500 enseignants interviennent en milieu carcéral. De nombreuses associations et travailleurs sociaux sont présents dans les établissements pénitentiaires. Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui y travaillent, tant fonctionnaires, salariés des sociétés partenaires, membres d’associations ou bénévoles. Ils contribuent largement à l’humanisation de la prison.

Au sein des prisons interviennent également 918 aumôniers de 6 confessions différentes. Le libre exercice du culte en prison est assuré, mais il est possible de mieux l’organiser. C’est pourquoi j’ai accepté la proposition du Comité Français du Culte Musulman de nommer Monsieur El Alaoui Talibi aumônier national musulman des prisons. Il pourra contribuer à aplanir certaines difficultés et à lutter contre le prosélytisme agressif des imams autoproclamés. En prison comme ailleurs, la liberté des cultes est garantie dans le respect du principe républicain de laïcité.

L’accès au droit des détenus a été favorisé. Le développement des points d’accès au droit dans de très nombreux établissements garantit aux détenus les plus démunis de trouver les informations pratiques qui leur permettront de faire valoir leurs intérêts dans les litiges de la vie quotidienne, par exemple dans le cadre d’une succession ou d’un divorce.

Cette action s’est trouvée récemment renforcée par l’intervention de délégués du Médiateur dans les prisons. Présents à titre expérimental dans 10 établissements à la fin 2005, comme à la prison de Bapaumes, des Baumettes ou à la maison d’arrêt de Fresnes, ils apportent un service concret et efficace aux détenus.


Rappelons enfin que de nombreux établissements pénitentiaires ont amélioré l’accueil des familles des détenus, avec notamment, pour certains d’entre eux, la création des unités de vie familiale.

La réinsertion passe également par la préparation à la sortie et à l’accompagnement des détenus libérés. Les magistrats chargés de l’application des peines et les services d’insertion et de probation font un travail remarquable.

Ils disposeront bientôt, grâce à la proposition de loi relative à la récidive, de nouveaux moyens pour inciter les détenus à se soigner, favoriser la libération conditionnelle et éviter les sorties sans suivi.

Je suis sûr que la mise en place progressive du placement sous surveillance électronique mobile sera riche de promesses pour l’avenir.

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Mesdames et Messieurs,

La prison se modernise, la prison s’humanise. C’est bien

Pourquoi le fait-elle ?

Simplement parce que la majorité actuelle, comme par le passé, réalise des efforts importants dans ce domaine.

J’entends beaucoup de critiques sur les prisons, rarement des propositions constructives.

Le numerus clausus dans les prisons, par exemple, qui interdirait d’incarcérer un délinquant en cas de dépassement de la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires, est une proposition profondément injuste et contraire à l’égalité.

Ainsi, en application de ce principe, il faudrait laisser en liberté un violeur au seul motif que le numerus clausus est atteint. Belle idée que celle de renoncer à la sécurité des Français. Belle façon de respecter les droits des victimes que de remettre en liberté un criminel dangereux. Belle conception du principe d’égalité que d’incarcérer en Bretagne et de libérer en Alsace celui qui a été condamné pour des faits similaires à la même peine d’emprisonnement.

Je voudrais rappeler une très forte conviction. La sécurité est un droit fondamental, tant à l’extérieur que dans la prison. La prison est là pour assurer la sécurité des Français, et nous en avons besoin.

L’évasion, il y a une dizaine de jours, de deux criminels de la Maison d’arrêt de Villefranche sur Saône est, hélas, venue rappeler l’extrême dangerosité de certains délinquants et la nécessité de poursuivre l’action de sécurisation des établissements pénitentiaires conduite depuis 2002. Cette action a déjà permis de réduire de moitié le nombre d’évasions en dépit du nombre croissant de terroristes et de membres du grand banditisme incarcérés.

Je suis déterminé à ce que l’institution pénitentiaire et ses membres bénéficient du respect qui leur est du. La prison est un instrument nécessaire à la sécurité des Français et chacun doit garder en tête cette évidence. L’administration pénitentiaire a d’ailleurs largement contribué à réduire la délinquance et l’insécurité depuis 2002, et cet apport doit être reconnu.

En 2002, la majorité a trouvé les prisons françaises dans une situation difficile. C’est pourquoi elle s’est engagée à les moderniser et à les rendre plus humaines.

C’est pourquoi elle s’est également engagée dans le développement des aménagements de peines qui permettent de trouver des solutions adaptées à chaque situation, bien loin du « tout carcéral ». Je continuerai et renforcerai cette politique.

Je vous remercie de votre attention.