[Archives] Projet de loi constitutionnelle mandat d’arrêt européen

Publié le 18 décembre 2002

Discours du garde des Sceaux à l'Assemblée nationale lors de la 1ère lecture du projet de loi constitutionnelle

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11 minutes

Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,


Avec ce projet de loi, le gouvernement vous propose de réaliser la quatrième révision constitutionnelle liée à la construction européenne, après celles de 1992 pour le traité de Maastricht, de 1993 pour les accords de Schengen et de 1999 pour le traité d’Amsterdam.

Il s’agit de vous permettre d’assurer la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen sur le territoire français.

1/ Les grandes étapes de la coopération judiciaire européenne :

La criminalité internationale s’est considérablement développée avec l’intensification des échanges et des moyens de communication.

Les institutions internationales et européennes débattent depuis plusieurs années des moyens d’améliorer la coopération judiciaire en matière pénale pour dégager des solutions communes et efficaces.

Cette nécessité est apparue d’autant plus impérieuse que la suppression des frontières, au sein de l’espace européen, a facilité le développement d’une criminalité devenue véritablement transnationale.

Jusqu'alors, les textes fondant la coopération en matière pénale étaient, pour l'essentiel, les conventions du Conseil de l'Europe sur l'extradition et l'entraide judiciaire, adoptées respectivement en 1957 et 1959.

S’agissant de la France, le droit de l’extradition, quoique rénové par la jurisprudence, reste essentiellement fondé sur la loi du 10 mars 1927. Ce texte constitue le droit commun de l’extradition, en l’absence de conventions internationales.

Son ancienneté justifiait l’élaboration d’instruments plus modernes, adaptés aux besoins de notre temps et plus significatifs de l’intégration européenne.

Dans un premier temps, les Etats membres de l'Union européenne ont entendu simplifier le droit de l’extradition. Ainsi le Traité de Maastricht a fait de la coopération judiciaire en matière pénale un domaine d'intérêt commun.

Ce travail a débouché notamment sur la signature, en 1995 et 1996, de deux conventions importantes. Fondées sur la Convention européenne d’extradition de 1957, elles tendent à simplifier les procédures d’extradition tout en s’efforçant de réduire ou de surmonter les obstacles traditionnels à l’extradition.

Le Gouvernement a récemment engagé le processus tendant à demander au parlement d’autoriser la ratification de ces deux conventions.

Parallèlement, une réforme de la loi du 10 mars 1927 est apparue indispensable.

L’amélioration de la coopération judiciaire entre les Etats membres de l’Union européenne repose sur la simplification et l’accélération du déroulement de la procédure d’extradition.

Dans un deuxième temps, l’Europe a ouvert des perspectives plus ambitieuses. Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, marque la volonté de l’Union européenne d’ouvrir, non seulement un espace de libre circulation, mais également un espace de sécurité et de justice.


Le traité d’Amsterdam assigne à l’Union européenne l’objectif « d’offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice, en élaborant une action en commun entre les Etats membres dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale ». (nouvel article 29 du traité sur l’Union européenne).

Aux termes du nouvel article 31 du traité, cette action en commun vise trois objectifs :

  • faciliter l’extradition entre les Etats membres ;
  • prévenir les conflits de compétences ;
  • adopter progressivement des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue.

En application du nouvel article 61 du traité, le Conseil a compétence pour arrêter des mesures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

La sécurité est désormais un objectif prioritaire de l’Union européenne.

Le Conseil européen, réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999, a pour la première fois, consacré l'essentiel de ses travaux à la réalisation d’un “espace de liberté, de sécurité et de justice”.

Les orientations définies à Tampere tendent à renforcer la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, à rapprocher les législations et à intensifier de la coopération dans la lutte contre la criminalité.

A partir de Tampere, le principe de reconnaissance mutuelle est appelé à « devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l'Union ».

Une nouvelle étape essentielle a donc été franchie. L’ensemble des membres de l’Union se sont engagés à traduire concrètement leur conception exigeante de l’Etat de droit.
L’application de ce principe repose sur un concept nouveau d’exécution directe des décisions judiciaires : une décision de justice prise dans un Etat membre est, en principe, immédiatement exécutoire dans n’importe quel autre Etat membre de l’Union.

Fondamentalement, cette approche correspond à une véritable « révolution » selon les termes employés notamment dans l’avis de la commission des affaires étrangères, car elle suppose une forte confiance des Etats membres dans leurs systèmes juridiques.

Cette confiance mutuelle est elle-même le reflet des engagements des Etats et de l’Union dans la défense des valeurs communes qu’ils ont en partage. La convention européenne des droits de l’homme, mais aussi la charte européenne des droits fondamentaux expriment ces valeurs.


Les événements du 11 septembre 2001 ont mis en évidence la vulnérabilité des démocraties face au terrorisme et à la criminalité. Il fallait réagir avec audace et rapidité pour répondre à ces nouvelles menaces et défendre nos valeurs. L’Union européenne s’est mobilisée, notamment sous l’impulsion de la France.

La décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen adoptée le 13 juin 2002, est le premier instrument mettant en oeuvre le principe de reconnaissance des décisions de justice en matière pénale.

D’autres instruments de reconnaissance mutuelle portant notamment sur les sanctions pécuniaires, le gel des avoirs et les décisions de confiscation, sont en cours de négociation ou en voie d’adoption. Ils ont eux aussi vocation à renforcer la lutte contre toutes les formes de criminalité.

2/ Qu’est-ce que le mandat d’arrêt européen ?

Le mandat d’arrêt européen constitue un instrument juridique essentiel, qui marquera un avant et un après dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé.

La décision-cadre du 13 juin 2002 permet la reconnaissance, entre les Etats membres de l’Union, des décisions de justice tendant à l’arrestation et à la remise d’une personne poursuivie ou condamnée.

Dès lors que les conditions prévues par la décision-cadre seront satisfaites, les décisions des autorités judiciaires des Etats membres seront donc reconnues et exécutées sur tout le territoire de l'Union.

La procédure traditionnelle française d’extradition, qui implique une décision du pouvoir exécutif, sera, en conséquence, remplacée par une procédure entièrement judiciaire, le rôle du pouvoir exécutif se limitera désormais, si vous adoptez ce texte, à un “appui pratique et administratif”.

Le mandat d’arrêt européen concernera des faits punis par la loi de l’Etat d’émission, d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’une durée au moins égale à douze mois ou, lorsqu’une peine ou une mesure de sûreté a été infligée, pour une durée au moins égale à quatre mois.

Une liste limitative de trente-deux infractions est établie. Elle couvre des faits très graves, relatifs notamment au terrorisme, à la criminalité organisée, mais aussi à la cybercriminalité, à la pédopornographie, aux trafics de stupéfiants …

Le mandat d’arrêt donnera lieu à remise, sans qu’il y ait lieu à un contrôle particulier du principe dit de la double incrimination. Selon le principe, les faits fondant la poursuite ou la condamnation doivent être constitutifs d’une infraction dans l’Etat d’exécution et dans l’Etat d’émission.

La décision-cadre énumère limitativement les motifs pour lesquels l’exécution du mandat d’arrêt peut être refusée.

Au titre des « motifs de non-exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen », figure l’amnistie de l’infraction ou l’irresponsabilité pénale à raison de l’âge, dans l’Etat d’exécution.

La prescription de l’action pénale ou l’exercice de poursuites, dans l’Etat d’exécution figurent, quant à eux, au titre des « motifs de non-exécution facultative ».

Lorsque le mandat d’arrêt est délivré pour une personne condamnée, il peut également être refusé si l’intéressé est résident de l’Etat d’exécution et que ce dernier s’engage à exécuter la peine.

Cette décision-cadre permet également à l’Etat d’exécution de demander des garanties à l’Etat d’émission, en cas de décision de condamnation rendue par défaut ou de risque de condamnation à une peine privative de liberté perpétuelle.


Enfin, la décision-cadre fixe les critères de décision en cas de concours de demande. Elle prévoit un dispositif de sursis à l’exécution du mandat si la personne intéressée est protégée dans l’Etat membre d’exécution par un privilège ou une immunité ou pour des raisons humanitaires sérieuses. Elle règle les effets de la remise au regard de la poursuite éventuelle d’autres infractions ou d’une éventuelle remise ultérieure à un autre Etat membre, voire d’une extradition vers un Etat tiers.


3/ Pourquoi une réforme constitutionnelle ?

La décision-cadre est soumise aux principes définis par l’article 6 du Traité. Elle « respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

La décision-cadre est donc conforme à la grande majorité des principes fondamentaux du droit français qui ont été dégagés par les juridictions suprêmes en matière d’extradition.

Néanmoins, il ne pouvait être exclu que l’application combinée de la reconnaissance directe d’une décision judiciaire d’un Etat membre de l’Union européenne et de la suppression de certains motifs traditionnels de refus d’extradition, puisse être considérée comme heurtant notre tradition constitutionnelle. Je vous renvoie sur ce point à l’excellente analyse de votre commission des lois.

Le Gouvernement a donc voulu, avant d’assurer la transposition en droit français de la décision-cadre, vérifier si celle-ci était de nature à se heurter à des obstacles tirés de règles ou de principes constitutionels.


La consultation directe du Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 54 de notre loi fondamentale ne pouvait être envisagée, s’agissant d’un acte de droit dérivé et non d’un « engagement international » au sens de cet article. Le gouvernement a donc décidé dans ces conditions, de consulter le Conseil d’Etat.

Son avis, rendu le 26 septembre 2002, comme le montre votre commission qui l’a publié en annexe de son rapport, estime que, pour la très grande majorité de ses dispositions, la décision-cadre est compatible avec l’ensemble des normes de valeur constitutionnelle.

En particulier, le Conseil d’Etat a relevé que « la pratique ancienne suivie par les autorités françaises de refuser dans tous les cas l’extradition de leurs nationaux – ce que n’envisage pas la convention–cadre - ne trouve pas de fondement dans un principe de valeur constitutionnelle ».

De même, le Conseil d’Etat a considéré que la règle de la double incrimination « appliquée couramment dans le droit de l’extradition » ne pouvait davantage être regardée comme « l’expression d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens où l’a entendu le Préambule de la Constitution de 1946 ».

Le Conseil a également salué le considérant n° 12 de la directive qui prohibe la remise d’une personne s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que le mandat d’arrêt européen a été émis dans un but politique.

Le Conseil d’Etat a, en revanche, estimé que « la décision-cadre ne paraissait pas assurer le respect du principe « selon lequel l’Etat doit se réserver le droit de refuser l’extradition pour les infractions qu’il considère comme des infractions à caractère politique », qui constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946 ».

A dire vrai le risque d’inconstitutionnalité soulevé par le Conseil d’Etat paraît bien hypothétique. La liste des trente-deux infractions qui fondent de plein droit, le mandat d’arrêt européen, vise des crimes graves en des termes souvent très proches de la loi pénale française.

Néanmoins, face à ce risque, fût-il ténu, le Gouvernement, se devait de modifier la Constitution préalablement à la transposition de la décision-cadre.

Tel est donc l’objet principal du projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis.

Il vous est proposé de compléter l’article 88-2 de notre Constitution par l’ajout d’un alinéa tendant à habiliter le législateur à fixer les règles relatives au mandat d’arrêt européen.

L’article 88-2 prévoit d’ores et déjà les transferts de compétence nécessaires, d’une part, à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne et d’autre part, à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui y sont liés.

Si la révision de la Constitution du 4 octobre 1958 est motivée, pour la première fois, par la transposition d’un acte de droit dérivé et non par la ratification d’un traité, comme en 1992 et en 1999, elle se situe, néanmoins, dans le droit fil des transferts de compétences consentis pour la mise en œuvre du traité d’Amsterdam.

En tout état de cause, le gouvernement est d’accord avec votre Commission des lois sur l’idée que l’habilitation ainsi donnée au législateur ne doit pas être définie par référence exclusive à la décision-cadre du 13 juin 2002. Celle-ci, comme tout acte de droit dérivé, est un instrument contingent, susceptible d’évolution. La France ne peut modifier sa constitution au fil des évolutions d’un acte de cette nature.

Il ne s’agit pas de vous demander un blanc-seing à des évolutions que nous ne saurions aujourd’hui anticiper.

L’habilitation donnée au pouvoir législatif est circonscrite à la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, défini par des actes de droit européen pris en application du Traité sur l’Union européenne, tel qu’il existe lors de l’entrée en vigueur de la présente réforme.

Celle-ci inclura donc les ajouts du traité d’Amsterdam et, selon toute vraisemblance, ceux du Traité de Nice qui sera alors en vigueur. Mais, elle ne couvrira pas une éventuelle évolution substantielle des dispositions sur la coopération judiciaire pénale qui justifierait une ré-écriture future du Traité sur l’Union européenne.

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Le projet de révision constitutionnelle est donc indispensable pour bâtir un espace judiciaire européen cohérent. Elle est circonscrite à la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen.

Je tiens à remercier votre commission des lois et son rapporteur, M. Xavier de ROUX, pour son excellent travail, ainsi que votre commission des affaires étrangères et son rapporteur pour avis, M. Jacques REMILLER, pour la qualité de son analyse. Votre délégation pour l’Union européenne et son président, Pierre LEQUILLER ont également réalisé un très important travail d’information sur les enjeux de la construction de cet espace européen de justice.

Comme l’a rappelé le Président de la République à l’issue du Conseil des ministres du 13 novembre dernier, le mandat d’arrêt européen “permettra à l’Europe de lutter plus efficacement contre la délinquance organisée et le terrorisme, en adaptant nos moyens d’action à l’ouverture des frontières de l’Union européenne”.

La décision-cadre doit entrer en vigueur au 1er janvier 2004. La France se doit, dans ce domaine, d’être exemplaire. Aussi, sous l’impulsion du Président de la République, notre pays s’est engagé avec l’Espagne, le Luxembourg, l’Allemagne et le Royaume-Uni, à la mettre en œuvre avant la fin du 1er trimestre 2003.

Pour respecter cet engagement, il vous faudra, après cette révision constitutionnelle, adopter un projet de loi adaptant le code de procédure pénale. J’ai veillé à ce que ce texte soit dès maintenant en cours de préparation au sein du ministère de la justice. Il pourra donc être soumis très prochainement à la représentation nationale

La France montrera ainsi sa détermination à construire un véritable espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Un espace qui protège ses citoyens du terrorisme et du crime. Un espace qui protège nos valeurs démocratiques et républicaines.

Oui, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Députés, aujourd’hui, en ces matières essentielles, l’Europe est tout à la fois une évidence, une nécessité et une urgence.

Je vous remercie.