[Archives] Projet de schéma d'organisation judiciaire à Angers et Rennes

Publié le 09 novembre 2007

Discours de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice / Préfecture de Rennes

Je veux d'abord vous remercier de votre présence aujourd'hui, notamment ceux qui sont le plus éloignés de Rennes. Je connais vos obligations. Je suis sensible à l'attachement que vous portez au bon fonctionnement du service public de la justice.

Rachida Dati / CA Angers et Rennes

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Madame et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Députés, Sénateurs et

Députés européens,

Messieurs les Préfets de Région,

Messieurs les Présidents des conseils régionaux,

Messieurs les Présidents de conseils généraux ou leurs représentants,

Madame et Messieurs les Préfets,

Madame et Monsieur les Premiers Présidents,

Messieurs les Procureurs généraux,

Mesdames et Messieurs les élus,

 

 

Je veux d'abord vous remercier de votre présence aujourd'hui, notamment ceux qui sont le plus éloignés de Rennes. Je connais vos obligations. Je suis sensible à l'attachement que vous portez au bon fonctionnement du service public de la justice.

La réforme de la carte judiciaire a été engagée le 27 juin dernier. Je l'ai toujours dit : elle se mettra en place dans la concertation. Je souhaite vous rencontrer aujourd'hui pour vous présenter les évolutions que nous envisageons pour les cours d'appel d'Angers et de Rennes. Je les présenterai tout à l'heure aux acteurs du monde judiciaire.

Vous le savez, cette réforme est importante. Comme toute réforme, elle n'est pas facile. Marylise Lebranchu et Pierre Méhaignerie, auxquels j'ai l'honneur de succéder dans les fonctions de garde des sceaux, pourront en témoigner.

Je veux vous assurer que la réforme de la carte judiciaire est conduite dans l'intérêt du justiciable, et donc des Français. Elle est inspirée de deux principes : la qualité de la justice et la réalité du territoire. Elle sera progressive et étalée sur trois ans.

Rachida DATI - CA Angers et Rennes / Crédits Photos C. LACENE

 

I - Nous voulons renforcer la qualité de la justice.

 

Les constats sont connus. On sait bien que certains facteurs ne contribuent pas à une justice de qualité. Quelques exemples :

 

-  L'isolement des juges et l'absence de soutien pour ceux qui débutent dans la magistrature.

Un juge isolé dans son tribunal n'a pas de possibilité d'échanges avec des magistrats plus expérimentés.

- La multiplicité des fonctions que les magistrats sont amenés à exercer dans les plus petites juridictions.

Les magistrats passent d'un dossier à l'autre : ils sont tour à tour juge correctionnel, juge d'instruction, juge aux affaires familiales, juge de l'exécution, juge du surendettement...

- La dispersion des moyens qui rend la tâche si difficile quand un magistrat ou un greffier est absent.

Tous les gouvernements, de droite et de gauche, augmentent les moyens de la justice depuis dix ans. Et on ne parvient pas à assurer la continuité nécessaire du service public.

- La difficulté d'assurer la sécurité dans 1 200 juridictions réparties sur 800 sites.

- L'insuffisante spécialisation des juges alors que les contentieux sont de plus en plus techniques et les procédures de plus en plus exigeantes.

 

La réorganisation de la carte judiciaire, à elle seule, ne règlera pas toutes les difficultés. Elle n'est que l'un des aspects de la réforme de la justice.

Le regroupement et la mutualisation des moyens sont une condition d'une justice plus rapide et plus efficace. Dans une juridiction plus importante, l'organisation du travail permet un audiencement plus rapide des affaires. La charge de travail est mieux répartie. Les magistrats peuvent s'entraider. Les services du greffe sont ouverts en permanence. Ils sont spécialisés et plus efficaces. On améliore ainsi la réponse apportée à tous les justiciables.

Lorsque l'on est tout seul, lorsque les moyens sont dispersés, on ne peut pas traiter chaque dossier avec une qualité égale. On ne peut pas suffisamment écouter et accompagner les victimes.

 

II - Et puis il y a la réalité du territoire. Nous voulons la prendre en compte.

 

La justice doit être la même pour tous, sur l'ensemble du territoire. Il y a des endroits où elle n'est pas assurée dans de bonnes conditions. Il y a des juridictions sans magistrat, ou sans fonctionnaire. Ce ne sont plus des juridictions.

Notre carte judiciaire est héritée du XIXe siècle. Sa dernière réforme date de 1958. La France a beaucoup changé depuis cinquante ans. Nous devons adapter le service public de la justice aux évolutions démographiques, économiques et sociales de notre pays.

Chaque région a aussi son histoire, ses spécificités. Il n'y a pas de règle mécanique, plaquée uniformément depuis Paris. Trois exemples :

  • La concertation a montré qu'il n'y a pas de consensus sur une modification des découpages entre les deux cours d'appel. Dans ces conditions, la Loire-Atlantique sera maintenue dans le ressort de la cour d'appel de Rennes.

  • En revanche, si un consensus se dégage, je ne serai pas opposée à ce que la Vendée rejoigne le ressort de la cour d'appel d'Angers.

  • Par ailleurs, certaines particularités de la géographie s'imposent sur les réalités de la vie administrative : c'est le cas par exemple du bassin de vie et d'emplois qui réunit Dinan et Saint-Malo au sein du pays de la Rance. Nous devons en tenir compte.

III - La réforme de la carte judiciaire sera étalée sur trois ans.

 

1 - La réforme commencera en 2008 avec la mise en place des pôles de l'instruction.

Après le drame d'Outreau, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté une loi qui vise à éviter l'isolement des juges, à encadrer les jeunes magistrats et à renforcer la collégialité. Le législateur a ainsi prévu la création de pôles de l'instruction.

Cette disposition entre en vigueur le 1er mars 2008, avec des formations collégiales de deux juges d'instruction, pour l'instruction des crimes et des délits les plus graves ou les plus complexes. Elle concernera toutes les affaires soumises à l'instruction à partir du 1er janvier 2010, avec des formations collégiales de trois juges d'instruction.

Nous nous sommes inscrits d'emblée dans la perspective de l'échéance de 2010. Il est paru logique de retenir comme pôle de l'instruction les tribunaux de grande instance qui ont d'ores et déjà une activité en matière d'instruction suffisante pour trois magistrats.

Dans ces conditions, la cour d'appel d'Angers comptera, à partir du 1er mars 2008, deux pôles de l'instruction : ils sont fixés aux tribunaux de grande instance d'Angers et du Mans.

L'activité d'instruction du TGI de Laval est rattachée au Mans, celle de Saumur à Angers.

La cour d'appel de Rennes comptera, à partir du 1er mars 2008, 5 pôles de l'instruction : aux tribunaux de grande instance de Saint-Brieuc, Brest, Rennes, Nantes et Lorient.

L'activité d'instruction du TGI de Guingamp sera rattachée à Saint-Brieuc ; celle de Quimper et Morlaix à Brest ; celles de Saint-Malo et Dinan à Rennes ; celle de Saint-Nazaire à Nantes ; celle de Vannes à Lorient.

Comme leur nom l'indique, ces pôles ne seront compétents qu'en matière d'instruction. Tous les tribunaux de grande instance - ceux qui seront pôles de l'instruction comme ceux qui ne le seront pas - conserveront leur compétence pour juger les délits.

Les cours d'assises d'Angers, Laval et Le Mans ainsi que celles de Saint-Brieuc, Quimper, Rennes, Nantes et Vannes resteront compétentes pour juger les crimes.

 

2 - La réforme de la carte judiciaire se poursuivra en 2009 avec les tribunaux d'instance et les tribunaux de commerce.

Pour les deux cours d'appel, on compte 37 tribunaux d'instance.

  • 24 n'ont qu'un seul juge d'instance

  • 5 sont sans magistrat affecté

  • 18 comptent moins de 5 fonctionnaires

  • 19 ont une activité qui ne justifie pas l'emploi d'un juge à plein temps.

L'étude des propositions remises par les chefs de cour, des situations concrètes et des contraintes territoriales nous amène à concentrer l'activité de proximité sur 19 tribunaux d'instance pour les huit départements.

La cour d'appel d'Angers comptera 6 tribunaux d'instance, à Angers, Cholet, Saumur, Laval, Le Mans et La Flèche.

En Maine-et-Loire, l'actuel tribunal d'instance de Segré sera regroupé avec celui d'Angers. Celui de Baugé sera regroupé avec celui de Saumur (pour les cantons de Baugé, Beaufort-en-Vallée, Noyant et Longue-Jumelles) et d'Angers (pour les cantons de Durtal et Seiche-sur-le-Loir).

En Mayenne, les actuels tribunaux d'instance de Château-Gontier et Mayenne seront regroupés avec celui de Laval.

 

Dans la Sarthe, l'actuel tribunal d'instance de Mamers sera regroupé avec celui du Mans. Celui de Saint-Calais sera regroupé avec Le Mans (pour les cantons de Bouloire, Saint-Calais et Vibraye) et avec La Flèche (pour les cantons de Château-du-Loir, La Chartre-sur-le-Loir et Le Grand-Lucé).

Les greffes détachés de Château-du-Loir et La Ferté-Bernard fusionneront respectivement avec les greffes des tribunaux d'instance de La Flèche et du Mans.

 

La cour d'appel de Rennes comptera 13 tribunaux d'instance, à Dinan, Guingamp, Saint-Brieuc, Brest, Morlaix, Quimper, Redon, Rennes, Saint-Malo, Lorient, Vannes, Nantes et Saint-Nazaire.

Dans les Côtes-d'Armor, l'actuel tribunal d'instance de Lannion sera regroupé avec celui de Guingamp. Lannion conservera bien entendu sa maison de justice et du droit.

 

L'actuel tribunal d'instance de Loudéac fusionnera avec Saint-Brieuc, de même que le greffe détaché de Paimpol. La position géographique de Loudéac, au sud des Côtes d'Armor et au cœur de la Bretagne intérieure, justifie la présence d'un point d'accès au droit et d'un guichet universel de greffe. Une maison de la justice et du droit y sera implantée.

Des audiences foraines d'un juge d'instance pourront s'y tenir. Avec la dématérialisation des procédures, tout justiciable pourra introduire une instance dans n'importe quelle juridiction française et y suivre le déroulement de son affaire.

 

Dans le Finistère, les actuels tribunaux d'instance de Châteaulin et Quimperlé seront regroupés avec celui de Quimper. Le greffe détaché de Douarnenez fusionnera avec celui du tribunal d'instance de Quimper, celui de Saint-Pol-de-Léon avec le greffe de Morlaix.

En Ille-et-Vilaine, les actuels tribunaux d'instance de Fougères, Montfort-sur-Meu et Vitré seront regroupés avec celui de Rennes.

Dans le Morbihan, les actuels tribunaux d'instance d'Auray et Pontivy seront regroupés avec celui de Lorient. Celui de Ploërmel avec Vannes.

En Loire-Atlantique, l'actuel tribunal d'instance de Châteaubriant sera regroupé avec celui de Nantes ; celui de Paimboeuf avec Saint-Nazaire. Les greffes détachés de Savenay et Guérande fusionneront également avec le greffe du tribunal d'instance de Saint-Nazaire. Les deux Maisons de justice et du droit (Nantes et Nantes-Rézé) sont maintenues.

 

Pour les tribunaux de commerce, notre projet s'appuie sur les recommandations de la conférence des juges consulaires de France et du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. La réforme vise à améliorer la qualité, l'impartialité et la lisibilité de la justice commerciale.

Nous voulons renforcer l'implication des parquets dans le suivi de l'ensemble des procédures commerciales. Nous voulons mieux garantir l'impartialité des juges consulaires : les commerçants veulent bien être jugés par des commerçants ; ils ne veulent pas être jugés par des concurrents.

Nous voulons aussi renforcer la compétence technique des juges consulaires. Les contentieux ont évolué. Ils sont plus complexes, qu'il s'agisse de la prévention des difficultés des entreprises, de la sauvegarde des entreprises, des procédures collectives et même du contentieux général. La justice commerciale est donc appelée à être resserrée et renforcée.

La cour d'appel d'Angers comptera 3 tribunaux de commerce, à Angers, Laval et au Mans. L'actuel tribunal de commerce de Saumur (qui traite 130 affaires contentieuses par an) fusionnera avec celui d'Angers. Celui de Mamers (101 affaires) fusionnera avec celui du Mans.

La cour d'appel de Rennes comptera 9 tribunaux de commerce, à Saint-Brieuc, Brest, Quimper, Rennes, Saint-Malo, Nantes, Saint-Nazaire, Lorient et Vannes. L'actuel tribunal de commerce de Morlaix fusionnera avec celui de Brest.

Les compétences commerciales des tribunaux de grande instance de Guingamp et de Dinan seront transférées respectivement aux tribunaux de commerce de Saint-Brieuc et de Saint-Malo. La justice commerciale sera ainsi mieux identifiée.

En Loire-Atlantique aussi, elle sera rendue plus lisible : nous proposons d'aligner le ressort des deux tribunaux de commerce existants (Nantes et Saint-Nazaire) avec les ressorts des deux tribunaux de grande instance.

 

3 - La réforme s'achèvera en 2010 avec les tribunaux de grande instance.

 

En premier lieu, quelques contentieux très spécialisés seront traités au niveau interrégional. Ils nécessitent une spécialisation accrue des juges et une jurisprudence mieux harmonisée : contentieux de l'adoption internationale, du droit de la presse, de la nationalité, de l'indemnisation de l'amiante, des catastrophes en matière de transport.

Dans ces affaires complexes, il faut des juges spécialisés pour une justice de meilleure qualité : plus on disperse, moins on garantit la compétence. Notre objectif, c'est de faire émerger des chambres spécialisées. La spécialisation est gage de sécurité technique et de rapidité d'analyse. Cela permettra aussi de mieux garantir l'égalité de traitement des justiciables. Je pense notamment au douloureux contentieux de l'amiante.

Ces affaires seront traitées au tribunal de grande instance de Rennes, siège de la juridiction interrégionale spécialisée. Le Parlement sera appelé le moment venu à se prononcer sur cette répartition des contentieux. Celle-ci relève en effet du domaine de la loi.

En second lieu, il faut accepter des regroupements de tribunaux de grande instance là où on peut le faire.

La présence de la justice restera forte sur les deux cours d'appel avec 12 TGI pour les huit départements des deux cours d'appel.

 

Pour le Maine-et-Loire : le TGI d'Angers.

Pour la Mayenne : le TGI de Laval.

Pour la Sarthe : le TGI du Mans.

Pour les Côtes-d'Armor : le TGI de Saint-Brieuc.

Pour le Finistère : les TGI de Brest et Quimper.

Pour l'Ille-et-Vilaine : le TGI de Rennes et Saint-Malo.

Pour la Loire-Atlantique : les TGI de Nantes et Saint-Nazaire.

Pour le Morbihan : les TGI de Vannes et Lorient.

 

L'actuel tribunal de grande instance de Saumur fusionnera avec celui d'Angers ; celui de Guingamp avec Saint-Brieuc ; Celui de Dinan avec Saint-Malo et celui de Morlaix avec Brest.

Ces tribunaux n'ont pas une forte activité judiciaire. Ils n'ont pas non plus de perspective de croissance. Ils vont perdre leur activité d'instruction et, pour deux d'entre eux, leur compétence commerciale. Ils n'ont pas d'établissement pénitentiaire dans leur ressort.

Saumur, Guingamp, Dinan et Morlaix conserveront leur tribunal d'instance. Ces tribunaux seront même renforcés. Ils traiteront bien entendu les affaires de leur compétence. Ils pourront aussi continuer à accueillir le contentieux des affaires familiales qui relève du tribunal de grande instance : nous proposons de mettre en place des audiences foraines, où c'est un juge du TGI qui se déplace.

 

Il faut aussi se projeter dans l'avenir : les nouvelles technologies permettent une nouvelle forme de proximité.

Demain, le justiciable et son avocat pourront recevoir un jugement par courrier électronique. Ils pourront suivre l'avancement de leur procédure sans avoir à se déplacer. Ils pourront compléter ou consulter un dossier à distance.

Les procédures pénales seront numérisées en 2008, les procédures civiles en 2009.

Nous serons bien entendu attentifs aux conséquences pour les avocats. Je sais que c'est un point important qui compte pour une ville.

 

21 avocats sont inscrits au barreau de Saumur, 33 à celui de Guingamp, 18 à celui de Dinan, 22 à celui de Morlaix, sur un total de 2 246 dans le ressort des deux cours d'appel.

Nous sommes prêts à envisager des mesures compensatoires. J'en ai parlé avec leurs représentants nationaux. J'en parlerai tout à l'heure avec tous leurs représentants régionaux.

Rachida DATI - CA Angers et Rennes

Rachida DATI - CA Angers et Rennes / Crédits Photos C. LACENE

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Deux points brièvement pour conclure.

 

1. La réforme sera mise en œuvre avec le souci des personnels qui seront accompagnés individuellement.

Nous prendrons en compte les conséquences en matière de logement, de déplacement et de carrière. La réforme ne s'appliquera pas du jour au lendemain. Nous allons les aider à s'y préparer. Dès la semaine prochaine, la mission carte judiciaire de la chancellerie, se rendra dans votre région pour faire un premier point des situations individuelles.

La mission étudiera également les conséquences immobilières de la réorganisation. Il s'agit d'améliorer les conditions de travail des personnels en juridiction ainsi que les conditions d'accès des justiciables.

 

2. Comme vous pouvez le constater, nous avons privilégié une démarche pragmatique, et non mécanique.

Nous avons recherché le meilleur équilibre entre les impératifs de modernisation de l'institution judiciaire, de renforcement de la qualité de la justice au service de nos concitoyens et l'indispensable prise en compte des équilibres territoriaux.

Je sais que vous partagez ces préoccupations. Le Gouvernement vous propose que nous les mettions en œuvre ensemble pour que demain la justice réponde mieux aux aspirations de nos concitoyens.

Je vous remercie.