[Archives] Rencontre « Savoir écouter la parole de l’enfant »
Publié le 26 novembre 2004
Discours du Garde des Sceaux à l'Université JEAN MOULIN
Monsieur le Préfet ;
Monsieur le Premier Président ;
Monsieur le Procureur Général ;
Monsieur le Président de l’Université ;
Mesdames et Messieurs ;
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir dans l’enceinte de l’Université Jean MOULIN pour cette journée d’échanges consacrée à l’écoute de la parole des enfants victimes.
Je remercie tout spécialement le Président de l’Université qui a bien voulu collaborer étroitement à la préparation de cette manifestation ainsi que les différents intervenants qui pour certains ont fait un long déplacement.
Je remercie chaleureusement le Dr BROWN d’avoir répondu favorablement à notre invitation. Vous nous ferez partager l’expérience américaine à travers le modèle du « child advocacy center » qui existe depuis les années 80.
Merci à vous tous d’avoir répondu aussi nombreux .
Issus d’horizons différents, médecins, avocats, professionnels de l’aide sociale à l’enfance, magistrats, éducateurs, policiers ou gendarmes, vous êtes tous des professionnels interpellés par la difficulté d’écouter et analyser la parole d’un enfant victime.
C’est parce que le sujet est difficile, que nous devons ensemble accepter de regarder la situation et améliorer nos réponses.
Le constat est sombre.
Chaque année, en moyenne 18 000 enfants sont victimes de faits de maltraitance.
Au-delà des chiffres, qui pour certains observateurs sont très en deçà de la réalité, il convient de s’interroger sur la qualité de la réponse des pouvoirs publics à la souffrance des enfants victimes.
De trop nombreux faits divers viennent mettre en exergue les insuffisantes réactions des institutions aux faits de maltraitance dont sont victimes les enfants.
En cette matière, l’attente de nos concitoyens est forte. Les critiques sont nombreuses.
Il faut accepter de regarder la réalité en face.
La récent procès de l’affaire dite d’Outreau a crée un séisme dans l’opinion.
Des dysfonctionnements judiciaires sont apparus.
Des acquittements sont venus tardivement corriger les erreurs du procès.
Toutefois, en écho, un écueil nous guette : la dévalorisation de la parole de l’enfant.
Cette dérive, je ne la veux pas.
Depuis de nombreuses années des efforts importants ont été faits pour reconnaître toute sa valeur à la parole de l’enfant victime.
Une affaire judiciaire, aussi porteuse de réactions soit elle, ne peut anéantir la place qui doit légitimement revenir à la parole de l’enfant.
En cette journée, je tenais à le dire solennellement.
Certes, la question de l’enfance victime est particulièrement complexe.
Des dispositifs de protection de l’enfance existent. De nombreuses initiatives accompagnent sur le terrain les règles posées par le législateur.
Pour autant, l’efficacité de ces dispositifs implique la pluridisciplinarité, le décloisonnement des administrations concernées.
Bref, autant de comportements qui ne sont pas à-priori dans notre tradition tant administrative que judiciaire.
Dès mon arrivée au ministère de la justice, j’ai voulu initier des actions très concrètes en matière de protection de l’enfance afin notamment d’améliorer, dans la pratique, le travail des professionnels.
Je rappelle ainsi la publication du guide du signalement sur les mineurs victimes d’infractions pénales diffusé à partir de janvier dernier à plus de 15 000 exemplaires.
L’objectif de ce guide est de mettre en valeur les bonnes pratiques qui permettent d’optimiser les circuits d’information, de constatation et de prise en charge des mineurs victimes d’infractions pénales et de les étendre au plan national.
J’ajoute qu’avec la parution du certificat médical type, élaboré avec les associations de protection de l’enfance et l’ordre national des médecins, j’ai souhaité favoriser le développement des signalements par les médecins sans que ceux-ci soient exposés à des poursuites judiciaires ou disciplinaires.
Ces actions facilitent le travail des professionnels.
Pour autant, comme vous le savez, la délinquance sexuelle est en croissance constante depuis vingt ans comme en témoigne le nombre de condamnés qui a été multiplié par plus de 7 entre 1980 et 2004, passant de 1 100 personnes à 8 200 aujourd’hui.
Leur part dans l’ensemble des détenus est passée de 5 % à 22 % dans la même période.
Nous devons faire face à cette évolution par une politique globale et cohérente.
Il faut d’abord réprimer. Le code pénal promulgué en 1994 a aggravé les peines sanctionnant ce type de crimes.
Il faut également mieux contrôler les personnes condamnées.
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé la création d’un fichier des délinquants sexuels qui permettra de localiser ces personnes à leur sortie de prison.
Ce fichier dont la création est prévue par la loi du 9 mars 2004 sera précisé par décret en mars 2005 et opérationnel en juin 2005.
Mais il faut aussi mieux prévenir et mieux assurer l’application effective de la loi du 17 juin 1998 sur les infractions sexuelles, notamment en ce qui concerne les injonctions de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire.
L’une des raisons pour lesquelles ce dispositif fonctionne mal, réside dans le fait que les médecins ne disposent pas de médicaments officiellement reconnus comme indiqués pour lutter contre des comportements sexuels déviants et pathologiques.
C’est dire tout l’intérêt de la recherche du professeur Serge Stoléru dont l’objectif est d’observer les effets de deux molécules sur une population de patients qui ont des antécédents de délinquance sexuelle ou qui ressentent des tentations de passer à l’acte.
Je soutiens donc ce projet très activement, notamment financièrement, car j’espère qu’il contribuera à renforcer nos moyens d’action contre ce phénomène.
Je ne souhaite pas qu’il y ait de malentendus : il n’est pas question de promouvoir une approche exclusivement médicamenteuse de l’injonction de soins. Le traitement psychiatrique restera très présent, les deux approches étant complémentaires.
Je ne veux pas entendre parler non plus de castration chimique car ce traitement ne sera ni mutilant ni irréversible.
Il s’agit là aussi de se doter d’une réponse nouvelle pour améliorer la lutte contre la délinquance sexuelle.
D’une manière plus générale, je connais les critiques formulées à l’égard de la justice en ce qui concerne le traitement de la délinquance sexuelle notamment en ce qui concerne le délicat sujet du recueil de la parole de l’enfant victime :
- l’enfant n’est pas assez écouté ;
- il est mal écouté ;
- parfois, dans certaines enquêtes, trop fréquemment auditionné ;
- ces auditions bien que filmées ne sont pas exploitées avec assez de rigueur professionnelle.
J’accepte ces critiques.
Je considère que les pratiques professionnelles doivent évoluer.
Il faut aller plus loin dans l’intérêt du respect des victimes et notamment de celles qui en raison de leur âge sont plus particulièrement vulnérables.
Comment écouter les enfants victimes de crimes et délits commis ?
Comment lorsque les faits sont commis dans l’entourage des enfants victimes, les aider à s’extraire du conflit de loyauté, et des pressions ?
Comment déculpabiliser l’enfant ?
Comment l’aider à s’exprimer ?
Comment donner tous son crédit à la parole de l’enfant ?
Comment, enfin, protéger l’enfant ?
Toutes ces questions sont au cœur de nos échanges. Elles doivent trouver des réponses.
J’ai souhaité une rencontre inter-active entre les intervenants et les participants.
Il s’agit certes de témoigner sur ce qui ne fonctionne pas mais également et surtout sur les expériences positives ; celles qui font avancer les pratiques et qui répondent à l’attente des victimes.
Ce type d’affaires nécessite de nouvelles méthodes de travail :
- un décloisonnement entre les différents professionnels concernés,
- un échange d’informations constructif
- afin de prendre les décisions les plus adaptées dans l’intérêt de l’enfant.
La phase de l’audition est importante et doit se faire dans les meilleurs conditions possibles en particulier par des officiers de police judiciaire formés aux techniques d’audition des mineurs.
Il ne s’agit pas de sacraliser la parole mais de la traduire fidèlement en intégrant, grâce à l’audition filmée, la gestuelle de l’enfant qui est souvent éclairante de son comportement.
Très concrètement, les professionnels doivent ensuite répondre à des questions aussi diverses que :
- faut-il prendre des mesures de protection immédiates ou différées en faveur du mineur ?
- l’environnement de l’enfant est-il sécurisant ?
- a-t-on assez d’éléments pour orienter la procédure ?
Seul le travail pluridisciplinaire permet d’évaluer de façon la plus complète possible la situation de l’enfant.
C’est un gage de crédibilité pour la suite de la procédure tant en ce qui concerne ces développements en matière pénale qu’en matière d’assistance éducative.
C’est dans ce cadre que les unités d’accueil pour mineurs victimes revêtent tout leur intérêt.
Elles offrent une unité de lieu, de temps et d’action. Soit, autant d’atouts mis à la disposition des acteurs au service des victimes.
En effet, l’unité d’accueil pour mineurs est un lieu unique qui permet de recevoir le mineur. Clairement repéré au sein d’une structure hospitalière, l’unité permet une prise en charge identifiée dans un service médicalisé.
Il s’agit ensuite d’un lieu qui assure une unité d’actions. En une seule étape, l’enfant sera entendu par un officier de police judiciaire et examiné par un médecin.
Par ce passage dans l’unité médico-judiciaire, on évite à l’enfant de répéter les faits, de subir de multiples examens. L’unité de temps est ainsi consacrée.
Des unités prévoyant l’audition filmée en milieu hospitalier existent déjà.
BEZIERS, CHALON sur SAONE, SAINT –NAZAIRE, CAEN, MACON, LONS LE SAUNIER, AIX EN PROVENCE pour n’en citer que quelques unes sont autant de lieux reconnus pour apporter une réponse nouvelle qui modifie l’attitude des professionnels à l’égard de l’enfance victime.
Pour autant, force est de constater que les conditions d’accueil, de prise en charge et d’accompagnement médico-judiciaire des mineurs résultent essentiellement d’initiatives locales dont la pérennité doit être garantie.
De plus, celles-ci ne se concrétisent pas toujours de façon identique selon les sites, rendant parfois inégale la protection des enfants victimes.
Ces initiatives existent bien sûr depuis de nombreuses années notamment grâce à la mobilisation des professionnels et du secteur associatif.
A cet égard, je tiens particulièrement à remercier l’engagement de l’association « la voix de l’enfant » qui a été pionnière en ce domaine.
Je salue également tous les professionnels qui, par leur engagement, contribuent à la réussite des dispositifs mis en place.
Beaucoup d’initiatives sont en cours de réalisation. Il faut les soutenir.
Toutefois, il convient désormais d’harmoniser ces pratiques afin que s’institue une réelle méthodologie dans la création et le développement de ces unités.
A cet égard, j’ai demandé à la Direction des affaires criminelles et des grâces d’être l’interlocuteur privilégié des acteurs qui localement souhaitent s’engager dans cette voie.
Ces unités d’accueil doivent se développer. Notre rencontre va permettre, je le souhaite très vivement, de susciter des projets.
Pour accompagner ce mouvement, j’ai souhaité que cette manifestation s’articule autour de deux questions majeures.
- pourquoi créer de telles structures d’accueil
- et selon quelle méthodologie.
Il s’agit en quelque sorte d’aboutir à un constat partagé dans l’objectif de parvenir à des dispositifs cohérents qui permettront de s’appliquer à chaque situation.
L’enfance est un moment précieux. Permettons, par notre réflexion et nos actions, à ce que les enfants blessés trouvent auprès des professionnels de l’enfance maltraitée la considération et l’écoute qui leur permettront de se sentir bien-traités.
La bientraitance institutionnelle est à construire. Le développement des unités d’accueil y contribuent largement.
C’est une immense espérance pour les victimes et les professionnels.
Sachons la construire ensemble.
Je vous remercie.