[Archives] Rentrée du barreau de Paris
Publié le 19 novembre 2004
Discours de Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Monsieur le Bâtonnier,
Mesdames, Messieurs,
La rentrée du Premier Barreau de France est l’une des grandes traditions de notre vie judiciaire.
C’est un honneur d’y assister. Ce rendez-vous annuel est un moment privilégié.
Il nous permet de nous écouter, de dialoguer en toute convivialité et d’exposer directement les réflexions qui nourrissent notre travail quotidien.
Je suis heureux de rencontrer, les avocats de Paris. La diversité de leurs activités les place au carrefour de nombreux débats juridiques. Ils sont, bien souvent, à la pointe de la réflexion sur la place du droit dans la société.
Il n’est pas nécessaire d’énumérer tous les enjeux, tous les projets de réforme, tous les sujets de recherche qui animent actuellement l’action de la Chancellerie.
Les travaux qui nous rapprochent sont nombreux. Nos préoccupations convergent le plus souvent dans une même direction. Notre désir d’agir pour le bien de la Justice nous réunit.
Lorsque nous avons des divergences, je crois que nous savons les aborder franchement et y trouver la meilleure solution.
Vous avez, Monsieur le Bâtonnier, rappelé les interrogations, les craintes et les critiques que la «Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » a suscité dans vos rangs lors du vote de la loi de mars dernier.
Depuis, les esprits se sont apaisés. Le 1er octobre, la réforme est entrée en vigueur. Progressivement, la C.R.P.C. s’installe dans notre ordonnancement juridique.
Il me semble que le bilan des premières semaines de son application révèle l’intérêt, la richesse, la ressource de cette nouvelle procédure.
Je remarque que la C.R.P.C. est bien accueillie par nos concitoyens.
Les Français disent qu’ils veulent une justice à leur écoute. Ils veulent une justice qui dialogue avant de trancher. Ils veulent une justice qui décide à la fois rapidement, sereinement et humainement.
J’ai lu que beaucoup d’entre vous avaient décidé de «s’approprier» la C.R.P.C.. C’est ce que je souhaite. En effet, cette procédure est aussi un outil au service des droits de la défense. C’est ainsi qu’il faut l’utiliser. C’est ainsi que vous allez l’utiliser.
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Je souhaite aborder maintenant, Monsieur le Bâtonnier, la question de l’ouverture internationale des cabinets d’avocats français.
Vous avez, dans votre propos particulièrement insisté sur ce point. C’est pourquoi, je tiens à y revenir.
Cette préoccupation est ancienne. Toutefois, elle prend - cette année - un relief particulier puisque nous fêtons le bicentenaire du Code civil.
Les multiples festivités données pour l’occasion ont mis en évidence la remarquable vigueur de notre système juridique.
Elles ont, aussi, montré la qualité et le professionnalisme de celles et ceux qui en assurent le rayonnement.
Monsieur le Bâtonnier, vous rentrez de Washington. Sous votre impulsion, le Barreau de Paris y a organisé avec succès une conférence sur les mérites respectifs de la Common Law et du droit civil dans la pratique du droit des affaires.
Croyez bien que j’ai beaucoup regretté de ne pouvoir être parmi vous. Il m’a, toutefois, été rendu compte de vos travaux. Je les ai trouvés tout à fait intéressantes et aussi très porteurs d’avenir.
Pour ma part, je rentre, à peine de Chine. Je me suis rendu à Pékin puis à Shanghai. J’y ai rencontré nombre de vos collègues français installés en Chine.
J’ai tenu à faire ce voyage parce qu’il me paraît fondamental de développer la coopération judiciaire et de promouvoir le système juridique français.
Je veux poursuivre dans cette voie. 2005 nous offrira de multiples occasions. Je les saisirai aussi souvent que possible.
Je serai particulièrement vigilant à ce que les débats engagés autours de la ratification de la Constitution européenne portent aussi sur cette question.
Le référendum qui nous attend mobilisera les médias, l’opinion mais aussi - je n’en doute pas – les avocats.
Les avocats présents aujourd’hui savent qu’il est primordial pour la France de se tourner vers la scène internationale.
Elle ouvre des choix et des horizons professionnels plus larges. Elle enrichit nos activités. Elle profite à nos pratiques. Elle bénéficie à notre perception du droit et à son évolution.
Pour toutes ces raisons, ce rendez-vous voulu par le Président de la République doit être appréhendé comme un moment privilégié.
La campagne qui le précèdera sera l’occasion de préciser les enjeux qui nous attendent. Elle permettra, aussi, d’éclairer les zones d’ombre. Celles qui sont préjudiciables à l’Europe.
Aujourd’hui encore, l’Union européenne est trop souvent ressentie comme lointaine et technocratique. Nos concitoyens l’estiment trop éloignée de leurs préoccupations. Il faut saisir cette opportunité dans toute son intensité.
Je veux souligner, ici, qu’il résulte du traité constitutionnel des avancées très importantes pour la justice. Qui plus est, le traité fournit des instruments adaptés qui répondent aux attentes des Européens. Je pense par exemple à la sécurité et à la vie quotidienne.
Il me semble essentiel de vous faire partager cette simple conviction : grâce à l’Europe, grâce à la future Constitution européenne, nous réaliserons davantage notre objectif commun : l’installation d’un espace européen de justice et de sécurité.
Plusieurs dispositions y concourent :
- une meilleure harmonisation des législations pénales ;
- davantage de moyens donnés pour lutter contre la criminalité organisée ;
- des décisions en matière pénale prises à la majorité qualifiée.
- une Cour de justice des Communautés européennes exerçant un contrôle renforcé .
Plaider pour cette Constitution, c’est plaider pour plus de cohérence, plus d’efficacité, plus de réactivité. Ce sont là, trois qualités fondamentales de l’application du droit.
De plus, la Constitution européenne encouragera et protégera toutes les formes de coopérations renforcées. Je crois beaucoup à cette méthode. Elle a prouvé, comme vous le savez, son efficacité.
En témoignent :
- notre collaboration avec l’Allemagne et l’Espagne pour esquisser les contours d’un futur casier judiciaire européen ;
- la constitution, avec d’autres pays européens, d’équipes communes d’enquête de magistrats et de policiers, qui peuvent agir des deux côtés de la frontière ; nous avons commencé avec l’Espagne.
- notre collaboration avec l’Italie et l’Espagne pour être plus efficace dans la lutte contre les trafics maritimes («Schengen de la mer»).
Je suis d’autant plus convaincu de cet engagement en faveur de la Constitution européenne que plusieurs chantiers juridiques importants nous concernent.
Le but est simple. Il s’agit d’instaurer une «communauté de confiance» en matière de justice.
Vous avez compris que mon engagement me porte à l’enthousiasme. Mais, si je salue ces succès incontestables, je déplore aussi que la «décision cadre sur la répression des pollutions maritimes» n’ait pas encore été adoptée.
Je suis convaincu que la Constitution européenne sera propice à la construction d’un système efficace de protection environnementale des côtes européennes.
Toujours dans le cadre européen, un autre dossier requiert notre vigilance : la «directive sur la libéralisation des services».
Cette question peut avoir de graves conséquences sur l’organisation de notre système judiciaire. Je souscris pleinement à la réalisation du marché intérieur. Cependant, deux points précis m’inquiètent.
1er point : le sort des professions juridiques – comme les notaires, les huissiers ou les avocats aux Conseils.
L’actuelle rédaction de la directive européenne relative à leur réglementation met en péril notre organisation judiciaire aux principes fondamentaux de laquelle elle porte directement atteinte. Les prestations de ces professionnels ne peuvent - en aucun cas – c’est mon sentiment être assimilées aux services marchands tels qu’ils sont inscrits dans la directive.
C’est pourquoi, il faut les exclure de ce texte. Je m’y emploie très activement sur la scène française comme sur la scène européenne.
2ème point : le «principe du pays d’origine». Il risque d’engendrer un véritable dumping juridique. Il compliquerait le travail des juges qui devront appliquer simultanément 25 droits différents dans leur lettre et dans leur esprit.
Le Gouvernement français travaille à ce que ces deux points fassent l’objet d’un examen particulier L’identité et l’efficacité de notre système juridique doivent être conservés.
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Je veux maintenant élargir encore notre champ de réflexion pour aborder le secteur international. Comme vous, j’ai été choqué par les attaques à l’encontre du droit français.
Des rapports rédigés pour le compte d’organismes internationaux l’ont critiqué avec violence et sans beaucoup de pertinence. La démarche utilisée est contestable. Elle se nourrit d’à peu près et d’amalgames lorsque ce n’est pas d’erreurs manifestes.
La communauté juridique française tout entière a réagi. Je m’en réjouis.
Je veux, ici, rendre hommage au Barreau de Paris et à son Bâtonnier - Maître BURGUBURU - pour les initiatives qu’il a prises en faveur de la promotion du droit français.
Le succès du colloque de Washington - où Madame GUEDJ m’a représenté - confirme, s’il en était besoin, la vitalité de notre système juridique.
Il en est de même des avocats français installés à l’étranger et qui remportent des succès remarquables.
Je vous confirme l’engagement du Gouvernement. Il soutiendra tous ceux qui voudront consolider leur présence à l’étranger.
Qui plus est, il encouragera toutes les initiatives allant dans ce sens. Je veux citer le programme de recherche du GIP «droit et justice». De nombreux professionnels y participent. D’ores et déjà, près de 500 000 €uros ont été rassemblés pour financer ce programme. J’en réunirai bientôt le comité scientifique.
Ma position est claire et simple. Je ne suis pas opposé à la libre critique. Elle est précieuse dès lors qu’elle suscite la réflexion, dès lors qu’elle participe à la modernisation du système juridique.
Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut une base de travail rigoureuse. C’est le prix et la condition d’un dialogue fécond entre toutes les cultures juridiques.
Le droit français favorise tout autant que la common law le développement de l’activité économique. J’en ai l’intime conviction.
Je veux bien reconnaître un mérite au rapport de la Banque mondiale. Il affirme que l’environnement juridique et institutionnel est un élément-clé de la compétitivité. C’est exact ! Alors autant faire de ce constat un atout de notre action.
Le Président de la République a entendu la demande des professionnels du droit. Dans son discours à la Sorbonne lors de la célébration du bicentenaire du Code Civil, il a souhaité la création d’une Fondation pour assurer le rayonnement de notre droit.
Le Chef de l’Etat nous a fixé une ligne de conduite, je travaille à la mettre en œuvre. Pour ma part, je veux que la Fondation recueille, coordonne et développe toutes les actions en faveur de la promotion du droit français.
Je souhaite, en outre, que tous ces projets soit concrets et utiles aux professions juridiques.
La nécessité d’une fondation est évidente.
Le regroupement dans le cadre d’une même entité de toutes les initiatives qui concourent à la promotion de notre droit présente de nombreux avantages. Le droit français gagnera incontestablement en notoriété et en efficacité. Nos actions gagneront aussi en visibilité.
Pour être efficace, la Fondation ne devra pas se cantonner à la seule sphère publique. Son succès tiendra, aussi, à sa capacité d’ouverture aux acteurs économiques, aux entreprises et aux multiples professionnels du droit.
Je connais la détermination du Barreau de Paris sur ce dossier.
Je sais que le Conseil National des Barreaux et la Conférences des Bâtonniers partagent cette approche et cet engagement.
D’autres instances représentatives de professions juridiques partagent cette même volonté, ce même désir, cette même ambition.
J’ajouterai que d’importants acteurs économiques, financiers, industriels ou encore de services veulent prendre part à la promotion du droit français à l’étranger.
Pour finaliser ce projet, une petite équipe est en train de se constituer afin de :
- Rédiger un projet de statuts ;
- Fixer un plan d’action à la communauté juridique et économique française.
Une consultation sera conduite dans les toutes prochaines semaines pour que chacun puisse exprimer ses objectifs, ses attentes et ses projets d’engagement en faveur du projet.
Cette consultation a pour objet de susciter l’adhésion, d’adapter le projet si nécessaire aux besoins exprimés par les partenaires potentiels et de faire s’exprimer leurs capacités contributives, en privilégiant – c’est bien normal pour une fondation – la constitution du capital initial. Notre projet prendra la forme attractive d’une fondation reconnue d'utilité publique.
Ce statut privilégié lui permettra de bénéficier des dispositions très favorables de la loi du 1er août 2003 sur le mécénat.
Nous pourrons alors agir efficacement. Un conseil restreint se chargera de l’organisation administrative de la fondation. Son rayonnement sera assuré par un comité d’honneur international.
Je suis certain que le Barreau de Paris, y exercera son talent constructif et son imagination fructueuse.
M. le Bâtonnier, Mesdames, Messieurs, le monde du droit évolue, son environnement exige de relever constamment de nouveaux défis. Nous devons à la fois nous adapter et rester fidèles aux grands principes qui donnent sa noblesse à un métier comme le vôtre.
J’ai la conviction que dans un esprit de partenariat et de confiance partagés, nous avançons concrètement et réellement dans cette voie de la modernisation de la justice.