[Archives] Rentrée du Barreau de Paris
Publié le 04 décembre 2009
Discours de Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés
Monsieur le Bâtonnier,
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les avocats,
Mesdames et Messieurs,
« Rien n’est stupide comme vaincre, la vraie gloire est de convaincre ».
Tous les avocats du monde se reconnaissent dans la formule de Victor Hugo.
Elle pourrait parfois inspirer les politiques. Mais nous sommes ensemble pour parler des avocats.
Leurs combats se nomment des causes.
Leurs armes, ce sont leurs arguments.
Mais leurs victoires, ce ne sont jamais seulement celles d’un camp contre un autre.
Les avocats, c’est tout leur honneur, placent leur éloquence au service de la Justice.
Dans les cabinets comme dans les prétoires, les avocats défendent les libertés individuelles.
Ils portent les valeurs de la démocratie.
Ils soutiennent l’Etat de droit.
A travers la force du verbe, c’est la prééminence du droit qu’ils revendiquent.
A travers les intérêts de chacun, c’est l’égalité de tous devant la loi qu’ils défendent.
A travers les droits des justiciables, ce sont les droits de l’homme et du citoyen qu’ils font vivre.
Monsieur le Bâtonnier,
Les Français sont profondément attachés aux libertés. Leur génie les y conduit.
Leur tempérament les y ramène.
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des libertés, je veux donner aux avocats les moyens de défendre les libertés et les droits de nos concitoyens dans toutes les branches de notre droit.
C’est l’un des objectifs de la réforme de la procédure pénale (I). C’est la finalité de la politique de modernisation de la profession d’avocat (II).
I. La réforme de la procédure pénale est en cours d’élaboration.
Je travaille sur le projet de loi avec des universitaires, des magistrats, des avocats, des parlementaires.
Un avant-projet de texte devrait être prêt d’ici le printemps 2010, après des concertations très larges, auxquelles vous serez associés.
Aujourd’hui, quel est le constat ?
La procédure pénale est devenue illisible, à force de réformes ponctuelles et d’empilements de textes.
La confusion des fonctions d’enquête et de jugement n’est pas la meilleure garantie de protection des libertés.
Mon ambition est de rendre confiance dans la Justice.
Ma mission est réaliser une refonte globale de la procédure pénale.
Mon objectif est de renforcer les libertés individuelles et les droits des parties.
Ma stratégie repose sur le renouvellement des équilibres de la procédure pénale : équilibre entre les parties (A), équilibre au sein de la procédure (B).
A) Un nouvel équilibre entre les parties.
1) Il faut renforcer les droits de la défense, à toutes les étapes de la procédure.
Vous évoquez la garde à vue.
Je veux en débattre sereinement, sans tabou, mais sans outrance. L’insulte et la caricature n’ont pas leur place dans un débat démocratique.
Ce débat, naturellement, ne peut pas ne pas tenir compte des exigences posées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Encore faut-il les regarder avec objectivité et ne pas leur faire dire plus qu’elles n’exigent.
- La garde à vue est un instrument d’enquête, ni plus, ni moins.
Elle doit être limitée aux seules hypothèses des crimes et des délits pour lesquels l’emprisonnement est encouru.
Même dans ces cas, elle peut voir son champ d’application encore restreint.
- Pour les infractions les moins graves, une personne pourrait être entendue librement par les services enquêteurs, si l’audition intervient dans des délais très courts. Elle pourrait à tout moment demander d’être placée en garde à vue pour bénéficier des droits afférents au régime de la garde à vue.
- La prolongation de la garde à vue ne doit être possible que pour les délits graves, pour lesquels plus d’1 an d’emprisonnement est encouru.
- Pendant la garde à vue, la présence de l’avocat doit être renforcée.
Bien entendu, l’intervention de l’avocat dès la première heure de la garde à vue sera pérennisée.
C’est pourquoi aussi, en cas de prolongation de garde à vue, l’avocat aura connaissance et accès aux procès-verbaux d’interrogatoire dressés en première partie.
- La garde à vue répond à des exigences opérationnelles. Ne l’oublions pas.
S’agissant de la lutte contre le terrorisme et du crime organisé, le régime de la garde à vue ne peut pas être celui du droit commun. La liberté de chacun doit aller de pair avec la sécurité de tous.
- En toute hypothèse, les conditions de garde à vue ne doivent pas porter atteinte à la dignité des personnes. Il faut en assumer le principe et les conséquences.
2) Il y a les droits de la défense. Il y a aussi les droits de la victime.
- Je veux accroître les possibilités de se constituer partie civiles, dans toutes les enquêtes, pas seulement devant le juge d’instruction ou une juridiction de jugement.
- Je veux donner aux parties civiles les moyens de contester les décisions du parquet, lors de l’enquête ou à son issue.
- Je veux permettre aux victimes d’obtenir une juste réparation des dommages commis, même en cas d’alternatives aux poursuites.
B) Au nouvel équilibre entre les parties répond un nouvel équilibre au sein de la procédure.
L’enquête sera confiée au ministère public.
Il faut s’assurer qu’elle soit équitable.
La meilleure garantie de l’équité de l’enquête, c’est celle d’un contrôle indépendant.
Exerçant une fonction juridictionnelle à part entière, le juge de l’enquête et des libertés bénéficiera des plus fortes garanties d’indépendance et d’inamovibilité.
- Le procureur enquête. La victime ou le mis en cause peuvent lui demander certains actes d’investigation.
- Si le procureur refuse d’agir ou si l’acte demandé n’a pas été fait, le mis en cause ou la victime peuvent s’adresser au juge de l’enquête et des libertés. Celui-ci pourra ordonner au parquet de procéder aux actes d’investigation.
- Si le parquet persiste dans son inaction, la chambre de l’enquête et des libertés pourra être saisie. Elle pourra évoquer l’affaire et procéder elle-même à certains actes d’enquête.
- A l’issue de l’enquête, si le procureur prend une décision de classement, et que la victime la conteste, elle pourrait saisir le juge de l’enquête et des libertés. Celui-ci pourrait alors prendre lui-même une décision de renvoi devant une juridiction.
Si le parquet décide de poursuivre le mis en cause devant la juridiction de jugement, celui-ci pourrait contester la décision prise. Il pourrait alors également saisir le juge de l’enquête et des libertés.
Dans cette hypothèse, à l’issue d’une véritable audience de charge, c’est le juge de l’enquête et des libertés lui-même qui prendrait la décision de renvoi ou de non-lieu.
Mesdames et Messieurs,
Les avocats sont appelés à intervenir dans des champs de plus en plus nombreux.
C’est vrai du droit pénal.
C’est vrai du droit civil. La procédure participative, prévue par la proposition de loi Béteille, y contribuera.
C’est vrai du droit constitutionnel. La question prioritaire de constitutionnalité était évoquée à l’instant par le Président du Conseil Constitutionnel.
II. J’entends donner aux avocats les moyens de s’adapter à ces nouveaux enjeux de la profession.
La crise économique et financière a affecté l’activité des avocats.
Certains ont constaté une montée de leur activité de contentieux ou de procédures collectives.
D’autres ont vu s’effondrer des pans entiers de leur activité : fusion-acquisition, titrisation, « private equity ».
Tous doivent aujourd’hui s’adapter, se moderniser pour faire face aux demandes de la clientèle et aux exigences d’un marché internationalisé.
Le rapport DARROIS contient certaines pistes intéressantes.
La modernisation du métier d’avocat suppose une réflexion sur les structures (A) et l’exercice professionnel (B) du métier.
A) Moderniser les structures.
1) Les regroupements d’avocats sont un facteur de modernisation et une réponse à la concurrence internationale. Je veux les favoriser.
Les pistes sont multiples. Elles doivent être explorées :
- Garantir la pérennité des cabinets, par un régime de responsabilité adaptée aux risques juridiques.
- Assurer leur financement, en imaginant de nouvelles solutions. L’ouverture du capital des sociétés d’avocats à d’autres professions judiciaires en fait partie.
- Préserver leur dynamisme, en facilitant l’insertion des jeunes professionnels.
- Renforcer leur dimension internationale, en permettant les regroupements avec des avocats venus d’autres pays de l’Union Européenne.
2) L’interprofessionnalité est un deuxième facteur de modernisation.
Favoriser une communauté cohérente de juristes peut renforcer la lisibilité et l’accessibilité du droit pour les citoyens et les entreprises.
- L’objectif n’est pas de fusionner toutes les professions mais, chacune ayant son identité, de favoriser le travail en commun.
L’interprofessionnalité est le gage d’une offre de services plus globale et plus compétitive, dans le respect des compétences de chacun.
- Le rapprochement des formations peut y contribuer.
Faut-il envisager un système de formation en deux temps : formation commune d’abord, formation spécialisée ensuite ? Faut-il y intégrer les magistrats ?
Il faudra bien sûr y réfléchir y compris avec les acteurs du monde universitaire.
B) Moderniser l’exercice professionnel.
1) A l’heure des nouvelles technologies, la dématérialisation permettra d’accroître l’efficacité, tout en générant d’importantes économies pour la profession comme pour les juridictions.
C’est un gain dans l’efficacité des procédures et la rationalisation des dossiers.
C’est une exigence dans le contexte de concurrence internationale.
Les juridictions ont pris le tournant de la dématérialisation.
Les avocats ne peuvent pas rester au bord du chemin.
Le barreau de Paris est exemplaire dans bien des domaines.
J’espère qu’il ne manquera pas de l’être pour le passage à la dématérialisation.
2) La modernisation, c’est aussi plus de sécurité dans les relations juridiques.
L’acte contresigné par un avocat répond à une aspiration à la sécurité, même dans les actes courants.
Il apporte des garanties supplémentaires à la sécurité des actes juridiques quotidiens.
Il attestera que les parties concernées ont reçu l’assistance juridique d’un avocat, ce qui d’ailleurs renforcera la responsabilité de l’avocat.
Je suis déterminée à obtenir son adoption et sa mise en œuvre dans les plus brefs délais.
Avocats, notaires, chacun a son utilité, chacun a sa nécessité. Chacun doit rester dans son rôle, ce qui ne signifie pas camper strictement sur ses positions.
Avec le Conseil National des Barreaux et les représentants des notaires, je travaille à un dispositif équilibré.
Ce projet d’acte contresigné fait aujourd’hui l’objet d’une proposition de loi déposé par le député Etienne Blanc.
Elle a été actualisée. Elle a été enregistrée début novembre. Elle n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée.
Si cette difficulté n’était pas levée d’ici la fin de l’année, je proposerai au Premier Ministre que cette disposition soit inscrite dans un texte que je porterai personnellement.
3) La modernisation, c’est enfin la garantie de l’égal accès au droit.
L’aide juridictionnelle doit être adaptée aux besoins des justiciables.
De nouvelles modalités de financement doivent être envisagées.
J’ai chargé un magistrat de la Cour des Comptes et un Conseiller d’Etat de réfléchir aux propositions du rapport DARROIS. Ils me remettront leurs conclusions avant Noël.
Monsieur le Bâtonnier, j’ai entendu votre proposition. Je sais que vous avez eu l’occasion de l’évoquer avec MM. ARNAUD et BELAVAL. Elle sera donc examinée dans le cadre de ce groupe de travail.
Sur l’ensemble de ces sujets, il me revient de mener la concertation pour aboutir à un projet de loi pour le 1er trimestre 2010.
***
Mesdames et Messieurs,
Avocats du barreau de Paris, avocats des barreaux de France, en portant les valeurs de la justice au sein de la société, vous faites honneur à toutes celles et tous ceux qui concourent à l’œuvre de justice.
En prêtant votre voix et vos compétences aux justiciables, vous contribuez chaque jour à rapprocher la justice du citoyen.
Ouvrons grandes les portes de la justice !
Ensemble, faisons le pari de l’audace, l’ambition, et la volonté pour l’avenir de la profession d’avocat.
Ensemble, avec votre énergie, votre dynamisme et votre talent, construisons la justice de demain, au service des Français, au service de la France.