[Archives] Réunion de l'ensemble des magistrats des JIRS

Publié le 07 décembre 2005

Discours lors de la réunion de l'ensemble des magistrats des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS)

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Mesdames et Messieurs les Magistrats,

A un moment où l’institution judiciaire est remise en question, à un moment où beaucoup de français s’interrogent sur la qualité de leur justice, je suis très heureux de rendre visite à l’Ecole de la Magistrature, aux magistrats des juridictions interrégionales spécialisées qui, depuis 14 mois, démontrent leur efficacité en matière de criminalité organisée et en matière économique et financière.

Aujourd’hui, plus encore qu’hier, le crime organisé se joue des frontières. Confronté à des organisations mondialisées, extrêmement mobiles et fonctionnant en réseaux, la Justice se devait de s’adapter.

Ces nouvelles juridictions se révèlent désormais indispensables au traitement des dossiers complexes nécessitant la mise en œuvre de moyens importants.
Depuis leur création, les magistrats du parquet et de l’instruction de ces huit juridictions ont démontré leur disponibilité, leur capacité d’adaptation et d’expertise dans la mise en place de législation en matière de lutte contre la criminalité organisée.

Je tenais à vous féliciter personnellement de l’effort fourni.

En effet, je sais que cette approche de la criminalité organisée vous demande de nouveaux réflexes et des méthodes de travail innovantes. Ils viennent compléter vos activités traditionnelles que sont les interrogatoires, les règlements de dossiers volumineux et des audiences parfois difficiles.

Il ne s’agit cependant pas de mélanger les rôles et chacun doit exercer pleinement la fonction qui est la sienne.
Il s’agit d’améliorer la concertation, qui doit commencer dès la phase de l’enquête et se poursuivre tout au long de l’instruction.
Il s’agit également de définir le plus précisément possible une stratégie de procédure pour aboutir à une réponse judiciaire efficace et rapide en face d’une délinquance complexe.

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Les juridictions inter régionales spécialisées ont établi des contacts entre elles afin de mieux coordonner leur action, n’hésitant pas parfois à se dessaisir l’une au profit de l’autre, afin d’assurer une appréhension globale des faits.

A cet égard, j’ai remarqué que la communication par la Direction des affaires criminelles et des grâces de tableaux retraçant l’ensemble des affaires dont sont saisies les juridictions inter régionales spécialisées vous était d’une grande utilité.

Les magistrats des juridictions inter régionales spécialisées doivent être, pour les juridictions de droit commun, des centres d’appui et d’expertise.

En effet, votre connaissance approfondie des réseaux criminels et des moyens procéduraux spécifiques doit profiter à chacun.

Je voudrais insister sur la nécessité pour les magistrats spécialisés d’assurer auprès de leurs collègues un retour d’information et d’expérience permettant la diffusion d’une culture commune. C’est toute l’institution judiciaire qui doit pouvoir relever le défi de la lutte contre la grande délinquance.

Ce dialogue entre les différents niveaux de juridiction a d’ores et déjà permis, grâce à la confiance qu’il génère, d’augmenter le nombre des procédures où la juridiction spécialisée est saisie dès la phase d’enquête.

Je peux incidemment rappeler ici que la mission d’animation et de coordination confiée par l’article 706-19-1 du code de procédure pénale au procureur général dans le ressort duquel se trouve une juridiction spécialisée a nécessairement induit de nouvelles relations entre les parquets généraux.

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Vous avez utilisé les outils qui ont été mis à votre disposition dans le cadre de la loi du 9 mars 2004, et dont je sais pour certains qu’ils feront l’objet d’ateliers spécifiques dans le cadre de ce stage.

  • Les écoutes téléphoniques et les perquisitions à la demande du parquet sont déjà pleinement utilisées.
  • Les infiltrations et les sonorisations trouvent peu à peu leur place dans la conduite des procédures qui le nécessitent.

Je voudrais ici rappeler que, comme toutes les juridictions, les JIRS doivent avoir une politique pénale rationnelle en terme de moyens.
S’il n’est en aucun cas question de limiter les moyens d’enquête à votre disposition, Il est en revanche nécessaire que chacun se sente responsable de l’utilisation de ces moyens mis à disposition de l’institution judiciaire par nos concitoyens.

Un magistrat de talent est souvent je le crois sincèrement, aussi un gestionnaire de qualité !

L’utilisation par le parquet des pouvoirs qui ont été accordés par la loi du 9 mars 2004 doit permettre de mieux cerner les contours de la saisine des juridictions d’instruction et de diligenter des investigations plus ciblées et donc moins coûteuses.

Par ailleurs, la centralisation au niveau des juridictions spécialisées peut éviter l’éparpillement des procédures, générateur s’il en est de surcoûts importants. Il s’agit là de mutualiser les moyens et donc, une fois encore, d’utiliser de la façon la plus utile possible les deniers publics.

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Ces nouveaux laboratoires judiciaires que sont les juridictions inter régionales spécialisées ont su démontrer, depuis leur création, leur caractère pleinement opérationnel :

  • à ce jour, 263 procédures sont suivies par les juridictions inter régionales spécialisées dont environ 25% ressortent de la délinquance économique et financière et 75% de la criminalité organisée.
  • 85% des procédures sont des procédures d’instruction.

Cette montée en puissance s’est faite de façon progressive et réfléchie. Ainsi, les juridictions ont pu conserver leur pleine réactivité, par la maîtrise du flux des affaires dont elles ont à connaître.

Les juridictions inter régionales spécialisées ont déjà démontré la plus-value qu’elles pouvaient apporter et ont permis une résolution rapide des dossiers qui leur ont été confiés.

C’est pourquoi, je souhaite que les chefs de juridiction accueillant les JIRS préservent vos spécificités et ne vous chargent pas de contentieux annexes étrangers aux missions qui vous sont confiées.

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Il a parfois été relevé que les juridictions inter régionales spécialisées traitaient majoritairement des procédures liées aux trafics de stupéfiants,

Néanmoins, après un peu plus d’un an d’existence, on peut constater qu’elles ont également traité des dossiers

  • relatifs à d’importants trafics d’armes et d’explosifs
  • portant sur des réseaux relatifs à l’immigration clandestine
  • concernant des réseaux de malfaiteurs chevronnés commettant de multiples vols sur plusieurs départements voire sur le ressort de plusieurs cours d’appel.

En matière économique et financière, les qualifications retenues sont majoritairement liées à des escroqueries d’envergure, à des abus de biens sociaux dans le cadre de sociétés multinationales ou des contrefaçons.

Je souhaite que la diversification des types de criminalités traitées dans les Juridictions inter régionales spécialisés se poursuive et s’amplifie.

Par ailleurs, les juridictions spécialisées doivent être le lieu privilégié d’une approche systématique de la grande délinquance sous l’angle de la détection des avoirs criminels.

Il s’agit d’améliorer l’identification des patrimoines des délinquants, tant en France qu’à l’étranger, pour accroître la saisie et la confiscation de leurs biens.

A cet égard, le ministère de la justice travaille à la création d’une procédure pénale visant à la confiscation des avoirs criminels qui facilitera votre tâche en vous évitant le recours à la procédure civile, et permettra une utilisation de la saisie-conservatoire plus fréquente.
Par ailleurs, la création le 1er septembre 2005 de la Plate Forme d’identification des avoirs criminels (PIAC) au sein de l’Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière, dont la circulaire de mise en place est en cours de préparation au Ministère de l’Intérieur, est de nature à parfaire la connaissance acquise à l’échelon local du patrimoine des délinquants.

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La cohérence et la coordination dans l’appréhension des phénomènes criminels se révèlent également dans l’approche internationale des dossiers.

En raison du caractère transnational des réseaux criminels, de nouveaux outils ont été crées par la loi du 9 mars 2004, et vous les avez rapidement utilisés avec succès.

Ainsi, des équipes communes d’enquête ont été mises en place entre la France et l’Espagne. Elles ont permis de démanteler efficacement d’importants réseaux de trafics de stupéfiants. Plus de trois tonnes de cocaïne ont été saisies grâce aux efforts conjugués des magistrats et des enquêteurs.

Ce nouveau mode de coopération doit perdurer car, grâce à sa souplesse et à sa rapidité opérationnelle, il est le seul à permettre de neutraliser dans son ensemble les réseaux criminels aux ramifications internationales.

De même, par la signature d’un protocole le 21 juin 2005 entre vos juridictions et la Division Nationale Anti Mafia, sous l’égide de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, la collaboration entre l’Italie et la France en matière de trafic de stupéfiants a été renforcée en permettant de gérer de façon optimale ces phénomènes criminels.

Bien plus, les magistrats des juridictions inter régionales spécialisées ont élargi le champ de leur coopération avec des pays n’appartenant pas à l’Union européenne, notamment les Etats Unis et, grâce à une collaboration étroite, ont abouti au démantèlement de réseaux criminels officiant dans plusieurs pays.

Outre leurs connaissances des techniques procédurales spécifiques à la criminalité organisée, ces magistrats ont aussi réussi à maîtriser les outils de l’entraide répressive internationale.

La connaissance du droit est plus entière lorsqu’elle est partagée.

C’est pourquoi il m’apparaît indispensable que vous puissiez tous ensemble vous réunir au sein de ces stages dispensés par l’Ecole Nationale de la Magistrature afin de tirer les meilleurs enseignements de l’échange de vos expériences.
Comme je vous l’ai indiqué, nos concitoyens attendent beaucoup de la justice.
Vos modes de fonctionnement nouveaux sont de nature à rassurer nos concitoyens sur la capacité de l’institution judiciaire à se moderniser.

  • Des moyens humains et matériels regroupés dans certaines juridictions choisies pour leurs bassins de criminalité.
  • Des équipes de parquetiers vigilants en lien constant avec des services de polices spécialisés.
  • Des magistrats bien formés qui possèdent une expérience professionnelle de qualité notamment grâce à l’Ecole Nationale de la Magistrature et aux apports de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces.
  • Un travail en équipe systématique qui privilégie systématiquement la co-saisine des juges d’Instruction.
  • Des juges qui ne sont saisis que d’affaires importantes et qui ne sont pas noyés par d’autres procédures portant de petites affaires qui pourraient être traitées différemment.
  • Le renforcement des moyens des chambres d’instruction permettant un contrôle efficace des instructions menées au sein des JIRS
  • Tout ceci, me semblent représenter autant de pistes d’avenir pour notre justice pénale.

Mesdames et messieurs, je connais les difficultés de votre travail voire ses dangers, mais je sais que pour beaucoup d’entre vous c’est un honneur et un plaisir de servir au sein des juridictions interrégionales spécialisées.

Alors permettez-moi de vous remercier pour ce que vous faites et de former à la veille de cette fin d’année tous mes vœux de succès pour l’année prochaine pour vous, les vôtres et la Justice que nous servons tous !