[Archives] Séminaire des cadres de la Protection judiciaire de la jeunesse
Publié le 13 octobre 2016
Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Seul le prononcé fait foi
Madame la Directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse,
Mesdames et Messieurs les Directeurs inter-régionaux,
Mesdames et Messieurs les Directeurs territoriaux,
Mesdames et Messieurs les Directeurs de service,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d’être parmi vous aujourd’hui, parce que cela me permet tout d’abord de vous remercier.
Oui, vous remercier pour le travail quotidien que vous accomplissez au service de la protection de la jeunesse.
J’ai malheureusement eu trop peu l’occasion de le dire, alors, je vous le dis aujourd’hui : vous appartenez à une administration particulière.
Administration ? J’ai plutôt envie de dire, à un « univers » particulier. Un univers qui prend son sens dans l’avenir, et non dans le passé.
Un univers qui prend son sens dans les valeurs communes de ceux qui y travaillent : on n’entre pas à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) par hasard !
C’est lorsque l’on croit dans ce que l’on fait,
C’est lorsque l’on est épris de politique publique,
C’est lorsque l’on est prêt à déployer toute son énergie pour changer le présent,
C’est lorsque l’on a des idéaux, tout en étant conscient des nécessités du réel,
C’est lorsque l’on a la défense sociale, chevillée au cœur,
Que l’on entre à la PJJ !
J’ai des convictions fortes, à l’égard de la justice dédiée aux enfants.
Je crois qu’elle est le reflet de notre société, et que sa dimension éducative est plus qu’une valeur, c’est une responsabilité.
Oui, j’y crois profondément et c’est la raison pour laquelle j’ai défendu des amendements spécifiques à la Justice des mineurs dansle projet de loi de modernisation de la justice du 21ème siècle #J21 :
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comme la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs ;
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comme le renforcement des outils, permettant aux juridictions de développer l’accompagnement éducatif des adolescents dans un cadre pénal, ainsi que de renforcer leurs droits.
Certains diront que le texte aurait pu aller plus loin ; mais en tout cas, il renforce les principes auxquels je suis, tout comme vous, attaché.
C’est aussi la raison pour laquelle j’ai fait du budget mon combat et que j’ai souhaité que vous ayez davantage de moyens d’agir.
Le budget 2017 de la PJJ connaîtra une hausse significative de 31 millions d’euros, dont 22,2 millions sont consacrés aux dépenses de personnels.
Cette hausse budgétaire permettra d’assurer le maintien d’une offre diversifiée, tant pour le secteur public que pour le secteur associatif, et de garantir la continuité des parcours.
I. Le socle de la continuité des parcours
« Ce qui bouge et ce qui bloque » : Le thème de votre séminaire témoigne de votre volonté de vous adapter, de votre détermination à être toujours meilleurs pour remplir le mieux possible vos missions.
C’est un thème qui témoigne aussi de votre désir d’être lucides : ce n’est pas toujours facile, pour une organisation, d’évaluer ses forces et ses faiblesses et je tiens donc à saluer cet état d’esprit.
Depuis 2013, vous avez entrepris une mutation profonde de votre organisation et de vos pratiques.
Tout d’abord, vous avez réaffirmé la continuité des parcours et l’individualisation de la prise en charge.
C’est le socle de votre travail ; c’est la condition de la réinsertion des enfants et adolescents dans la société, c’est la condition de la prévention de la récidive.
Continuez en ce sens !
Il y a de nombreux défis qui nécessitent de s’adapter, mais il doit y avoir des intangibles.
La continuité des parcours, vient au soutien de l’action éducative, qui est l’ADN de la PJJ.
C’est un objectif pour tous ses professionnels.
C’est pourquoi cette colonne vertébrale doit progressivement stabiliser tous les échelons de l’institution ; elle doit fonder toutes ses actions.
Elle doit devenir structurante dans tous les services, entre les services, sur tous les territoires.
C’est ce changement structurel, déjà à l’œuvre et dont je sais que vous êtes intimement convaincus de la portée, qui nous évitera, le plus possible, les discontinuités, les ruptures de prises en charge, les sorties sèches à la majorité.
Evidemment, tout cela implique de nouveaux modes d’organisation du travail éducatif.
Tout cela conduit à repenser l’implication de la chaîne hiérarchique dans l’individualisation de la prise en charge.
En tant que directeurs de service, vous êtes en première ligne, puisque vous êtes les garants de la qualité de la prise en charge des jeunes.
J’ai bien conscience que, si la prise en charge éducative reste le cœur de métier de l’institution PJJ, vos fonctions évoluent.
Vous déployez de plus en plus de nouvelles compétences : le management des équipes, l’interdisciplinarité, la transversalité, le développement des partenariats …
Bien sûr, les habitudes et les pratiques ne se transforment pas du jour au lendemain.
Je pense notamment à ce qui se réorganise actuellement dans les services de milieu ouvert, qui ont désormais la mission de coordonner et de rendre compte de l’entièreté du parcours des mineurs et des jeunes majeurs.
Cette notion de « milieu ouvert socle » est la déclinaison pratique de la continuité des parcours.
Elle devient un pivot, qui modifie les manières d’agir, en impliquant plus de coopération, plus de coordination.
II. Un mouvement d’ensemble du monde judiciaire : présentation de la circulaire
Les changements auxquels vous faites face et auxquels vous vous adaptez progressivement, s’inscrivent dans un mouvement d’ensemble du monde judiciaire, prenant en charge les mineurs.
C’est pourquoi, dans ce même esprit de continuité des parcours et de transversalité, je m’apprête à signer une circulaire portant sur les réponses judiciaires à la délinquance des mineurs.
Cette circulaire fixe 3 objectifs à l’ensemble du monde judiciaire qui s’occupe des mineurs délinquants :
· un objectif de cohérence,
· un objectif de lisibilité,
· un objectif d’individualisation des réponses judiciaires.
Cette circulaire pose comme principe « l’adaptabilité permanente aux évolutions du jeune ».
Pour les services et les établissements de la PJJ, l’enjeu est de développer :
· des pratiques professionnelles,
· des relations partenariales,
· et des conditions d’encadrement innovantes.
Je ne vous ferai pas ici une présentation exhaustive de ce texte, mais je peux vous dire qu’il réaffirme la continuité de la prise en charge, y compris pour les jeunes majeurs.
Il acte la spécialisation des magistrats de la jeunesse et plus spécifiquement ceux du Parquet chargés du contentieux des mineurs.
Cela assurera la cohérence des différentes actions engagées et organisera une permanence dédiée.
Il incite également à développer les alternatives aux poursuites pour les infractions de faible gravité, qui ne sont pas ancrées dans un processus délinquant.
Mais surtout, cette circulaire formalise, davantage qu’aujourd’hui, les instances de concertation, et au sein des juridictions, entre le parquet, les juges des enfants et la PJJ, afin d’envisager ensemble, le fonctionnement de la justice des mineurs.
Voilà donc le cadre judiciaire dans lequel votre action et votre propre transformation s’inscrivent.
III. Une institution tournée vers l’avenir
Mesdames et Messieurs, vous le savez mieux que moi, lorsque l’on s’occupe de la jeunesse, on s’occupe de l’avenir.
Il n’est d’ailleurs pas anodin que vous ayez choisi de vous réunir au sein du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) pour votre séminaire.
Rappelons qu’il a été créé par la Convention en 1794 sur proposition de l’Abbé Henri Grégoire.
Et pour reprendre ses mots, le CNAM est un enfant des Lumières, qui doit concourir à la diffusion de l’innovation et des savoirs, ainsi qu’à la promotion de l’esprit de création.
Cet esprit de création, cette capacité d’innovation est au cœur de votre métier.
Lorsque je rencontre des personnels de la PJJ, c’est d’ailleurs cela qui me frappe.
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La réactivité devant les nouveaux défis,
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L’imagination pour inventer de nouveaux modes d’intervention éducative,
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Le courage aussi, parce qu’il en faut, si l’on veut lancer des expérimentations, décloisonner les services et développer de nouveaux savoir-faire.
Je pense par exemple à ce que vous faites, en matière de radicalisation.
Vous avez su anticiper la question et avez lancé une politique ambitieuse de prise en charge et de prévention.
Je sais ce que vous faites dans ce domaine, - j’ai assisté au premier regroupement des référents Laïcité Citoyenneté de la PJJ à Roubaix, en mai dernier.
J’ai vu comment vous avez construit la transversalité, en créant un réseau de référents dédiés.
Et je vous encourage tous à poursuivre, à vous impliquer fortement dans cette mission.
D’autres défis nous attendent, notamment les enfants qui vont rentrer des zones de guerre.
Cette mission éducative ne peut pas être déléguée à quelques-uns, qui seraient – entre guillemets - des « experts » de la radicalisation violente.
Vous le savez, je suis opposé à la spécialisation de structures dédiées, qui seraient seules habilitées à accueillir les mineurs radicalisés.
Nous avons fait un autre choix avec votre directrice.
Nous pensons que le savoir-faire des équipes éducatives de la PJJ demeure le socle, et que les compétences spécifiques, liées à la thématique de la radicalisation violente, comme à d’autres, doivent être diffusées dans l’ensemble de l’institution.
Toutes vos équipes doivent pouvoir acquérir des compétences, pour promouvoir la laïcité dans ce qu’elle a de généreux et d’altruiste.
Cela leur permettra de repérer les mineurs en risque, qu’ils soient suivis en milieu ouvert ou placés, et d’identifier les partenaires susceptibles de les soutenir.
Pour le budget 2017, les moyens obtenus l’ont notamment été au titre du plan d’actions contre la radicalisation et le terrorisme :
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165 emplois en tout, dont 145 au titre de ce plan (30 psychologues et 115 éducateurs), vont ainsi venir renforcer les effectifs déjà en place.
Les moyens dégagés doivent permettre de poursuivre les actions innovantes entreprises sur les territoires.
Cette capacité d’innovation doit aussi nourrir la formation des personnels de la PJJ.
Je veux donc saluer le dynamisme et la capacité à anticiper les besoins de formation de demain de l’Ecole Nationale de la Protection judiciaire de la jeunesse ; elle est là pour accompagner ces changements dans vos métiers.
J’ai d’ailleurs décidé de réformer la formation des éducateurs de la PJJ, d’abandonner le système de pré-affectation, et de proposer une formation effective de deux années pleines.
L’objectif est de veiller à ce que les stagiaires soient réellement des stagiaires, et non des professionnels placés en position de responsabilité.
L’apprentissage passe, en effet, par la transmission.
Cela a un coût et nécessitera de renforcer les effectifs ; ce qui sera fait dès le PLF 2018.
Mais cela permettra d’améliorer et de diversifier encore la formation de vos éducateurs.
Je suis intimement convaincu que l’on juge une société au soin, à la protection qu’elle apporte à sa jeunesse.
Pour reprendre les mots de Fénelon, « la jeunesse est la fleur de toute une nation, c'est dans la fleur qu'il faut préparer les fruits ».
Vous donner les moyens d’agir, créer toutes les conditions favorables à votre développement, à votre adaptation, à vos mutations, est la meilleure manière de préparer l’avenir.
De donner toutes leurs chances aux futures générations.
On entend beaucoup parler de l’identité, en ce moment.
Pour moi, l’identité, c’est d’abord ce que l’on fait.
Nous ne sommes pas condamnés à être enfermés dans des étiquettes a priori : ce sont nos actes qui nous définissent, et c’est pour cela d’ailleurs que nous sommes libres.
En donnant plus de moyens à la Justice, en apportant un soin particulier à la protection judiciaire de la jeunesse, notre gouvernement, notre génération, notre pays, témoigne de ce que l’avenir mérite toute notre énergie !
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