[Archives] Visite du garde des Sceaux de la maison d'arrêt de Chartres

Publié le 14 avril 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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7 minutes

Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur de l’Administration Pénitentiaire,
Madame la Présidente,
Monsieur le Procureur,
Monsieur le Directeur régional,
Monsieur le Directeur de la Maison d’Arrêt,
Monsieur le Directeur Départemental du SPIP,
Messieurs les Aumôniers,
Mesdames et Messieurs les présidents et responsables de mouvements associatifs,
Mesdames et Messieurs,


Je voudrais tout d’abord remercier le chef de la Maison d’arrêt de Chartres et le directeur régional des services pénitentiaires de Paris pour cette passionnante visite.

Un grand merci également à tous ceux, magistrats, surveillants et fonctionnaires, qui m’ont livré, au cours de cette table ronde, les enseignements de leur pratique quotidienne. J’apprécie ces occasions privilégiées de retrouver l’ensemble de la famille de la Justice, unie autour de projets communs, de projets mobilisateurs, de projets qui contribuent à la modernisation du service public.

C’est la douzième fois que je me rends, en qualité de Garde des Sceaux, dans un service pénitentiaire.

Cette fois encore, je suis heureux de me retrouver parmi vous, tant j’ai d’estime, de sympathie et de respect pour les fonctionnaires pénitentiaires.

Dans l’anonymat et des conditions souvent difficiles, vous menez avec beaucoup de compétence et d’enthousiasme un travail exemplaire au service de la sécurité de nos concitoyens et de la réinsertion des détenus.

L’objectif de ma visite à la Maison d’arrêt de Chartes est double. Il s’agit pour moi de compléter ma connaissance des établissements pénitentiaires, mais aussi d’insister sur l’importance que j’accorde aux alternatives à la détention et aux aménagements de peine.

Je me suis déjà rendu dans de très grands établissements (à Fleury-Mérogis et à Fresnes), dans des structures récentes (à Lille Sequedin), dans des Maisons centrales hébergeant des condamnés à de très longues peines (à Clairvaux) ou dans des Centres de semi-liberté (à Maxeville près de Nancy).

Aujourd’hui, j’ai souhaité découvrir une Maison d’arrêt d’une taille plus modeste, comme il en existe des dizaines dans notre pays.

J’ai pu me rendre compte des efforts que vous déployez pour prendre en charge, dans les meilleures conditions possibles, les détenus qui vous sont confiés par l’autorité judiciaire.

Vous réussissez, avec le soutien des bénévoles, des enseignants, des aumôniers et du personnel hospitalier, à donner une humanité à ces bâtiments pourtant anciens.

La situation à Chartres, comme dans de nombreuses Maisons d’arrêt, n’est toutefois pas satisfaisante.

C’est pourquoi depuis 2002, les gouvernements de cette législature se sont engagés dans une politique ambitieuse de construction et de réhabilitation d’établissements pénitentiaires.

Aux discours théoriques, aux incantations abstraites et aux critiques systématiques, nous avons préféré les actes afin d’améliorer concrètement les conditions de vie des détenus et le travail des personnels.

Je voudrais, à ce titre, vous citer une phrase de Saint-Thomas d’Aquin : « il faut un minimum de bien être pour pratiquer la vertu ». Je trouve qu’elle s’applique bien aux prisons.

Il faut un minimum de bien être pour pouvoir parler d’humanisme dans les prisons. Sinon, je crains que cela ne soit que des paroles en l’air.

Alors qu’entre 1900 et 1986, seules 14 500 places de prison ont été construites, les gouvernements appartenant à l’actuelle majorité ont réalisé des efforts sans précédent pour moderniser le parc pénitentiaire.

En 1986, Albin Chalandon lance un programme ambitieux de construction de 13 000 places de prison.

En 1994, c’est le programme Méhaignerie, qui prévoit la construction de 4 000 places.

Enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la justice, votée en 2002, prévoit la construction de 13 200 places, dont les premières verront le jour en 2007.

Cette politique de construction d’établissements pénitentiaires conduira à de réelles améliorations pour les détenus. Les cellules seront plus confortables, les douches seront individuelles, les équipements socio-éducatifs seront plus adaptés, les espaces de loisirs plus accueillants et les parloirs familiaux plus nombreux. Les conditions de travail des personnels s’en trouveront fortement améliorées.

La réalisation d’un tel programme prend nécessairement du temps. En attendant, nous ne sommes pas restés inactifs.

Grâce à l’ouverture des 6 établissements lancés par Pierre Méhaignerie et à un programme de rénovation de bâtiments vétustes au sein des prisons, plus de 3.000 places ont été mises en service et des établissements vétustes ont pu fermer.

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La prison est parfois nécessaire. C’est au juge en toute indépendance de l’apprécier. Il s’agit là d’une garantie fondamentale dans une démocratie.

Mais la prison doit être réservée aux faits les plus graves, ceux qui portent atteinte à la personne, ceux qui mettent en péril le pacte social.

La prison doit aussi, pour être efficace, préparer à une sortie sans récidive.

L’action des SPIP est, à cet égard, fondamentale. C’est pourquoi, de 2002 à 2007, 1.000 emplois de fonctionnaires auront été créés au sein de ces services dédiés à l’insertion des détenus.

Cette année, ce n’est pas moins de 500 travailleurs sociaux qui seront recrutés par l’administration pénitentiaire.

Mais ce combat, pour la réinsertion ne peut et ne doit être réservé à la seule administration pénitentiaire.

Il est indispensable que le condamné participe activement au processus qui lui est proposé, tant il est évident que l’on ne peut réinsérer quelqu’un contre sa volonté.

C’est là une évidence qui mérite d’être rappelée dans une société qui a parfois tendance à oublier l’importance de la responsabilité individuelle. Au delà de cette volonté individuelle et du travail remarquable conduit par les fonctionnaires pénitentiaires, il faut que l’ensemble de la société s’investisse.

C’est là tout l’objet de la politique de décloisonnement et de partenariat engagée par l’administration pénitentiaire qu’il faut poursuivre et intensifier.

Je citerai, à titre d’illustration, les partenariats existants avec les hôpitaux ou l’Education Nationale qui ont permis des avancées sensibles en matière de soins, de lutte contre l’illettrisme et d’apprentissage des savoirs.

Beaucoup a été fait mais il nous faut, tous ensemble, avec pragmatisme et volonté, aller encore plus loin.

La dynamique qui a pu être engagée en prison doit se poursuivre à l’approche de la sortie.

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Je souhaite donc tout mettre en œuvre pour éviter les « sorties sèches » sans suivi et sans soutien.

C’est l’objectif de la loi du 9 mars 2004 qui pose le principe d’un aménagement des fins de peine sous la forme de la semi-liberté, du placement extérieur, de la libération conditionnelle ou du bracelet électronique.

Cette politique volontariste commence à porter ses fruits.

Pour la première fois en 2004, le nombre d’aménagements de peine a augmenté alors qu’il stagnait depuis 10 ans. En 2004, en effet 18.000 mesures ont été prononcées alors qu’elles oscillaient autour de 15.000 les années précédentes.

Cette augmentation s’est poursuivie en 2005 puisque nous approchons les 20.000 mesures.

Je souhaite amplifier cette tendance et atteindre les 25.000 mesures d’aménagements de peine dès cette année.

C’est pourquoi j’ai souhaité mobiliser l’ensemble de la chaîne pénale autour de ce projet.

Je vais, très prochainement, rappeler dans une circulaire aux Procureurs Généraux, l’importance des aménagements de peine qui constituent un outil de lutte contre la récidive.

Je demanderai, également, aux directeurs régionaux de l’administration pénitentiaire de transmettre, régulièrement, aux magistrats les possibilités concrètes d’aménagements de peine se trouvant à leur disposition. Ainsi, à tout moment, le Juge d’application disposera t-il de tous les éléments pour prendre sa décision.

Dans cette optique, les Centres de semi-liberté permettent, pour les détenus condamnés à une courte peine ou en fin de peine, de retrouver des perspectives d’emploi tout en bénéficiant d’un encadrement adapté. Plus de 2.000 places de semi-liberté sont actuellement disponibles.

Cela ne suffit pas. J’ai donc lancé la construction de 500 places supplémentaires de semi-liberté afin de donner aux détenus qui y sont prêts la possibilité de se réinsérer par le travail. Ces places seront affectées prioritairement à Aix en Provence, Bordeaux, Lille, Avignon, Villefranche-sur-Saône et Saint Etienne.

Le dispositif sur lequel je veux que nous réalisions un effort précédent est le bracelet électronique.

J’ai été très heureux d’assister, il y a quelques instants, à la pose du 10 000e bracelet électronique fixe. Ce chiffre symbolique traduit l’engagement du gouvernement et de toute l’administration de la Justice en faveur de cette mesure.

Le nombre de condamnés placés sous bracelet augmente tous les mois et plus de 1.300 personnes font, actuellement, l’objet de cette mesure.


Je vous rappelle que de nombreux observateurs étaient critiques ou sceptiques lorsque nous nous étions fixés l’objectif de 3.000 placements simultanés pour la fin de l’année 2007. Nous sommes en train de gagner ce pari.

L’introduction du bracelet électronique mobile par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive ouvre, par ailleurs, des perspectives particulièrement intéressantes.
Là encore, que de critiques lorsque j’ai porté ce projet, d’abord comme Président de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale et ensuite, en qualité de Garde des Sceaux.

Je suis certain que dans quelques années, on soulignera, à l’instar du bracelet fixe, l’intérêt de cette mesure.

Elle offre, en effet, au Juge la possibilité de concilier protection de la société, respect des victimes et réinsertion des condamnés à de longues peines et présentant un risque de récidive.

Dès le premier juin, le bracelet électronique mobile fera l’objet d’une expérimentation dans le ressort des Cours d’appel de Caen et de Douai.

Fin 2006, le dispositif sera progressivement généralisé à l’ensemble du territoire.

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Mesdames et Messieurs,

Depuis 2002, nous avons trouvé un équilibre entre la sanction et la répression, entre la sécurité de nos concitoyens et la réinsertion des détenus.

Il n’existe pas de politique pénale à sens unique. La volonté du gouvernement est très claire : la fermeté de la peine n’exclut pas son adaptation à la personnalité du condamné.

Je vous remercie de votre attention.