Typologie de contenus: Discours du ministre

Clôture du séminaire pour les 20 ans des juridictions inter-régionales spécialisées, au tribunal judiciaire de Lyon

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Madame la préfète,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les chefs de cours et de juridictions,

Mesdames et Messieurs, pris en vos grades et qualités

Mesdames, Messieurs,

20 ans après la loi du 9 mars 2004 instituant les huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), je suis heureux de clôturer aujourd’hui le séminaire célébrant l’anniversaire de cette création.

Sans ignorer les défis que pose aujourd’hui le très haut niveau de menace que représente la criminalité organisée, les JIRS doivent être célébrées à la hauteur de l’innovation et de la réussite qu’elles représentent.

20 ans après, il faut ici souligner le caractère novateur et l’originalité que constituait à l’époque la création de juridictions spécifiquement dédiées à la lutte contre la criminalité organisée à l’initiative de Dominique Perben, alors garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Il était alors fait le choix non seulement de spécialiser leurs acteurs, de leur donner des moyens d’investigations dérogatoires pour agir, mais aussi de repenser les critères de compétence des juridictions en leur insufflant davantage de souplesse, par le biais d’un mécanisme innovant de compétence concurrente au niveau interrégional.

L’édifice a depuis été complété au gré de l’évolution et de l’internationalisation de la menace constituée par les réseaux criminels, suivant une même logique d’adaptation et de spécialisation par la création en 2019 de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) par Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Véritables incarnations du modèle français de lutte contre le crime organisé, les JIRS sont aujourd’hui pleinement reconnues.

En témoignent incontestablement :

  • l’augmentation continue des affaires dont elles se saisissent depuis leur création (plus de 7 000 procédures à ce jour) ;
  • leur contribution majeure aux volumes sans cesse plus élevés d’avoirs criminels saisis et confisqués annuellement ;
  • leur bonne identification dans le cadre de la coopération internationale et la reconnaissance à l’échelle internationale des stratégies d’investigation innovantes déployées par elles.

S’il y avait indéniablement de l’ingéniosité dans la création de la JIRS puis de la Junalco, c’est à la détermination et à l’engagement exceptionnels des femmes et des hommes qui, depuis 20 ans, incarnent ces juridictions que nous devons leur bilan si positif.

Vous tous, procureurs, juges, assistants spécialisés, juristes assistants, attachés de justice, directeurs des services de greffe judiciaires et greffiers, qui incarnez les visages de la lutte judiciaire contre le crime organisé, témoignez par votre présence de votre mobilisation dans ce combat de chaque instant.

L’activité de l’institution judiciaire s’appuie quotidiennement sur celle des services d’enquête et des douanes, et de l’ensemble des partenaires nationaux et internationaux, dont d’éminents représentants sont présents aujourd’hui. Par votre intermédiaire, je tiens ici à saluer chacun de vos services, acteurs indissociables de l’action des JIRS.

Madame la première présidente de la Cour d’appel de Lyon, Madame la procureure générale, Madame la directrice des affaires criminelles et des grâces, je vous remercie vivement pour la proposition qui m’a été faite de clôturer cet anniversaire – ô combien important – et vous félicite pour l’organisation de cet évènement en lien avec les professionnels du tribunal judiciaire de Lyon.

Je sais que cette organisation a pu compter sur la contribution essentielle de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) dont le fonds de concours est alimenté par les confiscations des avoirs criminels opérées.

Permettez-moi ici de souligner la satisfaction qui est la mienne de voir les résultats tangibles de l’action de l’autorité judiciaire et des services enquêteurs ainsi réinvestis dans la célébration et le renforcement des moyens de la lutte contre la criminalité organisée.

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Partageant votre plein engagement à œuvrer au démantèlement des réseaux criminels, je mesure aussi à vos côtés, combien, 20 ans après leur création, les JIRS font aujourd’hui face à une menace majeure ; menace dont les diverses manifestations ont été au cœur de vos deux journées de travaux, tout autant que les adaptations rendues indispensables pour y faire face.

Cette menace, longtemps sous-estimée, n’a ni visage, ni frontière, ni limite. Invisible, dissimulée, elle se développe au travers d’une économie souterraine, d’un recours ingénieux aux technologies les plus innovantes et, parfois, de complicités au sein même de nos institutions – il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître.

Qu’ils se nomment cartels, gangs, factions ou mafia, les réseaux qui l’animent s’insèrent dans chacune des strates de notre société, étendent leurs ramifications sur tous les territoires et profitent des mécanismes offerts par la mondialisation pour maximiser leurs gains.

Leur puissance financière trouve à s’épanouir en différents endroits du globe, profitant de circuits financiers occultes et de méthodes de blanchiment complexes sans cesse renouvelées.

La dangerosité de ces groupes et leur influence n’ont cessé de croître, pour s’implanter durablement sur nos territoires et n’épargner aucune région. Les frontières, qu’elles soient géographiques ou financières, ne freinent pas leur expansion.

Surtout, cette menace sape les fondements de notre République par la violence décomplexée de ces groupes criminels, qui n’intimident plus seulement leurs concurrents, mais s’en prennent à la population civile et aux institutions en charge de leur protection.

Je sais, en prononçant ces mots, combien d’exemples vous viennent à l’esprit, tant ces actions inondent vos procédures, vos permanences et vos audiences.

Face à de tels actes, l’effroi doit laisser place à l’action. Nous ne pouvons-nous résoudre au fatalisme et devons faire face, avec l’ensemble des pouvoirs publics, au péril que représente le crime organisé.

Je mesure pleinement, Mesdames, Messieurs, la responsabilité qui est la mienne. C’est pourquoi ma priorité d’action s’est immédiatement portée – conjointement avec le ministre de l’Intérieur et sous l’égide du Premier ministre – à l’élaboration du cœur du plan gouvernemental de lutte contre la criminalité organisée, que nous avons fait le choix d’annoncer à Marseille le 8 novembre avec Bruno Retailleau.

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Parce qu’il y a urgence à agir tout en œuvrant à des changements structurants pour le long terme, le dispositif de lutte contre la criminalité organisée se déclinera en deux temps :

  • des mesures immédiates, destinées dès maintenant et sans plus attendre à mieux prévenir, enquêter, poursuivre, juger et punir les actions du crime organisé. Chacun de ces maillons indissociables de l’œuvre de justice est en train d’être renforcé afin que la réponse judiciaire soit plus efficace et en capacité de répondre pleinement aux attentes légitimes de nos concitoyens ;
  • des mesures au long cours, qui nécessiteront l’intervention du Parlement afin de répondre aux actions du crime organisé par les armes qui sont les nôtres, les armes de l’Etat de droit. Contrer le crime organisé, sans jamais renoncer à nos principes : tel est l’impératif démocratique qui s’impose à nous.

S’agissant des mesures immédiates, la recherche de cohérence et d’efficacité se traduira tout d’abord par la création d’une véritable coordination des acteurs de la lutte contre la criminalité organisée.

Aucune partie du territoire, aucune ville, quelle que soit sa taille, et aucune personne ne peut se considérer aujourd’hui comme absolument préservée de l’action des réseaux criminels, que cela soit via le trafic de stupéfiants, la commission d’escroqueries aggravées, la cybercriminalité ou encore le risque corruptif.

Dès lors, toutes les juridictions – sièges d’une JIRS ou non – et tous les acteurs de la chaîne pénale – procureurs, juges d’instruction, juges de formations de jugement, juges d’application des peines, juges des enfants mais également, assistants spécialisés et greffiers – seront pleinement intégrés au maillage national de la lutte contre la criminalité organisée.

S’agissant des poursuites, la coordination sera renforcée tout en confortant une architecture ayant déjà fait ses preuves, qui positionne les parquets généraux comme garants de la déclinaison de la politique pénale mise en œuvre par l’ensemble des parquets.

Le caractère obligatoire de la transmission d’information entre parquets non-JIRS, JIRS et Junalco, indispensable aux JIRS et à la Junalco pour apprécier de manière efficace et dans les délais adéquats l’opportunité de leur éventuelle saisine, sera désormais pleinement consacré.

Afin de pouvoir identifier les priorités opérationnelles et initier des enquêtes visant au démantèlement des réseaux criminels, les JIRS et la Junalco devront ainsi bénéficier d’une information complète et globale sur l’évolution des phénomènes criminels et modes opératoires en présence sur l’ensemble du territoire.

L’analyse et l’exploitation centralisée de ces éléments favoriseront la définition d’une stratégie globale cohérente et coordonnée, sans cesse renouvelée et adaptée.

Dans cet objectif, un dispositif de coordination à la fois opérationnel et stratégique sera mis en place comportant les deux volets suivants :

  • une cellule de coordination opérationnelle rattachée au parquet de Paris qui, en tant que parquet de la Junalco, exerce déjà, vous le savez, la fonction de parquet national de lutte contre la criminalité organisée, fonction qu’il nous faut impérativement renforcer et rendre plus visible pour être collectivement plus efficaces. Les renforts en effectifs sont d’ores-et-déjà en cours de recrutement.

Cette cellule sera chargée :

  • de procéder à l’analyse et au recoupement de l’information dans l’objectif de favoriser l’orientation des procédures, d’échanger concrètement sur des dossiers d’intérêt commun, de procéder à d’éventuels recoupements ou encore d’exercer ses prérogatives d’évocation des dossiers ;
  • de contribuer ainsi à l’harmonisation des pratiques quant aux recours aux outils juridiques et techniques de la lutte contre la criminalité de haute intensité ;
  • de réaliser une analyse des phénomènes criminels à partir des données issues des procédures relevant de sa compétence ou ayant fait l’objet d’un partage d’informations.

Afin de favoriser son action, cette cellule bénéficiera du nécessaire développement des applicatifs numériques et notamment les évolutions nécessitées du système d’information dédié Sirocco.

  • un comité stratégique de lutte contre la criminalité organisée, pris sur le modèle des instances de coordination créées par les circulaires du 23 novembre 2012 et du 24 avril 2017,se réunira régulièrement. Sous le pilotage de la direction des affaires criminelles et des grâces, ce comité stratégique pourra être composé de la procureure générale de Paris, des procureurs généraux JIRS et du parquet de Paris dans sa fonction de parquet Junalco, c’est-à-dire de pilotage national de la lutte contre la criminalité organisée. Ce comité stratégique pourra se voir adjoindre en tant que de besoin des partenaires de l’institution judiciaire.

Il appartiendra à ce comité stratégique, lieu d’échanges d’informations et d’analyses portant sur les phénomènes criminels identifiés, de proposer les orientations générales de mise en œuvre des stratégies judiciaires, au regard notamment :

  • de l’état de la menace ;
  • de la doctrine d’emploi de répartition des dossiers établie par la procureure générale de Paris en lien avec les procureurs généraux JIRS et la procureure de Paris, dont je salue la présence, dans sa fonction de procureure nationale / Junalco.

Impulsée par les autorités de poursuite, cette coordination devra veiller à associer les magistrats du siège, qu’ils soient en charge de l’instruction ou du jugement, afin de permettre une évaluation globale et concertée de l’état de la menace.

Je serai amené à préciser les contours de cette cellule opérationnelle de coordination et du comité stratégique par voie de circulaire dans les toutes prochaines semaines et à l’installer avec le Premier ministre, également prochainement.

Pour que le dispositif de lutte contre la criminalité organisée que je viens de vous présenter soit pleinement efficace, les effectifs dans les JIRS seront sanctuarisés sur l’ensemble du territoire et nous renforcerons ceux d’entre eux qui en ont besoin.

Le moment venu, cette nouvelle organisation judiciaire pourra être confortée par la loi, afin que le parquet national de lutte contre la criminalité organisée que nous aurons ainsi considérablement renforcé tous ensemble dans les prochains mois puisse, à l’été prochain, être rendu plus visible y compris dans l’écriture de nos textes législatifs, textes qui l’instituent sans doute aujourd’hui de manière encore trop discrète. L’examen de la proposition de loi Blanc-Durain sur laquelle nous nous appuyons nous le permettra. Je veux d’ailleurs saluer le très gros travail des sénateurs Blanc et Durain dans le cadre de la commission d’enquête sur le narcotrafic qui a conduit à cette proposition de loi.

Pour mieux poursuivre, il conviendra également de mieux investiguer. Ainsi les mesures immédiates au service d’une meilleure coordination s’inscriront dans une politique globale de refonte des outils d’investigation contre la criminalité organisée prenant spécifiquement en compte :

  • le renforcement des outils numériques déployés par l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (AntenJ) ;
  • la systématisation des impératifs d’identification et de saisies des avoirs criminels, via une mobilisation plus effective des groupes interministériels de recherche (GIR) afin de mettre à jour les rouages des circuits financiers occultes déployés par les groupes criminels.

Les actions menées au plan national devront trouver un indispensable écho au niveau européen et international via le renforcement de la représentation permanente de la France auprès de l’Union Européenne et l’installation d’un magistrat de liaison en Colombie, afin de porter notre action au plus près des zones de production.

Les capacités de jugement et les moyens de l’administration pénitentiaire pour assurer l’effectivité des mesures répressives et empêcher la poursuite des activités criminelles en détention seront également renforcés.

Enfin, afin de préserver l’intégrité des institutions garantes de l’Etat de droit, le nouveau plan anticorruption comprendra spécifiquement des mesures relatives à la lutte contre la criminalité organisée.

L’ensemble de ces mesures seront consolidées dans un second temps par l’évolution de notre arsenal législatif à partir de la proposition de loi que j’ai évoquée précédemment, visant entre autres priorités :

  • l’amélioration du dispositif des repentis, par la création d’un statut procédural de collaborateur de justice, ouvrant la voie à des réductions de peine incitatives. Je sais que le ministère de l’Intérieur réfléchit à la création d’un possible statut des informateurs ;
  • l’amélioration des mécanismes de partage d’information judiciaire avec les services de renseignement. Une réflexion devra être conduite également sur la création d’un « dossier coffre » dans le respect des principes constitutionnels ;
  • l’extension du régime procédural de la criminalité et de la délinquance organisée aux faits de corruption commis en lien avec des organisations criminelles ;
  • la sécurisation des procédures et la prévention des abus. C’est la question des nullités procédurales à propos desquelles une des missions d’urgence que j’ai mises en place a vocation à travailler ;
  • l’extension du champ de compétence des cours d’assises spécialement composées aux crimes commis en bande organisée, lesquelles auront aussi vocation à juger le nouveau crime d’association de malfaiteurs pour les crimes en bande organisée qu’il est proposé d’instaurer ;
  • une meilleure prise en compte par la justice pénale des mineurs du rajeunissement des agents du crime organisé.

Par ailleurs, nous veillerons à renforcer les possibilités de saisie et de confiscation judiciaire pour que le crime et particulièrement le crime organisé « ne paye pas ».

Vous l’avez compris, les travaux sont nombreux, la tâche est immense mais ma détermination est sans faille, à l’image de l’engagement pour la Justice que je sais être celui de chacun d’entre vous.

Je vous remercie.