Discours au CESE
Publié le 28 juin 2018
Discours de Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Il n’est pas si fréquent que le garde des Sceaux, ministre de la Justice, vienne s’exprimer en ces lieux dédiés aux questions économiques, sociales et environnementales.Non pas que la Justice soit indifférente à l’économie, à la société et à l’environnement. Comment pourrait-elle l’être ? Aucune activité humaine ne peut et même ne doit lui être étrangère. Mais si le chemin qui conduit de la Place Vendôme au Palais d’Iéna n’est pas si long, avouons qu’il a été rarement parcouru.
Les circonstances qui m’offrent l’honneur et le plaisir de m’exprimer devant vous aujourd’hui sont assurément exceptionnelles.
S’il m’appartient de m’adresser à vous cet après-midi, c’est en raison de l’aimable invitation du Président Bernasconi : je l’en remercie très sincèrement. Mais c’est aussi parce que nos compatriotes ont exprimé avec éclat, au printemps 2017, la volonté de reprendre leur destin en main.
C’est à cette aspiration que le Président de la République a entendu répondre par les engagements qu’il a pris devant nos concitoyens puis devant le Parlement réuni en Congrès il y a presque un an jour pour jour.
Et si j’interviens devant le Conseil économique, social et environnemental aujourd’hui, c’est parce la réforme institutionnelle qui est débattue en ce moment même à la commission des Lois de l’Assemblée nationale, vous concerne au premier chef. Son aboutissement conduira à une évolution profonde de votre institution tant dans sa composition et ses missions que dans son mode de fonctionnement. Mais, au-delà, l’évolution du Conseil concerne tous les citoyens car l’ambition qui est la nôtre répond à des enjeux contemporains primordiaux.
Avant d’en venir à l’avenir du CESE, il me semble utile de rappeler le cadre dans lequel s’inscrit cette réforme.
1. Une réforme institutionnelle d’une ampleur sans précédent
Je parlais d’ambition. Elle se mesure à l’ampleur de dispositions qui sont proposées : elles modifient de nombreux articles de notre Loi fondamentale et, dans le même mouvement, une loi organique et une loi ordinaire, proposent de diminuer le nombre de parlementaires, d’introduire une dose de proportionnelle pour l’élection des députés et d’interdire le cumul des mandats dans le temps. Jamais depuis 1958 un projet de cette envergure n’a été soumis au Parlement.
L’intitulé que le Gouvernement a choisi de donner à ces trois textes exprime en des mots simples la finalité de la réforme : construire une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Chaque disposition contenue dans ces textes a été conçue à cette fin.
Cette réforme profonde de nos institutions n’est pas le fruit du hasard, d’une idéologie ou d’une volonté personnelle. Elle est une réponse à une crise profonde de notre démocratie représentative. L’abstention, le rejet global du monde politique, la crise des formations partisanes traditionnelles, les votes extrêmes, des violences parfois dans l’expression des convictions politiques… Il s’agit là de faits qu’on ne peut nier.
Il nous faut trouver les signes, les procédures, les moyens de répondre à ce défi qui nous est lancé comme il est lancé à d’autres démocraties en Europe ou ailleurs. Je crois à la force de l’idée démocratique mais il ne faut jamais oublier que la démocratie est toujours fragile si on ne prend pas soin d’elle. C’est notre mission commune. Et votre institution y contribue, et demain plus encore qu’aujourd’hui.
Le vote de 2017 a traduit un mouvement de confiance dans l’action démocratique. Il doit aujourd’hui se poursuivre pour redonner à nos institutions la crédibilité que notre pays mérite et la force qu’en attendent nos concitoyens.
Comme le Premier ministre a pu l’affirmer à plusieurs reprises, le projet de loi constitutionnelle répond à la volonté de rénover notre vie politique et institutionnelle dans le respect des grands équilibres de la Constitution de 1958.
Il ne s’agit ni d’un retour à la IVe République ni d’une aventure vers une VIe République que les Français ont clairement rejetée au printemps 2017.
Les 18 articles du projet de loi constitutionnelle touchent de nombreuses dispositions de notre Loi fondamentale. Il s’agit du projet de révision le plus ambitieux de toute la Ve République, après celui de 2008. Ainsi, les membres du Gouvernement, le Parlement, le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil constitutionnel, le Conseil économique, social et environnemental, les collectivités territoriales sont l’objet de ce projet qui modifie ou crée 23 articles dans notre Constitution. C’est considérable.
Je ne m’attarderai pas sur chacune de ces dispositions. Tout au plus en ferai-je un bref rappel pour qu’on en mesure bien la portée.
- Le projet de loi constitutionnelle clarifie et renforce la responsabilité des ministres qui est un impératif démocratique. Il leur interdit tout cumul avec les fonctions locales les plus importantes. Il modifie aussi les conditions dans lesquelles les ministres doivent répondre des crimes et délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions en supprimant cette juridiction d’exception qu’est la Cour de Justice de la République. Le texte propose par ailleurs de développer la fonction de contrôle et d’évaluation du Parlement en prévoyant que les membres du Gouvernement viennent répondre devant lui de leur gestion des crédits budgétaires qui leur sont attribués.
- Le projet de révision entend rendre le travail parlementaire plus efficace, plus lisible pour nos concitoyens afin de mieux répondre à leurs attentes.
Il s’agit de tenir effectivement les promesses de la révision de 2008 sur plusieurs points, en particulier en trouvant de meilleurs équilibres entre la fonction de légiférer et celle d’évaluer. L’idée est de faire prospérer une articulation efficace et d’instituer en quelque sorteun cercle vertueux entre ces deux fonctions : on légifère mieux en répondant plus directement aux attentes de réformes ; on mesure l’effet de ces réformes sur le réel; on corrige les textes qui le nécessitent. L’ensemble des dispositions qui concernent le travail parlementaire s’inscrit dans la logique de 2008 qui est celle des grandes démocraties contemporaines.
- Mais, ce projet de révision ne touche pas seulement le Gouvernement ou le Parlement, sinon je ne serai pas aujourd’hui devant vous. Il entend aussi répondre à l’aspiration des Français concernant l’indépendance de la Justice, la participation des citoyens à la définition des grands choix publics, l’adaptation aux grands enjeux contemporains, des territoires mieux administrés.
Concernant la Justice, nous proposons de supprimer la disposition aux termes de laquelle les anciens Présidents de la République sont membres de droit du Conseil constitutionnel. Afin de préserver les droits de l’opposition dans la perspective de la réduction du nombre de parlementaires, le seuil actuel pour saisir le Conseil constitutionnel passera de soixante à quarante députés ou quarante sénateurs. Enfin, et c’est naturellement pour moi une mesure essentielle, l’indépendance de la Justice sera confortée avec une plus grande indépendance des membres du parquet nommés désormais sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, et non plus sur avis simple.
Concernant les territoires, nous proposons une série de dispositions pour les collectivités territoriales, pour la Corse et les outre-mer. Des possibilités nouvelles de différenciation et d’adaptation seront offertes qui permettront aux élus locaux de mieux répondre aux aspirations concrètes de leurs concitoyens dans une relation de proximité renouvelée.
Je viens ainsi de vous décrire le vaste panorama qu’ouvre la révision constitutionnelle. Vous comprenez que comme garde des Sceaux, devant présenter, avec le Premier ministre, ce texte au Parlement, la tâche est immense. Mais je suis confiante dans la capacité de chacun à trouver des points de convergence dans l’intérêt de notre pays. Je crois à la bonne volonté et au sens des responsabilités.
L’un des pans de cette révision concerne l’actuel CESE. Il deviendra la Chambre de la Société Civile.
2. La Chambre de la société civile
Ce que j’ai pu mesurer dans les nombreux échanges que j’ai pu avoir avec le Président Bernasconi dans l’année qui s’est écoulée, c’est la nécessité de prévoir dans notre constitution, une institution conçue comme un carrefour entre les citoyens et la société civile, organisée au bénéfice de la démocratie. « Une institution ne vaut que par ce qu’elle apporte au pays qu’elle sert » pour reprendre les mots du Président Berlusconi.
Car M. le Président, voici déjà une année entière que nous partageons nos points de vue sur l’avenir de la belle institution que vous représentez. A travers ces échanges constructifs, rigoureux, personnels, c’est aussi avec l’ensemble du CESE que s’est noué un dialogue qui, toujours, a été à la mesure des enjeux.
Or, ces enjeux sont immenses. Je ne manie pas volontiers l’hyperbole, et me méfie de la grandiloquence mais en ce domaine je crois que nous ne devons pas sous-estimer ce qui est devant nous. Je sais que vous en avez pleinement conscience, sans doute parce que chacun d’entre vous est au contact direct de nos concitoyens et représente cette société civile qui aspire à mieux se faire entendre et à participer activement à la vie de la Cité. C’est votre richesse et, ce faisant, c’est également la nôtre car vous la faites partager.
Si la révision de 2008 a été marquée par de nouveaux droits pour le Parlement et l’instauration d’un meilleur équilibre institutionnel ainsi que par ce grand progrès que fut la QPC, la révision de 2018 entend répondre à de nouvelles aspirations démocratiques. Ces aspirations s’expriment depuis plusieurs années, sous le nom de démocratie participative, de participation citoyenne, de démocratie réelle… Quels que soient les mots qu’on emploie, l’enjeu est celui de l’ouverture de nos institutions aux citoyens.
Car l’idée est bien de reconnaître, dans notre Constitution, que la participation citoyenne et le rôle de la société civile sont la condition même du bon fonctionnement démocratique de notre pays.
Le Président de la République a proposé que le Conseil économique, social et environnemental devienne ainsi la « Chambre de la société civile », faisant apparaître ces termes pour la première fois dans notre Constitution.
Composée de 155 représentants de la société civile, la Chambre doit constituer ce carrefour où pourront circulé les idées issues de toutes les forces vives de la Nation. Pour reprendre les termes du Président de la République lors de son discours au Congrès du parlement : « le Conseil doit pouvoir devenir le forum de notre République ».
À cette fin, la Chambre de la société civile aura pour première mission d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, en particulier à long terme. Cette fonction est essentielle aujourd’hui, au moment où chacune de nos décisions peut avoir des conséquences des décennies durant, voire plus longtemps encore. Il vous appartiendra pour ce faire de construire un dialogue entre la société civile organisée que vous représentez, les citoyens et les experts de chaque sujet. Cette alchimie peut être complexe mais, par nature, en raison du pluralisme qui est au cœur du CESE, je suis persuadée que vous saurez innover et trouver la bonne formule. C’est l’ambition du « futur, de la cohérence, de l’efficacité » que vous avez relevée, Monsieur le Président.
Dans ce cadre, la Chambre de la société civile aura aussi pour mission d’organiser la consultation du public sous les formes les plus adaptées. C’est ainsi que les citoyens auront voix au chapitre et apporteront une forme de vitalité démocratique dont nous avons besoin.
La deuxième mission confiée à la Chambre de la société civile consistera à accueillir et traiter les pétitions dans un cadre rénové. Ce droit existe. Il n’est pas assez mis en valeur. Vous avez récemment pris des initiatives qui sont très heureuses, qu’il s’agisse du processus de veille sur les pétitions ou du dialogue que vous avez institué avec les responsables des pétitions dont vous avez eu à connaître. Je pense aussi aux travaux menés sur les déserts médicaux ou la fin de vie qui ont intégré des éléments contenus dans les pétitions.
Outre le fait de passer à un format numérique pour ces pétitions, ce qui semble tellement naturel, il est essentiel que des liens positifs soient établis entre votre institution et le Parlement. Nous ne souhaitons pas une concurrence des pouvoirs mais une articulation féconde entre eux. C’est cette articulation que nous devons construire entre la représentation politique qui est et doit demeurer le socle de notre démocratie et la voix citoyenne qu’on ne peut tenir aujourd’hui pour mineure, négligeable ou anecdotique.
Enfin, et c’est une troisième mission, le projet de révision prévoit que la Chambre de la société civile sera saisie des projets de loi à caractère économique, social et environnemental. C’est un point important car il permettra de donner force et cohérence à l’expression de la société civile organisée sur les projets qui relèvent de son domaine de compétence. Cet éclairage sera utile à tous, tant au Gouvernement qu’au Parlement. Il permettra d’en finir avec une multitude de consultations qui alourdissent inutilement nos procédures.
Il ne s’agit donc pas ici d’un simple « ravalement de façade » d’une institution utile mais trop méconnue. Il s’agit bien d’une transformation profonde dont l’ambition est de résoudre une difficulté concrète sur laquelle nous butons depuis des années sans réussir à la surmonter. Comment associer la démocratie représentative à la démocratie participative, sans confusion des ordres et sans instituer un mandat impératif qui est la négation même de l’idée de représentation ?. L’idée est bien de faire de la Chambre de la société civile le réceptacle des initiatives citoyennes, de lui permettre d’en analyser le contenu et d’en extraire la substance pour ensuite les porter à la connaissance des assemblées parlementaires par lesquelles le peuple exerce la souveraineté nationale en application de l’article 3 de notre Constitution. Vous serez demain ce « trait d’union » si nécessaire dans notre pays.
Lors du Congrès du Parlement le 3 juillet dernier le Président de la République considérait qu’ « à la fin, notre démocratie ne se nourrit que de l’action et de notre capacité à changer le quotidien et le réel ».
C’est à ce beau projet que nous employons collectivement notre énergie, comme responsables politiques, comme représentants de la société civile organisée ou tout simplement comme citoyens. Vous et nous serons de ceux-là !
Je vous remercie.