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Discours de Didier MIGAUD à l'ENM de Bordeaux, lundi 18 novembre
Publié le 18 novembre 2024
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le premier président de la Cour de cassation,
Monsieur le procureur général près celle-ci,
Monsieur le préfet,
Madame la première présidente de la cour d’appel de Bordeaux,
Monsieur le procureur général près celle-ci,
Monsieur le président du tribunal judiciaire de Bordeaux,
Madame la procureure de la République,
Monsieur le directeur des services judiciaires,
Madame la directrice de l’École nationale de la magistrature,
Mesdames, messieurs les membres de l’Ecole nationale de la magistrature,
Chères auditrices, chers auditeurs de justice,
Je suis particulièrement heureux d’être présent aujourd’hui parmi vous, à l’Ecole nationale de la magistrature, que je visite pour la première fois en qualité de garde des Sceaux.
Et je suis très heureux d’être le premier garde des Sceaux à me rendre sur le site Archipel, second site de l’ENM à Bordeaux qui a ouvert ses portes le 27 mai dernier.
La construction de ce bâtiment, qui vient compléter les locaux historiques situés place Pey Berland, a été rendue nécessaire par l’accroissement inédit des promotions de futurs magistrats, dans le cadre de la trajectoire 2027.
Entre 2023 et 2027, ce ne sont pas moins de 2 800 futurs magistrats qui seront formés à Bordeaux avant de rejoindre tous les tribunaux judiciaires du territoire national, où je les sais particulièrement attendus.
A ce titre, je veux saluer la mobilisation sans faille de madame la directrice et de ses équipes, qui ont relevé le défi, dans des délais très contraints, d’accueillir des promotions, qui n’ont jamais été aussi nombreuses, et ce dans des conditions propices au bon déroulement de leur formation initiale.
Il s’agit pour l’Ecole d’un véritable changement de dimension, qui a donc nécessité la construction de ce nouveau site mais également le recrutement de 30 formateurs permanents supplémentaires ainsi que la création de 59 emplois. Ce changement de dimension a été conduit tout en préservant la remarquable qualité des enseignements dispensés au sein de l’Ecole. Je veux en remercier tous les personnels de l’ENM.
La réunion, aujourd’hui, de vos deux promotions illustre la diversité du corps de la magistrature, sa richesse mais aussi son ouverture. Candidats à l’intégration directe, auditeurs issus du 1er, du 2ème et du 3ème concours, auditeurs recrutés à l’issue d’entretiens de haut niveau, vous avez tous fait le choix de devenir magistrat de l’ordre judiciaire.
Agés de 22 à 51 ans, hier étudiants, juristes assistants, avocats, directeurs de greffe, greffiers, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ou encore officier de gendarmerie, vous êtes issus de toutes les régions de France métropolitaine et des territoires d’outre-mer.
Vous serez demain les visages de la Justice, vous rendrez des décisions au nom du peuple français.
La présence à vos côtés de plus de 50 futurs magistrats issus de plusieurs pays européens constitue une formidable opportunité de renforcer la confiance mutuelle entre les juges et procureurs européens de demain.
Nous avons un besoin impérieux d’encourager la compréhension mutuelle des différentes cultures et systèmes judiciaires européens, mais aussi de préserver les valeurs communes qui nous unissent.
L’Etat de droit est en effet l'une des valeurs fondatrices de l'Union européenne. Il est essentiel à son fonctionnement. Il protège les citoyens en garantissant un processus d'élaboration de la loi transparent, démocratique et pluraliste, assorti du devoir de rendre des comptes.
L’Etat de droit suppose encore une protection juridictionnelle effective, par un droit d'accès à la Justice, des juridictions indépendantes et impartiales, ainsi que la séparation des pouvoirs.
En France, l’indépendance de la Justice est consacrée par la Constitution. Mais c’est à vous, juges et procureurs de demain, de faire de cette indépendance une réalité dans l’exercice de vos fonctions. L’indépendance ne se décrète pas seulement : elle se vit, elle s’affirme. Non dans l'isolement, mais au contraire dans la qualité des liens que vous saurez nouer avec les partenaires de la justice, dans le respect du rôle de chacun. L’indépendance n’est ni un privilège, ni une protection ; Elle constitue un élément fondamental de la confiance de nos concitoyens en la justice. Voilà pourquoi elle est, pour chaque magistrat, une responsabilité et un devoir.
Futurs magistrats, vous serez des garants de l’Etat de droit. Vous devrez sans cesse veiller à la protection de ses principes fondamentaux, à la prédominance du droit, à l’égalité des individus.
De vos décisions dépendront souvent la liberté, l’honneur, la sûreté et les intérêts matériels de celles et ceux dont la situation sera soumise à votre appréciation.
Ce rôle vous oblige et impose un comportement déontologique irréprochable.
En votre qualité de magistrat, vous devrez démontrer, par votre intégrité, que vous êtes dignes de décider de l’exercice des droits essentiels des individus. Plus que tout autre, vous êtes tenus à la probité et à la loyauté.
Car les attentes de nos concitoyens sont immenses. La judiciarisation de notre société témoigne d’un besoin de justice grandissant. Or, ce besoin se heurte à la perte de confiance dans les institutions exprimée par les Français.
Cela fait des années en effet que nos concitoyens expriment de la défiance envers les institutions et, plus largement, envers les responsables publics, notamment ceux qui les représentent. C’est plus qu’un « désamour » : les Français ont le sentiment, enquête après enquête, que les responsables politiques sont corrompus, que la plupart des institutions ne sont pas dignes de confiance.
Ce sujet concerne également la Justice et c’est une source particulière de préoccupation pour moi en tant que garde des Sceaux, car la confiance se trouve au cœur du pacte démocratique. Elle en est même le socle, aux côtés de l’Etat de droit.
Nous devons, vous devrez, mieux faire connaître et comprendre la Justice. Elle mérite estime, reconnaissance, pour tout ce qu’elle apporte au pays. Je souhaite donc qu’elle soit davantage appréciée, davantage respectée et, j’oserais même dire, davantage aimée.
Alors oui, la confiance spontanée dans l’autorité judiciaire ne fait pas partie de notre culture historique. A l’inverse de ce qui se passe chez nos voisins, notamment anglo-saxons ou allemand, où la Justice occupe une place différente dans l’imaginaire collectif.
Je serai d’ailleurs particulièrement intéressé d’entendre tout à l’heure vos collègues européens sur ces questions de représentation de la Justice et d’échanger sur nos visions respectives.
Aujourd’hui, en France, la Justice est une institution complexe et mal connue.
Cela alimente les préjugés, les phrases faciles et le dénigrement d’un travail extraordinairement difficile qu’est celui des hommes et des femmes de Justice.
Cela alimente aussi la violence, du drame d’Incarville aux salles d’audience ou aux cabinets des palais de justice.
Je ne me résoudrai jamais à ce que notre Justice, et à travers elle la République et la démocratie, soit attaquée. Si je suis le garde des Sceaux, je suis aussi le gardien du droit et je me dois, à la place qui est la mienne, de veiller au respect de notre Constitution et de ses principes.
La perte de confiance de nos concitoyens dans la Justice n’est pas une fatalité. Il revient à chacun d’entre nous de faire reculer cette défiance. Pour redonner confiance, il faut d’abord rappeler tout ce que la Justice apporte à nos concitoyens et que l’on perd trop souvent de vue, que l’on pourrait résumer par le triptyque protéger-sanctionner-réparer. Dans une étude intitulée « le rapport des Français à la Justice » réalisée en 2021, le Sénat rappelait que plus de la moitié des Français connaissait mal l’organisation judiciaire française. Pour autant, une grande majorité d’entre eux percevait très négativement l’institution.
Pour redonner confiance dans la Justice, il faut donc que, collectivement, l’institution judiciaire développe davantage encore sa communication, en particulier au niveau des juridictions, pour mieux valoriser notre action, expliciter les décisions rendues, défendre les magistrats et personnels de justice attaqués.
Chacune de mes interventions en qualité de garde des Sceaux est guidée par la volonté de tracer un chemin, de regarder la réalité en face et de protéger l’indépendance de notre Justice, afin de contribuer à redonner cette confiance qui nous fait défaut.
Regarder la réalité en face, c’est aussi reconnaître que la Justice manque cruellement, et depuis longtemps, des moyens nécessaires, comme l’avaient révélé les Etats généraux de la Justice.
Arrivé à la tête de ce ministère dans un contexte de finances publiques très contraint, je suis particulièrement heureux d’avoir été entendu par le Premier ministre dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances 2025. Ma mobilisation et celle de mes équipes ont permis d’obtenir le financement de l’ensemble des engagements pris, au profit notamment des magistrats, des personnels de greffe et des attachés de justice, mais aussi en matière numérique.
Le renfort en effectifs est indispensable au renforcement de la confiance, afin de réduire les délais de jugement, principale attente de nos concitoyens, de renforcer la qualité de la justice rendue et, partant, l’attention au justiciable.
La simplification et le renforcement de l’efficacité de nos procédures, qui passent notamment par la poursuite d’investissements numériques lourds, est un autre moyen d’améliorer le fonctionnement de l’institution judiciaire. C’est pourquoi je me réjouis que notre budget 2025 préserve aussi les moyens d’action dans ce domaine.
Vous l’aurez compris : pour redonner confiance, nous avons besoin de vous, futurs magistrats, déterminés à embrasser une profession qui engage, mais qui est aussi l’une des plus belles, porteuse de sens et de responsabilités.
Elle sera pour vous, je n’en doute pas, une grande source de satisfactions.
La mission de participer à l’œuvre de la justice est noble et donc enthousiasmante. Elle vous donnera, j’en suis convaincu, le sentiment d’une utilité sociale, dans l’apaisement des conflits et le rétablissement de l’égalité entre les citoyens.
Votre scolarité à l’ENM et les différents stages que vous avez, ou allez accomplir vous prépareront à devenir magistrat, à acquérir la maîtrise des techniques juridiques et la capacité à appréhender les enjeux humains. A conjuguer savoir-faire et savoir-être.
Chères auditrices et auditeurs de justice, magistrats français et européens de demain, j’ai confiance en vous et je veux vous assurer de ma détermination à défendre la Justice, les magistrats et toutes celles et ceux qui concourent à leur travail difficile et à la mise en œuvre de leurs décisions.
Vous pouvez compter sur moi, comme je sais pouvoir compter sur vous.
Je vous remercie.