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Installation des missions d’urgence relatives à la déjudiciarisation, l’exécution des peines et l’audiencement criminel et correctionnel à la Cour de cassation, jeudi 28 novembre

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Monsieur le Vice-Président du Conseil d’Etat,

Monsieur le Premier président de la Cour de cassation,

Monsieur le Procureur général près la Cour de cassation,

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes,

Monsieur l’Inspecteur général, chef de l’inspection générale de la justice,

Mesdames et Messieurs les directeurs d’administration centrale,

Mesdames et Messieurs les chefs de cour et de juridiction,

Mesdames et Messieurs les membres et représentants du barreau,

Mesdames et Messieurs les membres des groupes de travail,

Mesdames et Messieurs les inspecteurs généraux et inspecteurs de la justice,

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux d’être présent aujourd’hui à la Cour de cassation pour procéder à l’installation des trois missions d’urgence dont j’ai voulu la mise en place. Je vous remercie, Monsieur le premier président, Monsieur le procureur général, d’avoir bien voulu accepter de nous accueillir dans l’enceinte de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire.

Ce choix n’est pas anodin. Il est pour moi éminemment symbolique. Si la Cour de cassation est un lieu chargé d’histoire, elle incarne surtout, avec le Conseil d’Etat et la Cour des comptes, par les décisions et les avis rendus, l’Etat de droit et la Justice dans notre pays.

Or, vous le savez, depuis que j’ai pris mes fonctions de garde des Sceaux, je me suis pleinement engagé pour que la Justice soit mieux reconnue, respectée et appréciée.

Je l’ai dit, notre Justice, après avoir été longtemps délaissée, n’est pas encore réparée. Des moyens ont été donnés. J’ai veillé dès mon arrivée à ce qu’ils soient maintenus. Ils devront être prolongés et augmentés. On ne répare pas 40 ans d’abandon en cinq ans. On ne répare pas non plus la Justice uniquement par des moyens supplémentaires.

C’est pourquoi, depuis mon arrivée, j’ai beaucoup échangé avec les professionnels de la Justice, les partenaires sociaux et les représentants du monde associatif. C’est avec eux, avec toute la communauté de la Justice, des justices, de notre pays, que nous pourrons avancer.

Au titre des constats partagés figure en premier lieu celui d’une justice débordée par le nombre de ses contentieux et de ses procédures qui conduit nécessairement à s’interroger sur le périmètre d’intervention du juge judiciaire.

Figure ensuite le constat de délais d’audiencement déraisonnables et parfois insupportables, pour juger des affaires criminelles et correctionnelles, voir aussi pour les affaires civiles.

Et enfin le constat que, loin d’être laxiste, la justice pénale fait preuve d’une fermeté telle que les établissements pénitentiaires sont confrontés à une surpopulation carcérale historique, tandis que l’exécution des peines, globalement élevée, est souvent différée bien après leur prononcé, ce qui en fait perdre le sens.

J’ai la conviction profonde qu’il s’agit de signaux d’alerte, de symptômes d’une situation d’urgence : quand le sentiment majoritaire de nos concitoyens est celui d’une Justice trop complexe, trop lente et trop peu efficace, il nous appartient d’y répondre rapidement car ne pas le faire, c’est fragiliser plus encore le pacte républicain au fondement de notre démocratie.

Voilà pourquoi j’ai souhaité, dans la continuité de la feuille de route tracée par le Premier ministre, constituer trois missions d’urgence pour traiter chacun de ces trois chantiers.

A cette fin, pour chacune de ces missions, j’ai souhaité que soit constituée une équipe resserrée de professionnels reconnus, dotés chacune et chacun d’une solide expérience dans leur domaine de compétence. Je remercie les chefs des hautes juridictions ainsi que l’ensemble des membres de ces missions, membres du Conseil d’Etat, magistrats, avocats et directeur de services pénitentiaires, d’avoir accepté de donner de leur temps pour participer à ce travail de fond, dans des délais resserrés.

Je sais combien les étagères de notre ministère sont déjà remplies de rapports, d’analyses, d’études et de réflexions riches et variées sur chacun de ces thèmes.

J’en tire une conséquence méthodologique immédiate : vous n’aurez pas à tout réinventer et personne ne vous le demande d’ailleurs, surtout dans les délais contraints qui vous sont assignés. Vous vous appuierez sur l’existant, sur tout ce qui a été dit, écrit et pensé, afin de pouvoir, fort de votre propre expérience mais également des consultations auxquelles vous aurez libre choix de procéder, en tirer rapidement les conclusions en proposant les meilleures évolutions concrètes, utiles et opérationnelles ; celles qui mériteront d’être mises en œuvre rapidement.

C’est dans cet esprit que j’ai le plaisir d’installer aujourd’hui ces trois missions dont je rappellerai les grands axes.

Première mission d’urgence : recentrer la Justice sur son rôle

Parce que la Justice est aujourd’hui embolisée et qu’elle ne peut compter sur le seul engagement des femmes et des hommes, magistrats, greffiers, assistants ou agents administratifs qui concourent à son exercice, parce que plusieurs types de contentieux, pénaux ou civils (y compris en assistance éducative), augmentent dans des proportions importantes confrontant les juridictions à des difficultés croissantes, je souhaite que cette mission mène un examen des dispositifs alternatifs, notamment pour les actes de la vie quotidienne, que soit envisagé tout ce qui peut contribuer à désengorger la justice judiciaire.

A ce titre, je ne peux qu’encourager la mission à envisager les voies et moyens qui seront de nature à simplifier la vie du justiciable, à rendre plus efficiente l’action de la justice, à poursuivre et amplifier tout ce qui peut favoriser le recours aux voies amiables ou encore à mener une réflexion sur l’orientation, l’aiguillage et la répartition des contentieux présentant des aspects répressifs, administratifs et financiers.

S’il ne faut bien évidemment pas s’interdire de recourir à la déjudiciarisation, cette voie ne peut cependant être envisagée que dans le respect des grands principes fondamentaux de notre droit et, en tout état de cause, sans que cela ne conduise à une dépénalisation des faits portant le plus gravement atteinte à la probité et à la confiance publique, pour lesquels une réponse pénale est et doit demeurer ancrée dans notre législation. Vous connaissez mon attachement, de longue date, à la rigueur de ces exigences.

Deuxième mission d’urgence : juger dans des délais raisonnables

Aujourd’hui, de trop nombreuses juridictions sont confrontées à des délais d’audiencement déraisonnables, avec une augmentation très préoccupante de leur stock, notamment en matière criminelle. On ne peut qu’être inquiet, très inquiet même, pour l’audiencement en matière correctionnelle s’agissant notamment du stock des procédures d’informations judiciaires ne comportant pas ou plus de prévenus détenus. Il est anormal que les justiciables, et particulièrement les victimes, demeurent pendant de longs mois, parfois plusieurs années, sans qu’un procès puisse se tenir. S’y ajoute, je le sais, le risque croissant résultant de l’expiration des délais légaux de détention provisoire ou de dysfonctionnements dans le suivi de celle-ci.

Face à ces enjeux, toutes les options sont sur la table, dans le respect, évidemment, des droits de chacun et sans priver ceux qui en ont besoin du droit d’accéder à la Justice. L’enjeu consiste à identifier rapidement les leviers d’action pour restaurer l’équilibre d’un système qui, aujourd’hui, il faut le reconnaître – et tous les observateurs de la Justice, avocats comme magistrats, le font – ne fonctionne plus de manière satisfaisante.

Troisième mission d’urgence : mieux exécuter les peines

Il faut assurer une réponse pénale ferme mais humaine, rapide et efficace, tout en luttant contre la récidive. C’est ce qu’attendent nos concitoyens et c’est une priorité de mon ministère. L’effectivité des sanctions pénales prononcées et leur exécution dans les meilleurs délais est une condition de la crédibilité de la Justice.

Prenant en considération tout à la fois les exigences de la loi, le besoin de protection de la société mais également l’état de surpopulation carcérale chronique, les acteurs judiciaires et pénitentiaires, en s’emparant de chacune des nombreuses réformes du droit de la peine, ont amélioré le taux et les délais d’exécution des peines tout en développant le recours aux peines alternatives à l’emprisonnement et à l’aménagement de peine ab initio.

Certes, des efforts ont déjà été réalisés sur l’exécution des peines. Mais nous devons mobiliser d’autres leviers pour que l’ensemble des peines prononcées soient exécutées rapidement, quelle que soit leur nature. Je pense notamment aux courtes peines d’emprisonnement que le Premier ministre a évoquées dans sa déclaration de politique générale et qui doivent faire l’objet d’une réflexion sérieuse. Cette démarche concerne évidemment les sanctions prononcées à l’encontre des mineurs. Car rien n’est moins pédagogique qu’une peine prononcée mais inexécutée ou exécutée trop tardivement. Il nous faut en outre nous adapter aux phénomènes d’extrême violence chez certains mineurs, parfois très jeunes.

La prison est nécessaire, elle est là pour punir et protéger nos concitoyens.

Mais l’incarcération doit se faire dans des conditions sécurisées pour les agents, auxquels je veux rendre hommage, et dignes pour les détenus. Il en va de la bonne santé de notre démocratie.

Cela suppose d’exploiter tous les outils possibles pour faire face à la surpopulation carcérale, y compris les mesures alternatives à l’incarcération pour les infractions de faible gravité.

N’oublions pas qu’au-delà de la sanction, la peine a pour objectifs essentiels de prévenir la commission de nouvelles infractions et de favoriser la réinsertion. Ces deux objectifs doivent être pleinement intégrés dans les travaux qui seront réalisés par la mission d’urgence.

La tâche qui vous attend est grande mais j’ai toute confiance dans les hommes et femmes de terrain que vous êtes pour explorer toutes les solutions susceptibles de garantir l’effectivité des sanctions pénales et leur exécution dans des délais satisfaisants.

Quelques mots enfin pour vous dire que j’ai souhaité que le résultat de vos réflexions et travaux me soient communiqués au cours du mois de février prochain. Je sais la mobilisation et l’engagement que vous imposeront ces délais contraints dont vous comprenez, j’en suis certain, la nécessité et l’importance, et je vous en remercie. Vous bénéficierez du soutien de l’Inspection générale de la Justice, dont je salue les équipes mises à disposition pour chacune de ces trois missions d’urgence.

Avant de conclure, je tiens à prendre devant vous deux engagements.

Le premier est de rendre publics les trois rapports de mission parce que ces questions sont trop importantes pour rester dans les coffres de mon ministère.

Le second est d’annoncer tout aussi publiquement, dans les jours qui suivront leur dépôt, les propositions qu’avec le Premier ministre, nous choisirons de retenir et de mettre en œuvre par des projets de textes législatifs et réglementaires et, s’il y en a, les mesures opérationnelles nécessaires. Vous l’avez compris, ces missions d’urgence donneront lieu à des mesures d’urgence.

La Justice a bénéficié ces dernières années de moyens inédits. Nous savons qu’ils ne sont pas le changement mais seulement la condition du changement. Il nous faut désormais trouver des solutions inédites.

Ce n’est pas une tâche facile. C’est pour cela que vous avez été choisis !

Je vous remercie.