Ouverture du comité de pilotage de la Justice des Mineurs
Publié le 28 novembre 2019
Discours de Nicole BELLOUBET, garde des sceaux, ministre de la justice
28 novembre 2019
Olympe de Gouges
Mesdames et messieurs les chefs de cour et de juridiction, ou leurs représentants,
Madame la secrétaire générale,
Madame et messieurs les directeurs,
Mesdames et messieurs les directeurs inter-régionaux
Mesdames et messieurs les présidents des fédérations associatives
Mesdames et messieurs,
Je suis très heureuse d’ouvrir cette année le comité de pilotage national de la justice des mineurs. Si ce sujet est au cœur de mes préoccupations, comme des vôtres, au quotidien, il n’a je crois, sous aucun gouvernement précédent, connu une telle actualité.
Je pense évidemment à la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. J’y reviendrai plus longuement.
Je pense également au 30ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui a été célébré la semaine dernière et à la stratégie de protection de l’enfance portée par mon collègue Adrien TAQUET, secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance.
Ces évolutions constituent une occasion historique pour modifier la justice des mineurs au bénéfice des enfants et des adolescents qui y sont confrontés, comme victimes, auteurs, ou lorsqu’ils sont en danger.
1. La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer la justice pénale des mineurs.
La loi du 23 mars 2019 contient certaines dispositions relatives à la justice pénale des mineurs qui sont déjà entrées en vigueur. Elles permettent de diversifier les prises en charge et de limiter la détention provisoire. La programmation prévue autorise également la création de 20 centres éducatifs fermés.
L’article 93 de cette même loi autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
a. Je souhaite d’abord vous apporter quelques précisions sur la méthode retenue et le calendrier adopté.
Cette réforme était nécessaire, ne serait-ce que répondre aux difficultés pratiques rencontrées par les professionnels à la suite de la décision du conseil constitutionnel du 8 juillet 2011 contestant, au nom de l’impartialité, que le juge des enfants puisse instruire une procédure avant de la juger au fond.
Si la méthode a pu être discutée, elle nous permet d’aboutir là où les gouvernements précédents ont échoué. Après avis du Conseil d’Etat, l’ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs a été publiée le 13 septembre 2019. Elle entrera en vigueur le 1er octobre 2020, après avoir été examinée par le Parlement.
Je tiens à saluer particulièrement les directions des affaires criminelles et des grâces et de la protection judiciaire de la jeunesse, qui, avec le soutien de l’inspection générale de la justice ont réalisé la prouesse de tenir le délai de 6 mois fixé par l’habilitation.
b. Sur le fond, la réforme répond à trois objectifs :
i. Le premier est la réaffirmation des principes de la justice pénale des mineurs que sont la primauté de l’éducatif sur le répressif, l’atténuation de la responsabilité pénale, le recours à des juridictions et procédures spécialisées : ils sont mis en exergue à titre préliminaire.
J’ai souhaité aller plus loin et inscrire dans la loi une présomption de non-discernement des mineurs de moins de 13 ans , mettant ainsi notre droit en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant 30 ans après son adoption.
ii. Le second est l’amélioration des réponses judiciaires.
o En créant une procédure spécialement adaptée aux mineurs qui garantir la continuité de l’intervention du juge des enfants. Une première audience se tient sur la culpabilité dans les trois mois, et une seconde intervient sur la sanction.
o En encadrant la procédure dans des délais , pour permettre une prise en charge éducative dans les trois mois, et un jugement sur la sanction dans un délai maximum d’un an.
o En simplifiant et en individualisant les prises en charge , par la création d’une mesure éducative unique modulable.
J’ai souhaité pour autant que le dispositif reste souple pour répondre aux différentes formes de délinquance tout en s’adaptant aux différentes tailles et organisations des juridictions :
- Les affaires simples peuvent être jugées lors d’une audience unique, par le seul juge des enfants, qui voit ses prérogatives élargies au prononcé de peines à vocation éducative (travail d’intérêt général, confiscation, stages).
- Les mineurs récidivistes peuvent relever d’une procédure spécifique, permettant lors d’une audience unique, d’obtenir un jugement sur la culpabilité et la sanction dans un délai de 1 à 3 mois.
iii. Le dernier est la limitation de la détention provisoire des mineurs.
Plus de 800 mineurs sont actuellement détenus, dans les EPM ou les quartiers mineurs. Près de 80% sont en détention provisoire. C’est trop. L’emprisonnement doit rester l’ultime recours.
Le projet limite donc la détention provisoire :
- En réduisant les hypothèses dans lesquelles elle peut être prononcée hors procédure d’information judiciaire ;
- En encadrant plus strictement les conditions de révocation du contrôle judiciaire.
c. Cette réforme est l’une de mes priorités.
J’ai décidé de créer 70 postes supplémentaires de juges des enfants, 100 postes de greffiers et près de 100 postes d’éducateurs. Je porterai également une attention particulière aux effectifs des parquets.
J’ai demandé à l’ensemble des directions concernées de se mobiliser pour vous soutenir dans la mise en œuvre de cette réforme. L’inspection générale de la justice sera missionnée pour évaluer les stocks, préparer leur apurement et construire les outils méthodologiques nécessaires à la mise en œuvre de la réforme.
S’agissant de la formation, nous pourrons nous appuyer sur les compétences reconnues des écoles du ministère de la justice et plus particulièrement de l’ENM, de l’ENPJJ et de l’ENG.
Pour autant, cette réforme ne peut réussir que si vous y contribuez, à toutes les étapes. Je sais que certains d’entre vous s’y emploient déjà, notamment en l’inscrivant à l’ordre du jour des conférences régionales de la justice des mineurs. Ce niveau d’impulsion me semble bon : cette réforme doit mobiliser les chefs de cour et les chefs de juridiction.
2. Je ne souhaite pas limiter mon action à l’enfance délinquante. Le ministère de la justice est au moins autant celui de l’enfance en danger.
La célébration des 30 ans de la CIDE me donne l’occasion d’évoquer la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, annoncée par Adrien TAQUET, secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, le 14 octobre dernier.
Je remercie particulièrement la direction de la protection judiciaire de la jeunesse qui a participé activement aux travaux préparatoires, avec le soutien de la DACS, de la DACG, de la DSJ et du SG.
Mieux protéger les enfants, c’est garantir leurs droits et leur donner les moyens d’agir.
Deux dispositions ont cette ambition s’agissant du ministère de la justice.
a. La première est de permettre un jugement en collégialité en assistance éducative. C’est une demande des juges des enfants à laquelle je souhaite répondre, selon des modalités qui doivent rester souples pour s’adapter aux réalités des juridictions.
b. La seconde est de garantir la transmission intégrale du dossier d’assistance éducative aux archives départementales et l’accompagnement par un professionnel pour en favoriser l’accès à la personne concernée qui le demandera. Cela me semble un progrès que nous devons à ceux qui souhaitent, devenus adultes, connaître leur histoire.
La stratégie de protection de l’enfance annoncée a également vocation à redéfinir le partenariat entre l’Etat et les départements. Sans revenir aucunement sur la décentralisation de la protection de l’enfance, l’Etat contractualisera dès 2020 avec les départements volontaires sur la base de critères partagés comme l’existence et l’animation d’un observatoire départemental de protection de l’enfance, la définition d’un plan de contrôle annuel des lieux d’accueil des enfants protégés ou l’existence d’un protocole de signalement avec les autorités judiciaire. 80 millions d’euros seront dégagés à cette fin dès 2020.
Au niveau local, la gouvernance doit être renforcée par la création d’instance quadripartite associant le conseil départemental, le magistrat coordonnateur du tribunal pour enfants, le parquet des mineurs et la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse. Dans les départements volontaires, un outil partagé permettant de connaître en temps réel les places d’accueil disponibles et les délais de prise en charge sera expérimenté.
Je vous remercie pour votre attention et plus encore pour votre action, au quotidien, au service de la justice des mineurs.