Remise du rapport du Comité mémoriel, 7 septembre 2018
Publié le 17 septembre 2018
Discours du garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Madame la représentante de la Maire de Paris,
Monsieur le Gouverneur des Invalides,
Monsieur le secrétaire général de la grande Chancellerie,
Mesdames et messieurs les hautes autorités religieuses,
Mesdames et messieurs les magistrats,
Madame le Bâtonnier,
Madame la Présidente de France Victimes,
Mesdames et messieurs les présidents et représentants des associations de victimes,
Mesdames et messieurs les membres du Comité mémoriel,
Vous venez de me remettre le rapport intitulé : « Terrorisme, faire face aux enjeux historiques et mémoriaux ».
C’est tout d’abord à l’ensemble des membres du Comité mémoriel que je souhaite exprimer ma gratitude et bien sûr aussi à la délégation interministérielle à l’aide aux victimes, sans laquelle les travaux et déplacements effectués par le Comité n’auraient pu avoir lieu.
Lorsqu’à la demande du Président de la République, j’ai procédé à l’installation du Comité, le 12 février dernier, je n’avais pu m’empêcher de songer à la complexité de la mission, qui vous était confiée.
C’est une tâche éminemment sensible en effet que, pour reprendre une terminologie utilisée dans votre introduction, celle de « faire mémoire des attentats » dont la France a été la cible. Vous avez ainsi tendu à satisfaire une double condition : rendre hommage à toutes les victimes qui ont subi cette épreuve et assurer la transmission de la connaissance de ces tragédies aux générations futures.
Comment répondre aux attentes considérables des victimes qui rejoignent celles des citoyens français et du reste du monde, quand la mort saisit le vif, quand il s’agit de redonner du sens à ce qui n’en a pas, quand il s’agit de conjuguer l’intime et le social, quand le temps emporte les souvenirs ?
Vous avez pris le parti de ne pas céder aux controverses nombreuses sur un sujet aussi délicat et de ne pas vous dérober aux exigences de la réflexion, alliant qualité d’écoute et force de propositions. J’ai donc pris connaissance de votre rapport et de ses 14 propositions avec un réel intérêt, sensible aux divers champs de la mémoire que vous avez explorés et à ses diverses fonctions que vous avez mobilisées. J’évoquerai prochainement ces propositions avec le Président de la République. Faire mémoire des attentats relève en effet de la responsabilité de l’Etat, vous le dites en introduction, cernant ainsi l’essentiel de notre devoir partagé.
Je sais que vous avez, dès le premier jour, mesuré les enjeux de votre mission en comprenant les difficultés liées à l’articulation entre mémoire et histoire, entre singularité des destins individuels et exigence de la mémoire collective, entre multiplicité et spécificité des lieux, des dates et des acteurs concernés. Mais pouviez-vous faire autrement alors que tous ces enjeux découlent de « la mise à l’épreuve » que constituent ces attentats, « tant pour la société dans son ensemble que pour chacun de ceux qui la composent » ?
Je n’ignore rien de l’esprit dans lequel vous avez travaillé. Vous avez longuement échangé et débattu prenant en compte la diversité des avis, l’expertise de chacun de vous liée aux disciplines que vous incarnez, sciences sociales, histoire, philosophie, justice… Peu à peu, au fil des mois, les propositions que vous avez formulées sont devenues des points de consensus, votre exigence commune étant de vous tourner vers un avenir constructif.
Si vous aviez eu l’ambition d’embrasser cette thématique dans son ensemble, vous auriez probablement fait fausse route mais vous avez eu l’humilité de garder à l’esprit que vos propositions ne satisferaient probablement pas toutes les aspirations évoquées. Sans sécher toutes les larmes du monde, la pierre que vous avez apportée à la réflexion permet désormais de fixer une trajectoire, une ligne de force.
Je salue aussi la méthode que vous avez adoptée, choisissant d’entendre toutes celles et ceux qui pouvaient vous apporter leur témoignage : je pense à toutes les associations de victimes du terrorisme et aux victimes, elle mêmes, qui vous ont livré les épreuves qu’elles ont traversées, vous ont parlé des êtres chers qu’elles ont perdus et des blessures physiques et psychiques qu’elles continuent d’endurer. Vous avez aussi entendu ceux qui se sont portés à leur secours. Vous avez pu recueillir ces témoignages en vous déplaçant sur les lieux où les attaques terroristes ont été commises, à Paris, à Nice… Comment ne pas songer, en cet instant au poignant témoignage de Philippe Lançon, qui, dans son livre « Le lambeau », retrace ce long parcours de reconstruction et témoigne de ces mois interminables qui suivirent la tragédie ?
Les auditions que vous avez menées vous ont permis de confronter les points de vue, de resituer dans le temps et dans l’espace les conséquences multiples des attentats en vous attachant à l’essentiel. C’était indispensable car ceux qui se sont exprimés devant vous avec sincérité et authenticité, parfois submergés par le souvenir et l’émotion, ont placé en vous leurs espoirs. Nombre d’entre eux ont salué l’instauration de ce comité et sa composition reflétant toutes les dimensions des questions auxquelles vous avez cherché à répondre.
Je salue ainsi votre conviction selon laquelle il fallait élargir votre champ de réflexion et puiser l’inspiration dans d’autres lieux de mémoire déjà existants. Vous vous êtes ainsi rendus aux mémoriaux de la Shoah, des camps de Rivesaltes, des Mille, ou de Caen. Lieux devenus ceux d’une histoire collective à partir de tant d’itinéraires singuliers, ils ont permis de tisser les liens entre hier et aujourd’hui.
Dans chacun de ces lieux, vous avez longuement évoqué la genèse des projets, leur développement, le processus de mise en route des musées, leur fréquentation, leurs usages et surtout leur devenir en perpétuelle évolution. Chacun des directeurs, que je cite volontiers, Mesdames Sajaloli et Roux, Messieurs Fredj, Chouraqui et Grimaldi, ont évoqué avec passion ce qui, depuis parfois de très nombreuses années, les anime, la conscience aigüe de la responsabilité qui leur incombe en s’inscrivant dans l’histoire de notre pays tout en dépassant ses frontières.
Le directeur de Ground Zero à New York a été d’une aide précieuse pour vous faire comprendre à quel point le temps doit faire son œuvre dans la maturation d’un projet et pour rappeler la nécessité d’accompagner tout projet d’une étroite concertation avec ceux qui ont vécu ces tragédies dans leur chair.
Mais comme vous l’avez souligné, l’une des difficultés majeures et terribles de la mémoire en ce domaine est que le terrorisme s’inscrit dans une histoire inachevée. Vous avez donc préconisé la création d’un Musée-mémorial dont vous avez recensé les différentes fonctions : musée d’histoire ouvert sur l’avenir, espace de recherche, de conférences et de débats, lieu de transmission et d’éducation… La ministre de la culture, Françoise Nyssen a également évoqué avec vous les perspectives qui pourraient être assignées à ce lieu, dont vous prônez la localisation à Paris. Aujourd’hui ce lieu n’existe pas en tant que tel. S’il est des lieux de mémoires en divers endroits où les attentats se sont déroulés, un tel Musée-mémorial n’a pas encore vu le jour. C’est donc une proposition forte et novatrice.
En tant que Garde des Sceaux, j’ai par ailleurs été particulièrement sensible à la proposition que vous faites concernant l’enregistrement des procès en matière de terrorisme. Je comprends cette nécessité et cette exigence. Dans les mois et années à venir vont avoir lieu les procès des attentats du 13 novembre 2015 et de Nice : j’ai la conviction que les images de ces procès doivent s’inscrire dans l’histoire et servir pour les générations futures. « Si j’avais le pouvoir de donner une voix à la solitude et à l’angoisse de chacun d’entre vous, c’est avec cette voix que je m’adresserais à vous » disait Camus, Mon souhait est donc que lors des procès à venir, la voix des parties civiles, des victimes, de la justice, franchisse les murs du prétoire.
Mais l’enjeu mémoriel des attentats terroristes dépasse le ministère de la Justice et le souhait du Président de la République était précisément d’ouvrir cette question vers d’autres dimensions, à d’autres ministères. En rencontrant, le ministre de l’Education nationale, vos préoccupations ont rejoint les siennes. Jean-Michel Blanquer s’est ainsi engagé à ce que les programmes scolaires prennent en compte la question des attentats. C’est une assurance importante.
Enfin, et c’est une question délicate, vous avez proposé que soit adoptée une date commune de commémoration qui n’exclut pas d’autres commémorations ponctuelles mais « résiste à l’oubli et à l’usure du temps ». Vous avez ainsi proposé de fixer cette date au 11 mars afin de l’inscrire dans une perspective européenne tout en prenant en compte l’ensemble des attentats qui ont touché la France depuis les années 70. Cette vision qui dépasse nos frontières rejoint le symbole de paix porté par les fondateurs de l’Union européenne.
Lorsque j’avais installé ce comité, j’avais cité le commissaire européen, Julian King, en reprenant ses termes : « Les terroristes cherchent à nous diviser, mais en faisant œuvre de mémoire ensemble, nous leur résistons grâce à notre unité »… C’est ce même vœu que je forme aujourd’hui. Je souhaite que la politique mémorielle soit source d’apaisement et de cohésion sociale.
Le magnifique ouvrage de Denis Salas « La foule innocente » rend hommage à l’histoire des hommes et les femmes de toutes religions, de toutes opinions qui subissent les fléaux des guerres et du terrorisme. Il rappelle « le vertige de la mort violente, la solidarité des victimes du hasard, les épreuves qui suivront pour elles, les responsabilités que nous laisse cet héritage. Et pour finir la nécessité de témoigner pour éviter que se dispersent les sources vives de notre humanité ». C’est dans cette direction que votre rapport nous autorise désormais d’aller. Pour cela, je vous remercie à nouveau.