Vœux aux personnalités du monde judiciaire et aux parlementaires

Publié le 18 janvier 2017

Discours de Jean-jacques URVOAS, garde des sceaux, ministre de la justice

Seul le prononcé fait foi

Je suis heureux de vous accueillir dans l’hôtel de Bourvallais.

Temps de lecture :

8 minutes

Vous savez sans doute, que bien que construit en 1702, il n’accueille la Chancellerie, par arrêté royal que depuis le 5 septembre 1718.

Le premier Chancelier à l’occuper fut Marc-René de VOYER de PAULMY, marquis d’Argenson, que Louis XV avait nommé garde des Sceaux quelques mois auparavant le 28 janvier 1718.

Du passage du marquis d’ARGENSON, l’histoire a gardé des mémoires que ce travailleur acharné a rédigés la nuit, durant les 28 mois qu’il passa ici.

Nommé 298 années plus tard - jour pour jour - et alors que 199 gardes des Sceaux nous séparent, je me suis plongé dans ce recueil très lucide sur l’exercice du pouvoir.

Et comme une forme de résumé, j’y ai trouvé la maxime qui conduit mon action depuis un an.

 «  Pour convaincre, il suffit de parler à l'esprit ; pour persuader, il faut aller jusqu'au cœur  ».

Je l’ai mise au service d’une seule obsession et d’une seule conviction :

Ø L’obsession, c’est de parvenir à convaincre de donner au service public de la justice les moyens de fonctionner,

Ø La conviction, c’est qu’un ministre, dont l’action est par principe limitée dans le temps, doit se comporter comme un jardinier et planter des graines, dont seuls ses successeurs verront les arbres et récolteront les fruits.

Pas un jour ne s’est écoulé sans que je ne sois renforcé dans ces certitudes.

De Caen à Béziers, de Foix à Bourg-en-Bresse, de Nouméa à Pointe-à-Pitre, d’Angers à Mulhouse, dans tous ces déplacements, dans toutes ces inaugurations de tribunaux, dans toutes ces poses de 1ère pierre, vous m’avez parlé des moyens de fonctionnement.

De Nice à Fleury-Mérogis, d’Avignon à Riom, de Nouméa à Basse-Terre, dans les 21 établissements pénitentiaires où je me suis rendu, vous m’avez alerté sur les manques en matériels et sur les carences en personnels.

Dans toutes mes rencontres avec les organisations syndicales de magistrats, de greffiers, de personnels d’insertion et de probation, de personnels administratifs, de personnels de surveillance, d’avocats ou d’éducateurs, à chaque reprise, la modestie du budget concentrait une large partie des observations.

2016 fut donc une année essentiellement concentrée autour de cet enjeu financier pour réussir la préparation du budget 2017.

Le résultat, vous le connaissez, et chacun l’a jugé.

Il se résume à deux chiffres :

Ø Près de 7 milliards (je parle des crédits de paiement hors cotisation de retraite) pour le ministère,

Ø + 4,3 % d’augmentation par rapport à 2016, soit la hausse la plus forte depuis le début de la législature.

Je sais que cette progression ne règle pas tout, partout.

Et si j’en avais eu l’illusion, la lecture quotidienne des propos tenus lors des audiences solennelles m’aurait réveillé.

Mais je suis heureux de lire par exemple qu’au tribunal de grande instance (TGI) de Bar-le-Duc, de Saint Quentin ou encore d’Aurillac, les chefs de juridictions se félicitent d’être « enfin » au complet.

J’ai été heureux d’entendre hier après-midi, Chantal ARENS, première présidente de la cour d'appel de Paris, dire que sa cour avait plus de moyens qu’elle n’en n’avait jamais eus (« même s’il reste encore beaucoup à faire ») !

J’ai aussi lu les appels du TGI de Moulins (motion), de Privas, de Roanne ou de Vesoul, où il manque encore le tiers des effectifs.

Je sais aussi par exemple qu’à Boulogne, où pourtant les effectifs sont au complet (siège comme parquet), la situation reste tendue, en raison de Calais, et qu’à Bobigny, si un redressement spectaculaire a été conduit, la juridiction reste sous-dimensionnée pour un département en pleine croissance comme la Seine-Saint-Denis.

Mais j’ai la conviction que la trajectoire est maintenant la bonne.

En 2016, grâce au ressaut budgétaire dégagé dès le printemps, les juridictions ont pu faire face à leurs dépenses de frais de justice.

J’avais souhaité que ces moyens supplémentaires soient mobilisés et que les dépenses soient effectivement engagées.

Il s’agissait pour moi de couper court aux critiques que j’entends parfois selon lesquelles le ministère de la justice ne saurait pas dépenser les crédits qui lui sont alloués.

Eh bien, nous avons fait mentir cette critique !

Pour la première fois de leur histoire, en 2016, les services judiciaires ont dépensé plus d’un milliard d’euros.

C’est ainsi que, globalement, les délais de paiement des frais de justice sont passés de 4 mois à 1 mois.

Comme l’a dit Madame la Procureure générale de la Cour d’appel de Bourges « Nous commençons 2017 dans une situation meilleure ou plutôt moins mauvaise».

Et j’ai le plaisir de vous annoncer que le Premier ministre a accepté ce matin-même de dégeler pour 2017 une part significative des crédits de fonctionnement et des crédits immobiliers des juridictions.

Je compte sur chaque chef de cour et chaque chef de juridiction pour en faire le meilleur usage, au bénéfice du justiciable, des magistrats et des agents.

Et puis surtout, les recrutements vont finir par arriver.

Là encore qu’on en juge : depuis 2012 :

Ø 2 282 nouveaux magistrats sont passés par Bordeaux, c’est 1 354 de plus que durant la législature précédente,

Ø 5 512 nouveaux fonctionnaires des greffes ont été formés à Dijon, ils étaient 3 880 entre 2007 et 2012,

Ø Près de 5 400 élèves surveillants ont découvert l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), à Agen,

Ø Et 911 éducateurs supplémentaires ont été accueillis à l’Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), à Roubaix.

Cette année encore, toutes nos écoles seront au maximum de leur capacité.

Ces choix sont politiques.

Ils traduisent une conception du service public de la justice qui place ce ministère au cœur du pacte social pour reprendre une formule qu’utilisait Pierre ARPAILLANGE dans ses propos lors des audiences solennelles de la Cour de Cassation et naturellement dans ses discours de ministre.

D’une rectitude irréprochable, intransigeant pour lui-même, mais tolérant à l’égard d’autrui, Pierre ARPAILLANGE restera un modèle pour tous ceux qui ont travaillé à ses côtés ou sous ses ordres et dont je comprends la tristesse à la suite de sa disparition.

Je n’ignore pas que cette qualification n’est pas consensuelle, même si elle a reçu l’onction du Conseil Constitutionnel dans une décision du 27 février 1994.

Je n’ai donc aucune hésitation sur son emploi.

La justice satisfait sans peine ni artifice, toutes les caractéristiques d’un service public.

Ø Ainsi matériellement ou fonctionnellement, elle poursuit une fin d’intérêt général indiscutée.

Ø Elle est prise en charge par une personne publique, puisqu’elle est l’une des activités de l’Etat.

Ø Elle est soumise aux grands principes de fonctionnement qui s’imposent à tous les services publics tels qu’ils furent définis par le publiciste Louis Rolland dans la première moitié du XXème siècle (égalité d’accès, continuité, adaptabilité).

Ø Enfin, elle use – ô combien – de prérogatives de puissance publique.

C’est donc en fonction de cette appréhension de la justice que le combat mené pour le budget ne doit pas être un simple épisode.

Ce doit être le premier chapitre d’un nouveau livre pour le ministère de la justice.

Les budgets 2018, 2019 et suivants devront confirmer cette progression.

Sur la prochaine législature, le ministère aura besoin d’un milliard de crédits supplémentaires.

De la même manière, je crois que le mouvement engagé par J21 devra se poursuivre et se renforcer.

Si notre société sera de plus en plus régulée par le droit, je suis persuadé que la norme sociale sera moins édictée, mais plus négociée.

Ce qui veut dire qu’une place plus conséquente sera faite à la médiation, à la conciliation, à la transaction entre citoyens responsables et bien conseillés.

Le recours au juge deviendra plus subsidiaire, pour préserver la place éminente qui doit être la sienne, celle de trancher un conflit en disant le droit et non pas de gérer des situations.

Si nous ne conduisons pas cet effort de définition des contentieux qui doivent continuer à relever du juge, je crains que ne s’impose la régulation la plus brutale, c’est-à-dire la régulation budgétaire.

Ce serait la pire des situations en raison de son aveugle brutalité.

Un dernier mot pour exprimer un regret et le transformer en vœu.

Il concerne évidemment l’indépendance de l’autorité judiciaire.

C’était un engagement pris par le candidat François HOLLANDE de la renforcer.

Des pas ont été accomplis comme la loi du 25 juillet 2013 qui interdit au ministre de la Justice d’adresser aux magistrats du ministère public des instructions dans les affaires individuelles.

Des pratiques se sont – durablement je l’espère – installées.

C’est le cas des modalités de nomination des procureurs généraux.

Mais des espoirs n’ont pu se concrétiser : je pense évidemment au projet de loi constitutionnelle relatif à la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Fidèle à l’invitation du marquis d’ARGENSON, j’ai cherché, pour persuader, à parler au cœur.

J’étais convaincu de la possibilité de prendre un chemin certes escarpé, mais praticable pour parvenir à un consensus.

Las, ces efforts se heurtèrent à des préoccupations assez éloignées du sujet, mais qui sonnèrent le glas de la révision.

Il faudra donc demain remettre l’ouvrage sur le métier.

Mais l’indépendance de l’autorité judiciaire ne se réduit pas à sa relation avec le pouvoir exécutif.

Le doyen Jean CARBONNIER nous rappelait que l’indépendance ne serait pas grand-chose, si elle était donnée à un juge ignorant, à un juge sans liberté d’esprit, sans espace pour la pensée.

Ø C’est pourquoi, dans la loi organique du 8 août 2016 nous avons renforcé la place et les modalités de l’éthique et de la déontologie.

Cela devrait nous éviter de connaître ce moment dont parlait le professeur Berthold Goldman où la loi du juge devient supérieure au droit.

Mais peut-être aurais-je l’occasion d’en reparler à la fin du mois à Bordeaux…

Mesdames, messieurs,

Dans l’un de ses ouvrages, Denis Salas rappelle la parabole de l’avant-dernier chapitre du Procès de Kafka « Devant la Loi » :

Un homme arrive après un long voyage et se présente devant les portes de la Loi.

Le gardien lui dit d’attendre et le repousse, en disant « plus tard ! ».

L’homme attend, vieillit et enfin meurt, sans avoir pu entrer dans la Loi.

La Loi, loin d’être un ensemble de règles, nous dit Kafka, est un monde où vivre ensemble.

Son accès est entre les mains de ses gardiens.

L’expérience positive ou négative que chacun peut en faire, dépend d’eux et d’eux seuls.

Mais si ses gardiens, - qu’ils soient parents, éducateurs, législateurs, politiques ou juges -, renoncent à occuper leur place, le monde de la Loi devient alors inaccessible.

Il peut se transformer en une pure violence au fur et à mesure que les médiateurs se dérobent, cessent d’en être les interprètes attentifs.

Si chacun à sa place est défaillant, une communauté devient inhabitable.

Elle se vide de l’intérieur et se durcit à sa périphérie.

Chacun d’entre nous a un rôle à jouer, une responsabilité à exercer pour que le monde où nous vivons soit un monde où vivre ensemble.

J’ai lu, en préparant ce propos, que le mot « vœu » venait du latin « votum » qui signifiait à l’époque « la promesse faite aux dieux ».

En ce début 2017, ce n’est pas aux Dieux que nous devons faire cette promesse de garantir l’accès et l’ouverture du monde de la Loi, mais à la société et à ses citoyens.

Bonne année à tous et à l’année prochaine

Contact presse – Cabinet du garde des sceaux

01 44 77 63 15 / secretariat-presse.cab@justice.gouv.fr

Lire le discours