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Le procès de Nicolas Fouquet
Publié le 23 août 2011 - Mis à jour le 18 juin 2024
"C'est toujours l'impatience de gagner qui fait perdre." - Louis XIV
Accédant à la fonction de surintendant des finances dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Nicolas Fouquet devint l'un des personnages les plus influents du royaume à cette époque, connu pour son goût des arts, des lettres et des fêtes somptueuses. Jalousé notamment par Colbert, qui convainquit Louis XIV de le faire arrêter, il se défendra vigoureusement à son procès pendant trois ans pour que le roi décide finalement lui-même de la sentence finale : la prison à perpétuité.
Le contexte
Protégé du cardinal de Mazarin, alors Premier ministre pendant la minorité du futur Louis Le Grand, Nicolas Fouquet obtint la charge très prisée de surintendant des finances le 7 février 1653 à la mort de son prédécesseur. Non content d'aggraver la dette du royaume au lieu de la résorber, celui-ci s'enrichit pleinement durant son mandat tant et si bien qu'il devint peu à peu la personnalité la plus influente du moment. Mécène généreux entouré d'un vaste réseau de courtisans, il parachèvera son incroyable aura politique par l'édification du célèbre château de Vaux-le-Vicomte situé dans l'actuelle commune de Maincy en région parisienne.
Cette réussite sociale, aussi importante que rapide, ne manqua pas de susciter bon nombre de jalousies et notamment au plus haut sommet de l'Etat : Colbert, autre ministre célèbre de Louis XIV, concentra tous ses efforts pour que le surintendant des finances devienne suspect aux yeux du roi. La mort de Mazarin, le 9 mars 1661, scella définitivement le sort de Nicolas Fouquet qui avait alors perdu son soutien principal ; celui-ci se vit en conséquence arrêté par le capitaine-lieutenant de la compagnie des mousquetaires d'Artagnan le 5 septembre 1661 sur ordre de Louis XIV et jeté en prison au château d'Angers.
L'instruction
L'imagerie populaire rend la dernière fête du 17 août 1661, la plus impressionnante donnée à Vaux-le-Vicomte et où le roi fut convié, responsable de la disgrâce de Fouquet. En réalité, le tout jeune monarque, souhaitant asseoir politiquement son trône, avait déjà à l'esprit de se débarrasser de son surintendant des finances, résurgence de la politique du cardinal de Mazarin et surtout beaucoup trop riche et influent aux yeux du roi Soleil.
L'enquête
Les commissaires débutèrent bien évidemment leurs investigations dans "l'antre" du surintendant, symbole de sa gloire et de sa puissance, le château de Vaux-le-Vicomte. Puis ceux-ci se tournèrent vers les anciennes demeures de Fouquet et c'est dans sa propriété de Saint-Mandé qu'ils firent leur plus troublante découverte : une cassette renfermant toute la correspondance du surintendant et qui portait aux nues ses collusions multiples avec une bonne partie de la Cour jusque dans l'entourage proche du roi.
Les interrogatoires débutèrent au début de l'année 1662 et oublièrent curieusement sa famille, exilée pour l'occasion, et toutes personnes pouvant abonder dans son sens.
À ce stade, on peut noter que si les malversations (ou tout du moins les largesses) que s'étaient octroyées Nicolas Fouquet ne peuvent objectivement pas être niées, il est aussi généralement admis que les enquêteurs, recevant leurs ordres de Colbert en personne, truquèrent purement et simplement les procès-verbaux en les agrémentant de témoignages imaginaires et autres inventaires extrapolés. Pis, on refusa au principal intéressé la possibilité d'être jugé devant le Parlement de Paris (comme tel était pourtant son droit) pour le renvoyer devant une chambre de justice exceptionnelle constituée spécialement à son attention ; inutile de mentionner que le président, le procureur général, les conseillers et les greffiers nommés pour composer cette cour extraordinaire étaient plus ou moins des intimes de ceux qui souhaitaient corps et âme la perte du surintendant déchu (et d'ailleurs récusés par Fouquet). Pour parachever cette entreprise de démolition personnelle, il fut signifié à l'accusé que son procès se déroulerait uniquement par écrit, "comme à un muet" suivant l'expression consacrée.
Les faits imputés
Suivant l'instruction préalable, la chambre de justice extraordinaire a caractérisé deux infractions :
-
les malversations dans l'administration des finances, et plus précisément le détournement de fonds publics par un comptable public (péculat) :
- appropriation frauduleuse de sommes d'argent considérables
- pensions perçues à partir de rentes obtenues illégalement
- prêt d'argent personnel au roi en qualité d'ordonnateur (interdit)
- utilisation de l'argent du trésor royal, etc. -
le crime d'Etat de lèse-majesté :
- fortification de Belle-Ile-en-Mer, dont il s'était rendu propriétaire, sans l'accord du roi
- corruption d'officier royaux et de gouverneurs de places fortes
- conflits d'intérêts, notamment avec des membres éminents de la Cour (mis en lumière par la "cassette de Saint-Mandé"), etc.
Nicolas Fouquet encourait alors la mort pour ces deux chefs d'accusation.
Le procès
Haï de tous pour son enrichissement personnel indécent au regard des crises financières, des disettes et des famines, Nicolas Fouquet obtint un étonnant regain de sympathie de la part du peuple qui n'apprécia guère l'acharnement royal à son encontre. Sa défense méticuleuse l'y aidant, il devint même, chose incroyable, si populaire que les juges hésitèrent à frapper l'accusé de la peine maximale.
Les débats (procédure écrite)
Certains papiers compromettants ayant été, comme nous l'avons vu, falsifiés, le procureur général ne put empêcher l'éclatement au grand jour de plusieurs contradictions dans l'acte d'accusation. Fouquet, avec une extraordinaire précision, récusa une à une les accusations et discuta chaque point : il démontra ainsi sa difficulté à acquérir la charge de surintendant des finances (il s'endetta lourdement pour cela) et surtout son enrichissement relatif selon lui comparé aux grandes fortunes du royaume constituées à cette époque. Plus insidieusement, il n'omettra pas de préciser que les largesses dont il avait pu bénéficier avaient aussi profité à d'autres personnes, tel Colbert par exemple.
Malheureusement pour lui, la réalité des faits le rattrapait de toute façon et, bien qu'il fut finalement plus l'objet du courroux du roi qu'autre chose, ses tromperies et escroqueries ne pouvaient être ignorées plus longtemps.
"L'audience" ne dura pas moins de trois ans et demi et déchaîna les passions pendant tout ce laps de temps. La pression royale sur les juges fut alors proportionnellement équivalente à la popularité inédite de l'accusé, compliquant doublement la tâche de la chambre de justice. Quant aux avocats de l'ancien surintendant, ceux-ci produisirent plus de 10 volumes de mémoires en défense.
Le jugement
Le 22 décembre 1664, un arrêt reconnaîtra Nicolas Fouquet coupable de péculat :
"La chambre a déclaré et déclare ledit sieur Fouquet duement atteint et convaincu d'abus et malversations par lui commises au faict des finances ; pour réparation de quoy, ensemble pour les autres cas résultant du procès, l'a banny et bannit à perpétuité hors du royaume, [...] a déclaré tous ses biens confisquez au Roy, sur iceux préalablement pris la somme de 100.000 livres applicables moitié au Roy et l'autre moitié en oeuvres pies."
On remarquera que la peine prononcée par les juges ne correspond pas à celle normalement prévue pour punir le péculat : au lieu d'être condamné à mort, on enjoint Nicolas Fouquet de quitter le royaume de France.
Cette clémence, due probablement à la pression populaire ainsi qu'à la durée relativement longue du procès, est considérée comme totalement injustifiée aux yeux du roi et de son entourage.
En réaction à ce qui fut donc perçu comme un premier défi au pouvoir absolu mis en place par le jeune roi, Louis XIV n'hésita pas à modifier lui-même la sentence pour la commuer en peine de prison à vie. Nicolas Fouquet finira alors ses jours enfermé dans la forteresse de Pignerol, sa détention alimentant d'ailleurs les hypothèses les plus folles de certains historiens : Fouquet a-t-il été forcé de revêtir le célèbre "masque de fer" ?