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L'affaire Martin Guerre

Publié le 13 juillet 2012 - Mis à jour le 11 juillet 2024

Dans la série « Les grands procès de l’histoire », retrouvez l'affaire Martin Guerre. Comment un homme a-t-il pu prendre la place d'un autre pendant trois ans sans que personne, pas même sa propre épouse, ne s'en rende compte ?

L'affaire Martin Guerre - Images disponibles sur Wikimedia Commons

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Pittoresque histoire que celle de Martin Guerre qui, ayant quitté son foyer pendant plus de dix ans, vit son identité usurpée par Arnaud du Tilh, un compagnon de route qui avait appris méthodiquement son texte et répété inlassablement son rôle au pied et au nez de sa victime un peu trop bavarde.

Le cas, peu ordinaire, fut porté jusque devant le parlement de Toulouse qui allait donner raison à l'imposteur sans le retour inopiné du véritable Martin Guerre.

Retour sur l'un des plus célèbres procès de la Renaissance où le principal protagoniste érigea l'imposture au rang de véritable art.

Les faits

En 1556, un homme se présenta dans le petit village d'Artigat en Ariège et prétendit être Martin Guerre, revenu auprès des siens après huit années d'absence. Outre une ressemblance presque troublante, sa famille, ses amis et surtout sa femme, Bertrande de Rols, n'eurent plus aucune hésitation lorsque celui-ci leur donna un certain nombre d'informations que seul le vrai Martin Guerre pouvait connaître.

Le couple vécut alors ses retrouvailles en parfaite harmonie et donna naissance à deux nouveaux héritiers en plus de l'enfant mis au monde avant le départ du mari.

Mais les choses se compliquèrent lorsque l'oncle de Martin, Pierre Guerre, commença à émettre des doutes sérieux sur la véritable identité de l'individu, notamment exacerbés par une violente altercation avec son "neveu". Pierre remarqua notamment que ce dernier ne pratiquait plus sa passion première, l'escrime, et que le premier fils du couple ne ressemblait absolument pas au nouveau Martin Guerre. La famille ainsi que tout le village se divisèrent sur la question mais Bertrande défendit corps et âme son mari.

Tout bascule le jour où un voyageur confia aux habitants que Martin Guerre eut un des deux membres inférieurs sectionné au front et était désormais contraint de marcher à l'aide d'une jambe de bois. Encore plus accablant, un autre témoin reconnut formellement, en la personne de Martin Guerre, Arnaud du Tilh, membre d'un village voisin, qui n'en était pas à son premier coup d'essai en matière de fraude.

Jeté en prison sans attendre, comme c'est le cas lorsqu'il y avait soupçon de "plusieurs grands et énormes délits", l'homme eut à répondre de ses actes devant le juge de Rieux qui instruisit son procès pour usurpation d'identité, adultère et fraudes.

L'imposture à travers les âges

L'Histoire regorge de cas d'impostures dans lesquels de nombreux "prétendants" ont affirmé être des personnalités célèbres.
Parmi eux, on peut citer :

  • les faux Louis XVII : les derniers instants du dernier fils de Louix XVI, retenu à la prison du Temple, étant flous, les rumeurs allèrent bon train sur l'éventuelle substitution de l'enfant avant le décès officiel constaté le 8 juin 1795.
    Parmi tous les imposteurs, le plus célèbre d'entre eux fut l'allemand Naundorff, reconnu de son vivant par l'ensemble des proches de l'ancienne famille royale. Mais une analyse ADN en 1998 a attesté de manière formelle que cet homme avait bien usurpé le titre d'héritier du trône de France qu'il avait toujours réclamé ;
  • les fausses Anastasia : victime collatérale d'une autre révolution, russe cette fois, en 1918, la célèbre princesse Anastasia renaquit tout au long du XXe siècle par le biais d'affabulatrices qui affirmaient avoir survécu à l'assassinat de la famille tsariste par les bolchéviques.
    La plus célèbre d'entre elles fut Anna Anderson et, tout comme pour le sujet précédent, un test génétique a finalement démontré en 2008 que la vraie princesse russe était bien morte avec le reste de sa famille.
     

Le procès en première instance

Le faux Martin Guerre dût se défendre seul conformément à l'ordonnance de Villers-Cotterêts prise par le roi François 1er en 1539. Ce dernier récita une nouvelle fois ses gammes et fournit des indications très précises sur la vie de celui qu'il prétendait être. Mais le juge, méticuleux, auditionna plusieurs centaines de témoins qui, pour la plupart d'entre eux, reconnurent clairement Arnaud du Tilh.

Malgré une défense plus qu'énergique de la part de l'accusé, la cour finit par admettre qu'il s'agissait bien d'Arnaud du Tilh et non de Martin Guerre. En conséquence, elle ordonna que ce dernier eut la tête tranchée. Mais l'histoire n'allait pas s'arrêter là. Le condamné, sûr de lui, fit appel de la décision devant le Parlement de Toulouse.

Le procès en appel

La chambre criminelle du Parlement fut donc saisie de cette affaire dans le courant du mois d'avril 1560. Le rapporteur, Jean de Coras, n'était pas de l'avis de la juridiction de Rieux et pensait que les témoins prennaient fait et cause pour Pierre Guerre dans le différend originel qui l'opposait à Martin.

Mieux, il ne pouvait se résoudre à croire que sa femme Bertrande ait pu se tromper sur la qualité de son époux et avoir avec lui deux enfants. Il restait persuadé que ces faits démontraient par eux-mêmes qu'il s'agissait bien là du véritable Martin Guerre.

Arnaud du Tilh fut sur le point de gagner son pari en appel lorsqu'un homme, infirme de son état et marchant à l'aide d'une jambe de bois, se présenta devant les notables en affirmant être le vrai Martin Guerre.
À sa vision, Bertrande de Rols fondit en larmes et implora à genoux son pardon. Arnaud du Tilh lui-même, troublé par cette soudaine apparition et se sentant perdu, avoua finalement toute la supercherie. Il expliqua alors devant le Parlement comment il avait gagné la confiance de sa victime et, surpris que deux personnes qui le croisèrent un beau jour près du village le saluèrent en le prenant pour Martin Guerre, eut l'idée de se faire passer pour lui.

La sentence fut dès lors irrévocable : le dénommé Arnaud du Tilh fut reconnu pleinement coupable de forfaitures et, confirmant de plein droit le jugement de Rieux, les notables de Toulouse le condamnèrent à la peine capitale.

Épilogue

La fin de l'imposteur mérite quelques commentaires : sommé de faire "amende honorable", Arnaud du Tilh arpenta les rues du village en habit de pénitent et, la corde au cou, demanda pardon à Dieu, au roi et à tous ceux qu'il avait pu offenser.

La potence fut alors dressée devant la maison familiale. Ses dernières volontés allèrent au vrai Martin Guerre qu'il supplia de ne pas violenter sa femme Bertrande par vengeance.

La dépouille d'Arnaud du Tilh fut ensuite brûlée, comme pour tenter d'effacer toute trace de ce qui restera l'une des plus extraordinaires histoires de la Renaissance.