[Archives] Discours de Mme Rachida Dati, garde des sceaux à Toulouse

Publié le 10 novembre 2007

Présentation aux élus de Midi-Pyrénées et du Lot-et-Garonne du projet de schéma des CA d'Agen et de Toulouse

Présentation aux élus de Midi-Pyrénées et du Lot-et-Garonne du projet de schéma d’organisation judiciaire dans le ressort des cours d’appel d’Agen et de Toulouse

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Préfecture de Toulouse – Samedi 10 novembre 2007 -

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Députés, Sénateurs et

Députés européens,

Monsieur le Préfet de Région,

Monsieur le Président du conseil régional de Midi-Pyrénées,

Messieurs les Présidents de conseils généraux ou leurs représentants,

Messieurs les Préfets,

Messieurs les Premiers Présidents,

Messieurs les Procureurs généraux,

Mesdames et Messieurs les élus,

Je veux d’abord vous remercier de votre présence aujourd’hui, à Toulouse, et tout particulièrement celles et ceux d’entre vous qui viennent de loin. Je sais que c’est une contrainte pour beaucoup d’entre vous. Je connais aussi vos obligations d’élus, particulièrement le samedi après-midi.

La réforme de la carte judiciaire a été engagée le 27 juin dernier. Nous avons mené de nombreuses concertations. Je souhaite vous rencontrer aujourd’hui pour vous présenter les évolutions que nous envisageons pour les cours d’appel d’Agen et de Toulouse. Je les présenterai tout à l’heure aux acteurs du monde judiciaire.

Vous le savez, cette réforme est importante. Comme toute réforme, elle n’est pas facile. Je veux vous assurer que la réforme de la carte judiciaire est conduite dans l’intérêt du justiciable, et donc des Français. Elle est inspirée de deux principes : la qualité de la justice et la réalité du territoire. Elle sera progressive et étalée sur trois ans.

I - Nous voulons renforcer la qualité de la justice.

Les constats sont connus. On sait bien que certains facteurs ne contribuent pas à une justice de qualité. Quelques exemples :

·      L’isolement des juges et l’absence de soutien pour ceux qui débutent dans la magistrature.

Un juge isolé dans son tribunal n’a pas de possibilité d’échanges avec des magistrats plus expérimentés.

·      La multiplicité des fonctions que les magistrats sont amenés à exercer dans les plus petites juridictions.

Les magistrats passent d’un dossier à l’autre : ils sont tour à tour juge correctionnel, juge d’instruction, juge aux affaires familiales, juge de l’exécution, juge du surendettement…

·      La dispersion des moyens qui rend la tâche si difficile quand un magistrat ou un greffier est absent.

Tous les gouvernements, de droite et de gauche, augmentent les moyens de la justice depuis dix ans. Et on ne parvient pas à assurer la continuité nécessaire du service public.

·      La difficulté d’assurer la sécurité dans 1 200 juridictions réparties sur 800 sites.

·      L’insuffisante spécialisation des juges alors que les contentieux sont de plus en plus techniques et les procédures de plus en plus exigeantes.

La réorganisation de la carte judiciaire, à elle seule, ne règlera pas toutes les difficultés. Elle n’est que l’un des aspects de la réforme de la justice.

Le regroupement et la mutualisation des moyens sont une condition d’une justice plus rapide et plus efficace. Dans une juridiction plus importante, l’organisation du travail permet un audiencement plus rapide des affaires. La charge de travail est mieux répartie. Les magistrats peuvent s’entraider. Les services du greffe sont ouverts en permanence. Ils sont spécialisés et plus efficaces. On améliore ainsi la réponse apportée à tous les justiciables.

Lorsque l’on est tout seul, lorsque les moyens sont dispersés, on ne peut pas traiter chaque dossier avec une qualité égale. On ne peut pas suffisamment écouter et accompagner les victimes.

II - Et puis il y a la réalité du territoire. Nous voulons la prendre en compte.

La justice doit être la même pour tous, sur l’ensemble du territoire. Il y a des endroits où elle n’est pas assurée dans de bonnes conditions. Il y a des juridictions sans magistrat, ou sans fonctionnaire. Ce ne sont plus des juridictions.

Notre carte judiciaire est héritée du XIXe siècle. Sa dernière réforme date de 1958. La France a beaucoup changé depuis cinquante ans. Nous devons adapter le service public de la justice aux évolutions démographiques, économiques et sociales de notre pays.

Chaque région a aussi son histoire, ses spécificités. Il n’y a pas de règle mécanique, plaquée uniformément depuis Paris.

La concertation a montré l’attachement des élus et des professions judiciaires au maintien d’une cour d’appel à Agen. J’ai entendu les arguments en sa faveur.

III – La réforme de la carte judiciaire sera étalée sur trois ans.

1 – Elle commencera en 2008 avec la mise en place des pôles de l’instruction.

Après le drame d’Outreau, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté une loi qui vise à éviter l’isolement des juges, à encadrer les jeunes magistrats et à renforcer la collégialité. Le législateur a ainsi prévu la création de pôles de l’instruction.

Cette disposition entre en vigueur le 1er mars 2008, avec des formations collégiales de deux juges d’instruction, pour l’instruction des crimes et des délits les plus graves ou les plus complexes. Elle concernera toutes les affaires soumises à l’instruction à partir du 1er janvier 2010, avec des formations collégiales de trois juges d’instruction.

Nous nous sommes inscrits d’emblée dans la perspective de l’échéance de 2010. Il est paru logique de retenir comme pôle de l’instruction les tribunaux de grande instance qui ont d’ores et déjà une activité en matière d’instruction suffisante pour trois magistrats.

Dans ces conditions, la cour d’appel de Toulouse aura son pôle de l’instruction, à partir du 1er mars 2008, au tribunal de grande instance de Toulouse.

La cour d’appel d’Agen aura son pôle de l’instruction, à partir du 1er mars 2008, au tribunal de grande instance d’Agen.

Comme leur nom l’indique, ces pôles ne seront compétents qu’en matière d’instruction. Tous les tribunaux de grande instance – ceux qui seront pôles de l’instruction comme ceux qui ne le seront pas – conserveront leur compétence pour juger les délits. Les cours d’assises d’Agen, Auch et Cahors ainsi que d’Albi, Foix, Montauban et Toulouse resteront compétentes pour juger les crimes.

2 – La réforme de la carte judiciaire se poursuivra en 2009 avec les tribunaux d’instance et les tribunaux de commerce.

Pour les deux cours d’appel, on compte 25 tribunaux d’instance.

·      22 n’ont qu’un seul juge d’instance

·      3 sont actuellement sans magistrat

·      13 comptent moins de5 fonctionnaires

·      13 ont une activité qui ne justifie pas l’emploi d’un juge à plein temps.

L’étude des propositions remises par les chefs de cour, des situations concrètes et des équilibres territoriales nous amène à concentrer l’activité de proximité sur 16 tribunaux d’instance pour les sept départements.

L’Ariègecomptera deux tribunaux d’instance : à Foix et Saint-Girons. L’actuel tribunal d’instance de Pamiers sera regroupé avec celui de Foix.

Le Gers comptera deux tribunaux d’instance, à Auch et Condom. L’actuel tribunal d’instance de Lectoure sera regroupé avec celui de Condom, celui de Mirande avec Auch.

La Haute-Garonne comptera trois tribunaux d’instance, à Muret, Saint-Gaudens et Toulouse. L’actuel tribunal d’instance de Villefranche-de-Lauragais sera regroupé avec celui de Toulouse. Je sais qu’il accueille provisoirement la cour d’assises de Haute-Garonne. Les travaux en cours à Toulouse seront achevés bien avant cette phase de la réforme.

Quant aux greffes détachés de Bagnères-de-Luchon et de Cazères, ils fusionneront avec le greffe du tribunal de Saint-Gaudens. Je précise aussi que les trois maisons de justice et du droit de Haute-Garonne sont maintenues.

Le Lot comptera deux tribunaux d’instance à Cahors et Figeac. L’actuel tribunal d’instance de Gourdon sera regroupé avec celui de Cahors.

 

Le Lot-et-Garonne comptera trois tribunaux d’instance à Agen, Marmande et Villeneuve-sur-Lot. L’actuel tribunal d’instance de Nérac sera regroupé avec celui d’Agen. Les greffes détachés de Tonneins et Casteljaloux fusionneront avec le greffe du tribunal de Marmande.

Le Tarn comptera deux tribunaux d’instance à Albi et Castres. L’actuel tribunal d’instance de Gaillac sera regroupé avec celui d’Albi, celui de Lavaur avec Castres.

Le Tarn-et-Garonne comptera deux tribunaux d’instance à Castelsarrasin et Montauban. L’actuel tribunal d’instance de Moissac sera regroupé avec celui de Castelsarrasin.

Pour les tribunaux de commerce, notre projet s’appuie sur les recommandations de la conférence des juges consulaires de France et du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. La réforme vise à améliorer la qualité, l’impartialité et la lisibilité de la justice commerciale.

Nous voulons renforcer l’implication des parquets dans le suivi de l’ensemble des procédures commerciales. Nous voulons mieux garantir l’impartialité des juges consulaires : les commerçants veulent bien être jugés par des commerçants ; ils ne veulent pas être jugés par des concurrents.

Nous voulons aussi renforcer la compétence technique des juges consulaires. Les contentieux ont évolué. Ils sont plus complexes, qu’il s’agisse de la prévention des difficultés des entreprises, de la sauvegarde des entreprises, des procédures collectives et même du contentieux général. La justice commerciale est donc appelée à être resserrée et renforcée.

La cour d’appel d’Agen comptera troistribunaux de commerce, à Agen, Auch et Cahors.

Les actuels tribunaux de commerce de Marmande et de Villeneuve-sur-Lot seront regroupés avec Agen pour former une juridiction commerciale de poids départemental. C’est une proposition de la conférence des juges consulaires de France.

La cour d’appel de Toulousecomptera cinq tribunaux de commerce, à Albi, Castres, Foix, Montauban et Toulouse.

L’actuel tribunal de commerce de Saint-Gaudens traite en moyenne 99 affaires contentieuses par an. Il sera regroupé avec celui de Toulouse.

3 – La réforme s’achèvera en 2010 avec les tribunaux de grande instance.

En premier lieu, quelques contentieux très spécialisés seront traités au niveau interrégional. Ils nécessitent une spécialisation accrue des juges et une jurisprudence mieux harmonisée : contentieux de l’adoption internationale, du droit de la presse, de la nationalité, de l’indemnisation de l’amiante, des catastrophes en matière de transport.

Dans ces affaires complexes, il faut des juges spécialisés pour une justice de meilleure qualité : plus on disperse, moins on garantit la compétence. Notre objectif, c’est de faire émerger des chambres spécialisées. La spécialisation est gage de sécurité technique et de rapidité d’analyse. Cela permettra aussi de mieux garantir l’égalité de traitement des justiciables. Je pense notamment au douloureux contentieux de l’amiante.

Ces affaires seront traitées au tribunal de grande instance de Bordeaux, siège de la juridiction interrégionale spécialisée. Le Parlement sera appelé le moment venu à se prononcer sur cette répartition des contentieux. Celle-ci relève en effet du domaine de la loi.

En second lieu, il faut accepter des regroupements de tribunaux de grande instance là où on peut le faire.

La présence de la justice restera forte sur les deux cours d’appel avec 8 TGI :

-        Albi , Castres, Foix, Montauban et Toulouse, pour la cour d’appel de Toulouse ;

-        Agen, Auch et Cahors, pour la cour d’appel d’Agen.

L’actuel tribunal de grande instance de Marmande fusionnera avec celui d’Agen, celui de Saint-Gaudens avec Toulouse. Ces tribunaux n’ont pas une forte activité judiciaire. Ils n’ont pas non plus de perspective de croissance. Ils vont perdre leur activité d’instruction. Ils n’ont pas de juge des enfants. Ils ne sont siège ni de cour d’assises ni de tribunal pour enfants. Ils n’ont pas d’établissement pénitentiaire dans leur ressort.

Je sais que ce n’est pas une perspective facile, mais elle est raisonnable. Je comprends l’émotion des élus, les inquiétudes des personnels et celles des avocats.

Marmande et Saint-Gaudens conserveront leur tribunal d’instance. Ces tribunaux seront doublement renforcés :

-        par le rattachement à leur greffe des deux greffes détachés de leur secteur ;

-        par la possibilité qui leur sera donnée de continuer à accueillir le contentieux des affaires familiales qui relève du tribunal de grande instance : nous proposons de mettre en place des audiences foraines, où c’est un juge du TGI qui se déplace.

Il faut aussi se projeter dans l’avenir : les nouvelles technologies permettent une nouvelle forme de proximité.

Demain, le justiciable et son avocat pourront recevoir un jugement par courrier électronique. Ils pourront suivre l’avancement de leur procédure sans avoir à se déplacer. Ils pourront compléter ou consulter un dossier à distance.

Les procédures pénales seront numérisées en 2008, les procédures civiles en 2009.

Nous serons bien entendu attentifs aux conséquences pour les avocats. Je sais que c’est un point important qui compte pour une ville.

16 avocats sont inscrits au barreau de Marmande et 21 à celui de Saint-Gaudens. Ils sont au total 1 387 dans le ressort des deux cours d’appel.

Nous sommes prêts à envisager des mesures compensatoires. J’en ai parlé avec leurs représentants nationaux. Les bâtonniers sont en contact avec mon cabinet. J’en parlerai tout à l’heure à leurs représentants.

Le regroupement des TGI comme celui des autres juridictions sera mis en œuvre avec le souci des personnels qui seront accompagnés individuellement.

Nous prendrons en compte les conséquences en matière de logement, de déplacement et de carrière. La réforme ne s’appliquera pas du jour au lendemain. Nous allons les aider à s’y préparer. Dès la semaine prochaine, la mission carte judiciaire de la chancellerie, se rendra dans les cours d’appel pour faire un premier point des situations individuelles.

La mission étudiera également les conséquences immobilières de la réorganisation. Il s’agit d’améliorer les conditions de travail des personnels en juridiction ainsi que les conditions d’accès des justiciables.

* * *

Comme vous pouvez le constater, nous avons privilégié une démarche pragmatique, et non mécanique.

Nous avons recherché le meilleur équilibre entre les impératifs de modernisation de l’institution judiciaire, de renforcement de la qualité de la justice au service de nos concitoyens et l’indispensable prise en compte des équilibres territoriaux.

Je sais que vous partagez ces préoccupations. Le Gouvernement vous propose que nous les mettions en œuvre ensemble pour que demain la justice réponde mieux aux aspirations de nos concitoyens.

Je vous remercie.