[Archives] La réforme du Conseil supérieur de la magistrature

Publié le 23 mars 2016

Discours de Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Intervention de Monsieur Jean-Jacques URVOAS

garde des Sceaux, ministre de la Justice

 

Audition par la Commission des lois sur le Projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature

 

Assemblée nationale – Mercredi 23 mars 2016

Seul le prononcé fait foi

La dernière fois que vous avez débattu de ce texte, c’était le 22 mai 2013 en Commission, puis en séance le 28 mai avant un vote le 4 juin 2013.

Un mois plus tard, le 4 juillet 2013, le Sénat l’adoptait aussi mais dans une  version très substantiellement différente qui conduisait le Gouvernement à suspendre un processus.

Trois ans plus tard, je viens vous proposer d’adopter ce texte sénatorial au nom d’un diagnostic très simple :

-      Cette réforme apparait de bon sens,

-      Elle est nécessaire,

-      Elle est urgente.

Et parce que nous aurons peut-être (si vous le souhaitez) en séance l’occasion de revenir sur la genèse de cette réforme, je voudrais concentrer mon propos de commission sur ces trois éléments.

1 – La réforme est de bon sens

 

Elle constitue l’aboutissement logique d’un processus entamé voici déjà 23 ans.

Institué par la loi du 30 août 1883, le CSM longtemps, demeura étroitement corseté par un pouvoir exécutif qui ne lui concéda jamais des marges de manœuvre supplémentaires qu’avec une extrême circonspection.

En vertu de la Constitution de 1958, ses membres étaient exclusivement nommés par le Président de la République et les avis qu’ils rendaient n’étaient que consultatifs.

Il fallut attendre la révision de 1993 pour que s’enclenche enfin le mouvement d’autonomisation du CSM.

Et 5 ans plus tard, à l’initiative du chef de l’Etat Jacques Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin, une nouvelle réforme du Conseil fut adoptée par les deux chambres.

Hélas, le Congrès, initialement convoqué pour le 24 janvier 2000 ne put se tenir.

Vient ensuite la révision de 2008 qui mis fin la présidence du CSM par le chef de l’Etat et a rendu possible sa saisine par les justiciables.

Ce texte vise à parachever ce travail en renforçant l’autonomie du ministère public et confortant ainsi sa légitimité.

Le texte que je vous propose fait l’objet d’un écrasant consensus :

-      Dans les débats, il y a 3 ans et depuis, très majoritairement, sénateurs et députés, quelle que soit leur sensibilité politique, y sont favorables.

-      Le CSM y est favorable.

-      Les organisations syndicales ainsi que les associations de procureurs généraux et de procureurs de la République y sont favorables.

-      Les parquetiers dans leur ensemble y sont favorables,

-      L’opinion publique enfin, si éprise d’un strict respect de la séparation des pouvoirs, y est favorable.

Qui en France aujourd’hui pourrait légitimement prendre parti contre un projet de loi qui conforte le statut du ministère public en le mettant enfin à l’abri des critiques qui, trop souvent, sont formulées à son encontre ?

 2 - Une réforme nécessaire

Les magistrats du parquet ont été confrontés, ces vingt dernières années, à une profonde mutation de leur métier, se traduisant notamment par une extension très substantielle du périmètre de leurs missions et par un renforcement de leur pouvoir.

Ils sont progressivement devenus « une partie intégrante du jugement », notamment en matière pénale.

Or puisque sur le plan du droit, l’indépendance du ministère public à l’égard du pouvoir politique n’est pas constitutionnellement garantie, cette situation s’avère évidemment très problématique.

L’objectif du présent projet de loi est donc de rapprocher le statut des membres du parquet de celui des magistrats du siège tant en matière de nomination que de discipline.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme nous y incite de manière de plus en plus pressante et, demain, finira immanquablement par nous y contraindre.

Sur le plan interne, le Conseil constitutionnel a institué une limite au-delà de laquelle, dans l’exercice des missions de défense des libertés individuelles, le ministère public doit s’effacer devant les magistrats du siège, jugés plus indépendants et plus impartiaux.

Et la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 2010, a de même reconnu que le parquet ne constituait pas une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’ensemble des positions, émises tant par des juridictions internationales que nationales, convergent donc.

La réforme tendant à consolider l’indépendance statutaire des membres du ministère public est nécessaire et il n’appartient qu’à nous de la réaliser sans tarder.

3 – Une réforme urgente

 

Nul système judiciaire ne peut espérer prospérer s’il n’inspire au citoyen un respect sans tache et une confiance absolue.

Les objectifs poursuivis par le présent projet de loi constitutionnelle visent justement à garantir l’indépendance et l’impartialité de notre justice, afin de la mettre enfin à l’abri des doutes insistants que son mode de fonctionnement actuel, à tort ou à raison, peut générer.

Ce n’est donc pas là une entreprise anodine – elle revêt même pour notre pays une importance tout à fait considérable.

Puisque nous sommes indéfectiblement attachés au  modèle de parquet à la française, c’est cet attachement même qui nous conduit aujourd’hui à vouloir le réformer.

Car s’il n’évolue pas ou si par commodité ou calcul politique l’on décide, une fois encore, de remettre son évolution à plus tard, alors on l’expose de manière inéluctable à des épreuves aux effets incalculables, de nature à menacer jusqu’à l’équilibre de notre dispositif judiciaire dans son intégralité.

Aucun responsable soucieux de l’intérêt général ne saurait s’accommoder d’une telle prise de risque.

4 – Une réforme simple.

Concrètement demain, le CSM n’aura plus pour fonction d’ « assister le Président de la République » comme le proclame l’art. 64 de la Constitution mais de  « concourir » à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Ensuite, l’unité de ce corps se manifestera par l’identité des nominations, des statuts et des disciplines entre les magistrats.

Ainsi pour ce qui est de la question des nominations, les magistrats du parquet pourraient être nommés sur l’avis conforme de la formation du CSM compétente.

Enfin, pour ce qui est de la discipline, la reconnaissance constitutionnelle au CSM de la faculté de statuer sur les poursuites disciplinaires à l’encontre des magistrats du parquet permettra une clarification opportune.

Ce sera une garantie supplémentaire, extrêmement précieuse, quant au respect du principe de séparation des pouvoirs.

Ce texte n’est pas celui déposé par le Gouvernement le 14 mars 2013.

Il n’est pas non plus celui adopté par votre Commission le 28 mai, ni celui voté par l’Assemblée nationale le 4 juin.

Il a été expurgé de nombreuses dispositions dont la mise en œuvre aurait sans conteste contribué au rayonnement d’un CSM résolument conforté dans ses missions.

Néanmoins, ce qu’il en demeure est l’essentiel.


Car une garantie constitutionnelle sera toujours préférable à une bonne pratique dont la pérennisation dépend seulement de la volonté d’un Gouvernement à s’y conformer.

C’est donc parce qu’il est ni décevant par rapport à son ambition initiale, ni superflu dans sa portée, que je vous invite à l’adopter.