[Archives] Congrès national des Tribunaux de Commerce

Publié le 13 décembre 2016

Discours de Jean-jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président de la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF),

Monsieur le Président du tribunal de commerce de Marseille,

Mesdames et Messieurs,

Votre congrès national est un évènement important et je suis donc heureux d’être ici, parmi vous, aujourd’hui.

Les tribunaux de commerce sont précieux, car ils sont la démonstration permanente que le monde du droit et le monde de l’économie ne sont pas antagonistes, mais complémentaires.

L’économie ne peut être laissée aux seules lois du marché.

Elle doit être encadrée et régulée par les règles de droit.

Elle ne peut fonctionner sans un tiers indépendant, arbitre des litiges, qui connaisse aussi bien ces lois que ces règles.

Sans être une partie au contrat ni intervenir dans son économie, il est le garant de l’exercice effectif de la liberté contractuelle, ainsi que du respect et de la réalisation de l’objectif économique poursuivi par les parties.

Et lorsque les entreprises anticipent des difficultés importantes ou qu’elles y sont confrontées, elles doivent pouvoir se placer sous la protection d’une autorité, qui en organisera la prévention ou le traitement.

Cette autorité, c’est le juge consulaire.

Vous êtes une institution multiséculaire, la seule parmi les juridictions, qui ait survécu, presque en l’état, à toutes les variations de l’histoire depuis le XVIème siècle.

Et si vous avez ainsi perduré, c’est bien en raison des indéniables qualités dont vous avez su faire preuve.

Cette compétence a pu vous être contestée.

Je suis élu à Quimper, ville bretonne que le Président de la FNSEA qualifia en août 2012 de « petite bourgade » émettant alors des doutes sur la « capacité du tribunal de commerce » à statuer dans le dossier du volailler Doux.

Il avait jugé « mauvaise » la décision du groupe !

Je crois pour ma part que vous êtes un service public juridictionnel qui a démontré son efficacité certaine.

C’est pourquoi je suis particulièrement heureux d’être présent aujourd’hui à votre congrès.

Je sais aussi, M. le président LELIEVRE, que ce congrès a, pour vous, un goût particulier, puisqu’il marque la fin de de votre mandat à la tête de la Conférence que vous présidez depuis 2013.

Je veux donc saluer votre engagement au service de la juridiction consulaire.

Votre mandat n’a pas été de tout repos, puisque durant 3 ans, les projets de réforme vous concernant se sont multipliés.

Je pense par exemple au projet de loi relatif à la modernisation de la justice du XXIe siècle.

A sa présentation, ce texte avait suscité beaucoup d’inquiétude, voire de l’hostilité.

J’ai en mémoire les craintes que vous aviez exprimées, lors du congrès régional des tribunaux de commerce, qui s’est tenu à Quimper en juin 2014 sur la perspective d’échevinage.

Je pense encore à la réforme portée par Emmanuel MACRON et sa volonté de n’habiliter qu’un nombre limité de tribunaux spécialisés dans les gros dépôts de bilan.

A chaque fois, le débat a eu lieu, des compromis ont parfois été trouvés, et puis, dans d’autres cas, le législateur a décidé.

Ce furent des moments de tension dans vos tribunaux.

Je veux vous dire qu’ils sont derrière nous.

Par tempérament, je suis beaucoup plus porté sur la conciliation (et ce mot a du sens ici) que sur l’affrontement.

De surcroît, je suis extrêmement attaché à la qualité des relations qui doivent exister entre la Conférence et les services de la Chancellerie.

Je souhaite donc que vous puissiez continuer à travailler avec le ministère qui doit être respectueux de vos observations.

Nous allons avoir en effet bien des occasions de nous voir, car si les textes ont été promulgués, il faut maintenant rédiger les décrets d’application.

Ce sera, par exemple, le cas des dispositifs qui organisent dorénavant votre fonction.

A l’image des magistrats, les juges consulaires vont dorénavant bénéficier d’un statut et d’une protection fonctionnelle.

Ou encore des modalités concernant la formation initiale et continue.

Car si ces préoccupations étaient les vôtres depuis longtemps, jusqu’à cette loi, elle n’était prévue par aucun texte national…

Alors qu’il y a des exigences de qualité de la justice et que le contentieux en matière commerciale est de plus en plus technique.

Evidemment, loin d'être le signe d’une suspicion, - comme cela a pu parfois être dit -, l’inscription de cette obligation dans la loi est de nature à renforcer les garanties et asseoir la compétence des juges consulaires.

Je connais vos attentes : elles relèvent du pragmatisme et de la recherche d’efficacité.

Elles touchent au caractère décentralisé de ces formations, car leur proximité est un facteur déterminant.

Elles concernent l’éventuel défraiement, car un déplacement peut entraîner des coûts d’hôtellerie ou de transport…

Naturellement, nous évoquerons toutes ces questions, même si vous connaissez le contexte et la modestie du budget du Ministère.

Même si je me félicite que le Premier Ministre Manuel VALLS ait arbitré pour un projet de loi de finances enregistrant une progression de 9 % par rapport à 2016.

Soit la plus forte hausse budgétaire du quinquennat !   

Nous aurons aussi l’occasion de discuter des modalités du prononcé du « réputé démissionnaire », attaché à l'inexécution de la formation obligatoire.

Ou encore des dispositions réglementaires qui vont préciser :

Ä La possibilité pour les anciens juges consulaires d’être candidats aux élections d’un tribunal de commerce non limitrophe ;

Ä Le ressort dans lequel sont élus les délégués consulaires et l’élargissement du corps électoral aux artisans ;

Ä La mise en œuvre de l’instauration du dépôt obligatoire d’une déclaration d’intérêts ;

Ä La discipline des juges consulaires, afin d’assurer une cohérence avec le projet de décret relatif à la discipline des conseillers prud’hommes.

Toutes ces mesures vont contribuer à renforcer la légitimité et le statut des juges consulaires.

Ø Et donc de les valoriser, dans l’exercice de leur mission, afin de susciter des vocations pour rejoindre vos tribunaux.

Qu’il me soit alors permis de saluer votre investissement au service de la justice.

Monsieur le président, vous avez évoqué la prévention des difficultés des entreprises en indiquant qu’une proposition de directive avait été publiée par la Commission européenne.

Il s’agit de la première proposition législative concernant le droit substantiel de l’insolvabilité.

En effet, jusqu’à présent, l’unique instrument législatif concernant le droit de l’insolvabilité, est le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité.

Le règlement révisé, du 20 mai 2015, entrera en vigueur le 26 juin 2017.

Il est d’effet direct, mais sa mise en œuvre nécessite des adaptations du droit français.

C’est à cette fin que, dans le projet de loi dit « J21 », nous avons obtenu une habilitation à prendre, par voie d’ordonnance, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à son application.

Elles devront par exemple préciser selon quelles modalités nos juridictions pourront communiquer avec des juridictions étrangères.

En effet, le règlement de 2015 crée de nouvelles procédures et impose aux praticiens, de l’insolvabilité, et aux juridictions, de nouvelles obligations.

Ainsi l’interconnexion des registres d’insolvabilité constitue-t-elle une innovation destinée :

Ø D’une part, à éviter l’ouverture de deux procédures à l’encontre du même débiteur dans différents Etats membres,

Ø Et d’autre part, à simplifier l’accès à l’information des créanciers étrangers.

Les Etats membres devront ainsi créer et tenir, sur leur territoire, un ou plusieurs registres dans lesquels sont publiées des informations concernant les procédures d’insolvabilité.

Mais la proposition de directive insolvabilité va encore plus loin, en modifiant le droit substantiel applicable.

Au nom de la libre-circulation des capitaux et de la liberté d’établissement, qui seraient entravées par les différences existant entre les lois nationales sur l’insolvabilité et la seconde chance.

Les objectifs alors poursuivis sont :

Ø La prévention de l’insolvabilité par la restructuration précoce,

Ø L’octroi d’une seconde chance aux entrepreneurs honnêtes,

Ø Et une meilleure efficacité des procédures d’insolvabilité.

Si l’on peut partager ces objectifs, je compte néanmoins me montrer très attentif à ce que les textes proposés respectent certaines considérations essentielles, qui sont au cœur du modèle français.

Je citerai principalement deux points d’attention.

Ä La proposition tend à réduire le rôle du tribunal et des praticiens de l’insolvabilité

Leur intervention est centrale dans le droit français.

Elle garantit l’équilibre de la procédure entre débiteur et créanciers et protège l’ordre public économique.

Ä Les mesures relatives à l’adoption des plans de restructuration, très précises, qui reflètent une orientation très favorable aux créanciers.

Or, pour sa part, le droit français recherche un équilibre, délicat, entre trois considérations fondamentales : la poursuite de l’activité, la préservation de l’emploi, et les droits des créanciers.

Cet équilibre n’est d’ailleurs pas forcément le même, selon le stade de la procédure.

Mais à aucun moment, l’une de ces considérations ne doit être sacrifiée au profit des autres, ni inversement, l’emporter absolument sur les autres.

Enfin, puisque vous l’avez citée, je ne peux manquer d’évoquer une réforme majeure que le ministère de la justice a réalisée.

Je parle évidemment de l’ordonnance du 10 février 2016 qui rénove et modernise notre droit des contrats, du régime et de la preuve des obligations.

Avec elle, les innombrables contrats conclus chaque jour : entre professionnels, entre professionnels et particuliers ou entre les particuliers eux-mêmes, sont soumis à des règles adaptées à notre temps et accessibles à tous.

Même s’il a résisté à l’épreuve du temps, grâce à la jurisprudence qui lui a permis d’évoluer durant deux siècles, ce pan de notre droit civil avait vieilli.

En outre, il était largement en-dehors du code civil, puisque façonné par la jurisprudence.

Si bien que, pour le maîtriser, il fallait non seulement connaître les règles inscrites dans le code civil, mais également la jurisprudence des 2 derniers siècles.

Un tel éparpillement était source d’incertitude, et comme le disait CAMBACERES, référence précieuse quand on est garde des Sceaux, « dans l’ordre civil, comme dans l’ordre politique, l’incertitude est un fléau ».

Désormais, tout est codifié.

Les dispositions ont été rédigées, selon un plan chronologique ; une façon de mieux appréhender les étapes de la vie du contrat, de sa formation à son exécution.

On y trouvera ainsi des dispositions permettant de réduire les incertitudes, qui peuvent survenir dans la vie d’un contrat.

Par exemple, l’ordonnance instaure des actions dites interrogatoires.

Elles permettront à un contractant d’interpeller son partenaire afin qu’il ne fasse pas planer, indéfiniment la menace d’annulation du contrat à raison d’un vice intervenu lors de sa formation.

De même, pour éviter un recours trop systématique au contentieux, nous avons introduit dans la loi la possibilité de mettre fin unilatéralement à un contrat inexécuté, ou d’accepter une prestation imparfaitement exécutée en échange d’une réduction du prix.

Sont également consacrés et précisés divers mécanismes juridiques issus de la pratique, telles que la cession de contrat ou la cession de dette, qui permettront de faciliter la transmission d’actifs, ou l’obtention de financements.

L’ordonnance permet aussi de mieux protéger les parties les plus faibles d’un contrat :

Ä L’abus de l’état de dépendance d’une partie (particulier ou entreprise) par l’autre devient une cause de nullité relative du contrat.

Ä Est introduit dans le code civil un dispositif de lutte contre les clauses abusives dans les contrats d’adhésion (contrats, dont les clauses sont fixées par l’une des parties, sans discussion, comme pour la téléphonie ou l’électricité)

Ä L’ordonnance ouvre dans les contrats de droit privé une possibilité raisonnée d’adapter un contrat que des bouleversements imprévisibles rendraient économiquement intenable pour l’une des parties.

Ainsi l’ordonnance adapte le droit à la modernité, en renforçant le principe selon lequel une copie fiable, en particulier lorsqu’elle est réalisée sur support électronique, a la même force probante que l’original.

L’archivage électronique, qui est un enjeu de plus en plus conséquent pour les entreprises, s’en trouvera facilité.

L’entreprise, qui souhaite procéder à la numérisation de ses archives ou ne plus établir ses dossiers futurs que sous forme électronique native, sera assurée, en cas de litige, de la force probante des copies numériques réalisées ou des documents numériques natifs, dès lors que leur fiabilité est démontrée.

Enfin, convaincus qu’un droit plus accessible et plus sûr est un droit plus attractif, nous espérons qu’en matière internationale - où il est permis de choisir la loi applicable aux contrats -  les contractants opteront dorénavant plus facilement pour la législation française au moins aussi protectrice et efficace que d’autres systèmes de droit.

Mesdames et Messieurs,

La justice n’est pas l’ennemi de l’entreprise car ces dernières ne peuvent exister sans droit.

A ce titre, les juridictions commerciales sont au carrefour d’enjeux essentiels pour l’avenir de notre pays.

En protégeant la liberté d’entreprendre, vous garantissez le dynamisme de notre tissu économique.

En accompagnant les entreprises en difficultés, vous préservez la solidité de notre tissu social.

La régulation juridique de notre économique se construira donc avec vous, avec vos valeurs, avec votre expérience.

Je vous remercie de votre investissement.

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