Colloque « L’équilibre des peines : de la prison à la probation »
Publié le 13 mai 2019
Discours de Madame Nicole Belloubet, Garde des Sceaux
Madame la présidente de la commission des lois,
Mesdames et Messieurs les Chefs de juridiction,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
Madame la Contrôleure général des lieux de privation de liberté,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur de l’administration pénitentiaire,
Monsieur le Directeur Inter-régional,
Mesdames et Messieurs,
Madame la Directrice, Chère Hélène Cazaux-Charles,
Je voulais vous remercier pour avoir organisé ce colloque et m’avoir invitée afin d’en ouvrir les débats. Compte tenu de la qualité des intervenants, je suis certaine que les échanges seront passionnants et passionnés.
Permettez-moi, dans un premier temps, d’en situer le cadre, de façon très générale.
Nos gouvernements modernes placent la justice au cœur de l’œuvre de citoyenneté. Au-dessus de toutes les idées qui naissent et s’enfuient, il y a en effet dans nos sociétés un principe immuable, celui de justice.
C’est par la justice que vivent les Républiques, c’est pour elle qu’a été conçu le contrat social, c’est par elle que s’est forgé l’esprit républicain. C’est la justice qui fait qu’un corps social ne se délite pas, chacun ayant le sentiment qu’il est justement traité dans le cadre des lois qui le gouvernent. C’est elle qui nous permet de vivre ensemble. La justice doit être un horizon pour tous les citoyens. Ils doivent la craindre lorsqu’ils ont commis des actes répréhensibles et avoir confiance en elle quand ils réclament le respect de leurs droits.
Au-delà des principes, la justice s’incarne dans une réalité concrète. Elle est de fait une activité régalienne de la puissance publique, rendue au nom du peuple français. L’acte de juger permet de dire le droit, ce droit qui s’impose aux justiciables, sans leur consentement, c’est l’imperium des décisions de justice.
L’exercice de juger devient alors une tâche infiniment délicate, parfois écrasante, ingrate, unique en tout cas, si on compare la justice aux autres services publics, aux autres institutions de la République. Parce qu’elle entre dans les familles, bouleverse des parcours individuels, la justice a souvent entre ses mains le destin de vies entières. Son autorité ne peut s’exercer sans humanité.
Ainsi, une des missions régaliennes qui est confiée à mon ministère tend à protéger nos concitoyens en sachant punir celles et ceux qui ont commis des actes répréhensibles. Dès lors, penser le sens de la peine, sa proportionnalité, son effectivité, sa finalité , notamment en terme de réinsertion, c’est concourir à la protection de la société.
Pour ce faire, tout en n’ignorant rien de la relativité de la notion de peine, il nous appartient de répondre aux défis pluriels que pose notre système pénal.
I. La juste peine est donc une notion relative et évolutive
Le seul invariant de la problématique des peines nous est peut-être rappelé par Emmanuel Kant : « D’un bois si tord de celui dont sont faits les hommes, l’on ne tirera jamais rien de bien droit » [1].
Je ne suis pas certaine de partager cette appréciation mais je suis certaine en revanche que décider de la juste peine est assurément complexe. Ce n’est pas une question morale mais davantage d’acceptabilité sociale et donc, d’efficacité du dispositif de sanction. Ainsi, ce qui apparaissait juste hier, au sens de proportionné, pourra ne plus être compris demain.
Pour autant, au fil des âges, les réponses à apporter à ceux qui sont « ingouvernables », dont les actes mettent en danger leurs concitoyens, la société tout entière ou sa cohésion, ont varié. Un temps durant, l’éloignement auquel se sont ajoutés les travaux forcés, dans le double but de favoriser la rédemption des criminels et de contribuer au développement des colonies, sont apparus comme la solution. Cette époque révolue est pourtant si proche encore… Les bagnes coloniaux français ont été abolis en 1938, marquant ainsi la fin de la transportation. Ils ont été définitivement fermés en 1945. Les derniers prisonniers, sur lesquels pesait la double peine de relégation leur interdisant de rejoindre la métropole pendant une durée équivalente à leur condamnation aux travaux forcés, ont été libérés en 1953.
Plus près de nous encore, il y a moins de 40 ans, était abolie la peine de mort qui, purement et simplement, pour les auteurs des crimes considérés comme les plus graves, niait toute possibilité d’amendement.
La probation, que l’intitulé même de ce colloque semble poser comme l’évolution ultime du système de sanction, est récente dans notre pays. Rappelons comment Michel Foucault, au travers de son ouvrage majeur, « Surveiller et punir [2]», décrit « l’entreprise d’orthopédie sociale » que constitue la prison. Les murs, les portes et les verrous, le processus de constitution des « outils d’incarcération » traduisent l’appréhension sociale de l’enfermement, au fil des siècles. Depuis longtemps la société a donc pensé et mis en œuvre l’emprisonnement.
Il aura en revanche fallu attendre après la fin de la seconde guerre mondiale, la réforme pénitentiaire portée par Paul Amor, emblématique Directeur de l’Administration Pénitentiaire, pour faire évoluer les objectifs et placer l’amendement et le reclassement social du condamné au centre de la peine privative de liberté. C’est également la réforme « Amor » qui initia en France la prise en charge des condamnés en milieu ouvert, comme nouveau champ de l’exécution des peines.
La réforme du code de procédure pénale de 1958 consacre l’instauration du juge de l’application des peines, le sursis avec mise à l’épreuve, les comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL) et nombre de mesures d’aménagement de peine tels que la semi-liberté ou les permissions de sortir.
30 ans plus tard, la loi relative au service public pénitentiaire du 22 juin 1987 énonce, dans son article premier, les missions de ce service public. Celui-ci « participe à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. Il est organisé de manière à assurer l’individualisation des peines. »
Le corps des conseiller d’insertion et de probation naîtra en 1995 seulement et il faudra attendre 1999 pour que soient créés les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) à périmètre départemental avec à leur tête un corps de direction.
La loi Taubira de 2014 avancera encore d’un cran en créant la contrainte pénale comme peine autonome mais pourtant toujours référencée à l’emprisonnement puisque le non-respect des obligations édictées y était sanctionné par l’incarcération. L’absence de succès, en pratique, de la contrainte pénale m’a fortement questionnée et a en partie guidé la réforme du dispositif de sanction que j’ai récemment portée avec le sursis probatoire.
Ce panorama tout aussi rapide qu’incomplet suffit à nous convaincre que la réflexion sur l’équilibre des peines ne date pas d’hier. D’Alembert, dans son Analyse de l’Esprit des Lois (1755) écrivait que : « Les peines doivent non seulement être en proportion avec le crime, mais encore les plus douces qu’il est possible, surtout dans la démocratie : l’opinion attachée aux peines fera souvent plus d’effet que leur grandeur même. »
L’idée que l’on se fait de la peine, son effectivité, son sens, sa rigueur, tout cela est sans doute plus important pour le citoyen que la sévérité de la peine en elle-même.
Nous ne devons pas perdre de vue qu’une nation est jugée par ses peines. Et lorsque je dis « peine », il s’agit avant tout de la bonne application et de la bonne compréhension, à la fois par son auteur et par la victime, de ce qu’est cette peine.
Ne pas conduire, à terme régulier, cette réflexion sur la peine, c’est prendre le risque d’une mauvaise lisibilité des peines. Il en découle alors des conséquences pratiques cruciales comme la récidive et, partant de là, une probabilité importante de surpopulation carcérale. Sans doute avez-vous reconnu là les maux dont nous souffrons aujourd’hui et qui m’ont conduit à vouloir refonder la politique des peines.
II. Le système pénal français doit aujourd’hui relever un triple défi nécessaire à son bon fonctionnement
« De fait, savoir est une chose, voir en est une autre. La réalité nous est apparue dans toute sa dureté, dans tous ses dangers aussi puisque de ces cellules surpeuplées, de ces journées et de ces années sans suffisamment de prise en charge ou d’occupation, il résulte, évidemment, non seulement des atteintes aux droits mais aussi, bien sûr, un risque plus élevé de récidive [3] ».
Sont ici clairement énoncés, dans un rapport sur les prisons remis à la commission des lois de l’Assemblée Nationale en mars 2018, les 3 défis auxquels nous sommes confrontés : la surpopulation carcérale, la lutte contre la récidive et donc, à l’origine de ces maux, le sens de la peine.
1) Premier défi : la perte d’équilibre et de sens de la peine
Au chapitre De l’Esprit des Lois consacré à « La puissance des peines », Montesquieu s’interroge sur les raisons de l’inefficacité des peines prononcées : « Qu’on examine la cause de tous les relâchements ; on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes, et non pas de la modération des peines. »
C’est encore vrai aujourd’hui ! Les peines n’ont pas besoin d’être systématiquement lourdes ou assorties d’une période de détention. Elles ont en revanche besoin d’être appliquées efficacement et de manière compréhensible, sinon elles discréditent la justice.
Les difficultés d’exécution et de mise en application génèrent autant d’incompréhension dans la société que d’insatisfaction chez les victimes. Or, aujourd’hui, notre système pénal fonctionne mal parce que l’écart entre la peine prononcée et la peine appliquée est devenu difficilement compréhensible. Combien de fois prononce-t-on une peine de prison ferme, tout en sachant qu’elle va faire l’objet d’un aménagement ab initio et ne sera donc pas mise en œuvre ?
Cette logique a aussi fait prospérer le prononcé systématique de courtes peines d’emprisonnement, qui deviennent des décisions qui n’engagent à rien. Dans bien des cas, la détention reste la solution qui contente symboliquement le plus de monde, ce qui évite de s’interroger sur son sens et sur sa pertinence. La conséquence inévitable est là : l’emprisonnement ne cesse d’augmenter et les prisons sont surpeuplées !
2) Le second défi à relever est bien celui de la surpopulation carcérale
Aujourd’hui l’administration pénitentiaire prend en charge plus de 70 000 détenus contre 48 000 en 2001. Le taux d’occupation des maisons d’arrêt est de 142 % en moyenne, et atteint les 200 % dans certaines d’entre elles.
Nos prisons surpeuplées deviennent des lieux où la violence s’exerce à la fois contre les surveillants et entre les détenus.
En partie à cause de la surpopulation carcérale, la prison n’offre pas assez de processus de réinsertion et n’empêche pas dès lors pas la récidive.
3) Et c’est là le troisième défi : lutter contre la récidive
Si la peine doit d’abord punir efficacement, elle doit ensuite corriger, au sens de redonner les savoir-être et savoir-faire permettant de réinsérer les détenus dans la société. Lorsque les populations carcérales sont privées de perspective, ne comprennent plus la finalité de leur régime d’emprisonnement ni ne supportent les conditions de leur détention, alors la voie de la réinsertion est obstruée.
Tocqueville disait de la prison qu’elle était « le noviciat de la récidive ». La récidive et la réitération atteignent 41 %, crimes et délits confondus. Ce chiffre est porté à 63% parmi les sortants de prison sans aménagement de peine. Il est impératif que ces chiffres baissent, car la prison que nous voulons bâtir doit prévenir la récidive, pas en semer les germes.
Mesdames et Messieurs, je tenais en premier lieu à détailler cette réalité et ces constats. Ils rappellent les défis que nous avons à relever et soulignent toute l’importance de l’action lancée par le Président de la République et le Gouvernement.
III. La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice entend répondre à ces défis.
Les enjeux sont immenses. Je ne prétendrai jamais que me prédécesseurs n’ont pas tenté d’y répondre avec une réelle volonté. Je dis simplement que je dispose avec la loi qui vient d’être promulguée d’un outil puissant et, à mes côtés, d’une équipe tendue vers la réalisation de cet objectif.
1) Tout d’abord, cette loi veut redonner du sens à la peine
Elle introduit en conséquence une nouvelle échelle des peines en matière correctionnelle. Sa logique est simple. Nous souhaitons remplacer les courtes peines de prison, désocialisantes et vecteurs de récidive, par des peines autonomes plus efficaces. Mais, quand un tribunal décide qu’une personne doit aller en prison, nous souhaitons qu’elle y aille effectivement. C’est une question de certitude pour les victimes et de crédibilité pour les délinquants.
Cherchant à sortir du systématisme de l’incarcération, particulièrement pour les courtes peines, le nouveau dispositif est construit de la manière suivante :
- les peines d’emprisonnement ferme de moins d’un mois sont proscrites ;
- entre un et six mois, la juridiction devra prononcer, par principe, une peine autre que l’emprisonnement ;
- entre 6 mois et un an, c’est le tribunal correctionnel qui prononcera directement la peine ;
- Au-delà d’un an, une peine d’emprisonnement prononcée devra être effectivement exécutée.
Ces changements représentent une évolution profonde. Pour permettre d’en assurer la préparation et d’adapter les outils informatiques, ces nouvelles dispositions ne seront applicables qu’à partir de mars 2020. Elles supposent que le tribunal puisse améliorer la connaissance qu’il possède du prévenu afin de prononcer la peine la plus adaptée aux infractions commises, en lien avec la personnalité des auteurs. Il faudra donc que le parquet et la formation de jugement puissent bénéficier d’éléments concrets pour déterminer la possibilité de prononcer telle ou telle peine.
Nous avons déjà commencé à œuvrer en ce sens par exemple, en mettant à disposition des juges correctionnels une application numérique donnent toutes les caractéristiques des TIG disponibles à un instant T dans le ressort du tribunal. Nous préparons par ailleurs différents autres outils qui seront également proposés aux magistrats.
La mise en œuvre de cette nouvelle échelle des peines contribuera, je le crois, à lutter contre la surpopulation carcérale.
2) La surpopulation carcérale est le deuxième enjeu auquel entend répondre la loi du 23 mars 2019
Pour cela, la nouvelle politique des peines est accompagnée d’une stratégie immobilière ambitieuse. D’ici 2022, 7 000 nouvelles places de prison seront livrées et 8 000 autres lancées.
L’objectif n’est pas seulement capacitaire. Il nous faut disposer d’un parc favorisant la mise en œuvre de parcours de peine différenciés et adaptés. Nous pourrons ainsi, je l’espère, répondre à la légitime question posée par Madame la Présidente de la commission des lois dans le rapport précité sur les prisons : « Pourquoi, à la différence d’autres pays, la France n’est-elle pas davantage parvenue à se doter d’établissements pénitentiaires différenciés, incluant des établissements à sécurité allégée destinés à accueillir certaines personnes condamnées en vue de préparer leur réinsertion mais aussi, car ils sont également nécessaires, des établissements à « haute sécurité » réservés aux détenus les plus dangereux ? [4] »
Nous mettons la dernière main à une typologie de nos établissements au sein desquels des quartiers différenciés amélioreront la prise en charge des détenus selon un régime adapté :
- les règles d’affectation des détenus présentant un risque particulier permettent désormais de les placer dans les établissements les plus sécurisés, indépendamment de leur statut pénal de prévenu ou de condamné ;
- des quartiers dits « de confiance », où les conditions de détention sont assouplies, où des activités sont obligatoires et où les déplacements sont moins contraints, se développent dans les centres pénitentiaires ;
- nous avons aussi besoin de structures d’un type nouveau, accueillant les courtes peines ou les détenus durant l’année précédant leur sortie. C’est pourquoi nous créerons 2 000 places dans des Structures d’Accompagnement vers la Sortie. Ces structures, où l’autonomisation et la formation professionnelle sont encouragées, préparent activement le passage du dedans vers le dehors en faisant appel à des intervenants extérieurs.
Afin de lutter contre la surpopulation carcérale, il est par ailleurs nécessaire de promouvoir une forme de régulation carcérale. Cela se fera de la manière suivante :
- tout d’abord en favorisant des sorties anticipées, lorsque cela est possible. La loi de réforme de la justice modifie les dispositions relatives à la libération sous contrainte pour qu’elle puisse être plus facilement et plus fréquemment prononcée. Cela permettra d’éviter les sorties sèches et contribuera à la prévention de la récidive. Ces dispositions seront applicables dans quelques jours, à compter du 1er juin 2019 ;
- ensuite, en évitant la détention ab initio. Aujourd’hui, près de 30 % des détenus sont en détention provisoire. Il faut absolument faire baisser ce chiffre. Quelques dispositions prévues par la loi y contribueront mais SPIP et juridictions doivent surtout se mobiliser afin de développer l’assignation à résidence sous surveillance électronique au moment du renouvellement de la détention provisoire ;
- je souhaite enfin, qu’en appui à ces mesures législatives, le processus de régulation carcérale conduise à dynamiser les commissions d’exécution et d’application des peines. J’ai voulu, dans un premier temps, que nous concentrions nos efforts sur des territoires à forts enjeux en matière pénitentiaire. J’ai donc demandé à la directrice des affaires criminelles et des grâces et au directeur de l’administration pénitentiaire d’accompagner particulièrement une dizaine de sites où des établissements pénitentiaires connaissent une forte surpopulation.
Sur ces sites, nous devons disposer, et partager, une vision claire de la population détenue : connaître le nombre de peines, notamment de courtes peines, prononcées par le tribunal ; le nombre de détenus éligibles à la libération sous contrainte ; de prévenus susceptibles de bénéficier d’une assignation à résidence sous bracelet électronique... Cette photographie, je veux que les acteurs locaux puissent en bénéficier facilement et que magistrats et personnels de l’administration pénitentiaire la partagent pleinement. En parallèle, une analyse fine des entrées en détention sera conduite.
Adapter et diversifier les régimes de détention résulte d’une volonté et d’une démarche ambitieuse : en améliorant l’individualisation de la peine, en réduisant la surpopulation dans les établissements et en favorisant des parcours d’exécution des peines nous pourrons alors limiter la récidive…
3) Et c’est le troisième défi : lutter contre la récidive à condition de conduire un travail opiniâtre sur les facteurs de réinsertion
Que la peine soit proportionnée, mieux comprise et donc mieux acceptée n’est pas suffisant ! Elle doit être accompagnée par un véritable travail d’insertion ou de réinsertion, particulièrement lorsqu’elle prend la forme d’une privation de liberté.
Les détenus, s’ils sont empêchés d’aller et de venir, ne sont pas privés de tous leurs autres droits et ils ont surtout vocation, dans un futur plus ou moins proche, à réintégrer pleinement la vie dans la société.
Afin d’anticiper la réinsertion, nous devons maintenir le lien des détenus avec la société. Je citerai deux apports de la loi de réforme de la justice à ce sujet :
- tout d’abord, la facilitation de l’exercice des droits civiques. En étendant l’exercice effectif du droit de vote par les détenus, nous donnons corps au principe de dignité qui sous-tend tout processus de réinsertion. Mis en œuvre pour les prochaines élections européennes, un dispositif de vote par correspondance devrait accroître sensiblement la part des personnes détenues prenant part à ce moment fort de notre vie démocratique. Plus de 5000 détenus se sont inscrits contre 800 qui ont effectivement voté lors des dernières présidentielles ;
- ensuite, l’activité, le travail et la formation durant la détention sont incontournables pour la réinsertion. La prison ne doit pas être un lieu d’oisiveté où les détenus sont cantonnés à attendre la fin de leur peine. « Le travail en prison et la formation professionnelle ne sont pas assez développés et restent considérés comme une occupation davantage que comme un outil d’insertion professionnelle [5]». Avec les régions, nous allons tout mettre en œuvre pour favoriser la formation et le retour au travail. Je souhaite par ailleurs construire des prisons expérimentales centrées sur la réinsertion par le travail. Comme l’a souligné l’Institut Montaigne [6], la procédure d’affectation d’un détenu dans un établissement pénitentiaire pourra ainsi prendre en compte la perspective d’insertion professionnelle. Ce projet de prison très singulier, assurant une fluidité du passage entre le dedans et el dehors, fluidité axée sur le travail, est en cours de finalisation avec des partenaires extérieurs.
Afin de favoriser la réinsertion et d’éviter la récidive des personnes placées sous-main de justice, il est nécessaire de penser, plus encore que cela n’a été fait jusqu’alors, la peine hors de la prison.
Le principe posé dans la loi d’une sanction autre que l’enfermement pour les peines de moins de 6 mois est essentiel. La détention domiciliaire sous surveillance électronique devient une peine autonome ; le sursis probatoire intègre dans l’ancien SME la « boîte à outils » de la contrainte pénale ; le placement extérieur et le TIG doivent être développés.
La loi nouvelle prévoit à cet effet des dispositions, comme une possibilité de conventionnement pour soutenir les structures d’accueil. Elle élargit le recours au TIG, peine efficace contre la récidive mais qui n’est prononcée que dans 6% des cas.
Dans cette perspective, j’ai créé en décembre dernier, une agence et une plateforme numérique dédiée au TIG. Elles permettront de mettre en relation les entreprises, les collectivités territoriales et le monde associatif afin de proposer de manière dynamique des postes de TIG et de les porter, plus aisément, à la connaissance des magistrats qui pourront les prononcer en confiance.
Conclusion
Mesdames et Messieurs, la réforme que nous mettons en place crée un nouvel équilibre des peines. Cet équilibre, vecteur d’une plus grande lisibilité et d’une meilleure exécution, contribuera, c’est mon objectif, à réduire la surpopulation carcérale et à favoriser la réinsertion.
La peine équilibrée, c’est celle qui est acceptée car elle est comprise et qui favorise la réinsertion.
Aussi utile soit la loi que j’ai portée, ce résultat ne peut être atteint que par une coopération puissante d’un ensemble d’acteurs permettant aux formations de jugement, utilement éclairées sur la nature et la gravité des faits, sur l’auteur et la situation dans laquelle il se trouve, de prononcer des peines les plus individualisées et à l’administration pénitentiaire de jouer pleinement son rôle d’insertion.
D’Alembert, que je citais en introduction, s’agissant de l’équilibre des peines, conclut de la manière suivante son Analyse de l’esprit des lois: « C’est principalement par la nature et la proportion des peines, que la liberté s’établit, ou se détruit. »
Chacun de vous, qu’il s’agisse des intervenants qui vont se succéder ou de l’auditoire, devez toujours avoir à l’esprit que, lorsqu’on évoque l’équilibre des peines, c’est in fine de la liberté elle-même dont il s’agit! En ce sens, c’est une responsabilité considérable que nous assumons collectivement.
Soyez surs que je serai très attentive à vos travaux et à vos conclusions.
Je vous remercie.
[1] Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique - 1784
[2] Paru en 1975 Gallimard
[3] Les conclusions des groupes de travail sur la détention ont été présentées à la commission des Lois lors de sa deuxième réunion du mercredi 21 mars 2018.
[4] Les conclusions des groupes de travail sur la détention ont été présentées à la commission des Lois lors de sa deuxième réunion du mercredi 21 mars 2018.
[5] Les conclusions des groupes de travail sur la détention ont été présentées à la commission des Lois lors de sa deuxième réunion du mercredi 21 mars 2018.
[6] Institut Montaigne, Travail en prison, Préparer vraiment l’après. Février 2018