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Justice des mineurs : l’historienne qui fait parler les archives
Publié le 22 septembre 2020 - Mis à jour le 02 mars 2023
Ils sont 12 adolescents placés par des juges dans des centres d’observation de l’Éducation surveillée à la sortie de la guerre.
Dans « La parole est aux accusés », Véronique Blanchard et Mathias Gardet, deux historiens spécialistes de la justice des mineurs, ont épluché minutieusement leurs dossiers judiciaires, composés d’écrits, de dessins et de commentaires de l’institution. Interview de l’auteure sur ce « parole contre parole ».
Quels objectifs recherchiez-vous en écrivant « La parole est aux accusés ? »
L’idée était à la fois de valoriser des archives inédites, extraordinaires sur la justice des enfants – des dossiers judiciaires issus de deux centres d’observation de Savigny-sur-Orge et Chevilly-Larue – qui datent des années 1950 et de confronter les mots de jeunes justiciables avec ceux des experts : psychologues, policiers, médecins, assistants sociaux, éducateurs… Le décalage est flagrant.
Que racontent chacune des deux « parties » ?
Les jeunes sont surveillés mais ne sont pas du tout entendus. Leurs propos sont déformés par les professionnels qui accumulent les préjugés de classe, sexistes, racistes, et les avis pessimistes sur leur avenir. Par exemple, un adolescent déclare vouloir devenir peintre décorateur et fonder une famille. Le rapport de l’éducateur mentionne un travail qui manque de créativité, indique que ce jeune « restera inadapté, irrécupérable ».
Pourquoi ces 12 adolescents étaient-ils en observation ?
Certains ont commis des vols, plus ou moins importants, comme le cambriolage du restaurant La Tour d’argent. D’autres ont fugué, ont été abandonnés ou sont là par « correction paternelle ». Certaines filles voulaient juste se marier. Des jeunes ont revendiqué leur homosexualité. Le jugement est parfois incompréhensible, dénué de logique. Par exemple, un jeune est relâché après des actes de délinquance alors qu’une autre est placée en observation par le juge bien qu’émancipée.
Que cela révèle-t-il de l’époque ?
Dans les années 50, on est à un moment de l’histoire où l’on souhaite protéger, accompagner, éduquer les mineurs, selon la philosophie de l’Ordonnance de 1945, le texte fondateur de la justice des mineurs. Or, quand on consulte ces dossiers, on se rend compte que les professionnels de l’époque n’arrivent pas encore à coller à cette politique.
« La parole est aux accusés – Histoire d’une jeunesse sous surveillance, 1950-1960 », Véronique Blanchard et Mathias Gardet, éditions Textuel, 192 pages, 35 €. Sortie le 23 septembre 2020.