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La politique pénale de lutte contre les violences conjugales
Publié le 30 septembre 2020 - Mis à jour le 01 mars 2023
« La fermeté de la réponse est de mise et le défèrement des auteurs de violence doit être privilégié »
Marine Chollet est magistrate en administration centrale de la justice, en poste au bureau de la politique pénale générale à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, en charge des violences conjugales. Dans cette interview, elle revient sur les outils mis à disposition des juridictions, les principales orientations de politique pénale et les mesures sur lesquelles travaille le ministère de la justice afin de lutter toujours plus efficacement contre les violences conjugales.
Quels outils sont mis à disposition des juridictions afin de les inciter à développer une politique de lutte efficace contre les violences conjugales ?
Marine Chollet (MC) : La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice diffuse des circulaires de politique pénale qui précisent aux procureurs quelles sont les réponses pénales attendues en matière de violences au sein du couple. Il s'agit, par exemple, pour assurer la protection des victimes, du défèrement des mis en cause et de la mise en œuvre d'un contrôle judiciaire avec mesure d’éviction du domicile conjugal.
Des fiches pratiques sont également mises à disposition des magistrats afin de préciser le cadre juridique d’une mesure comme, par exemple, le téléphone grave danger qui peut désormais être prononcé sans interdiction judiciaire de contact, si l’urgence le justifie. Ces fiches pratiques visent également, parfois, à inciter au prononcé d'une mesure.
Différents guides sont aussi disponibles sur le site intranet du ministère de la justice afin de permettre aux magistrats de trouver dans un document unique l’ensemble des textes applicables, les instructions d’enquête, les mesures de protection applicables en cette matière. Il s'agit notamment des guides du traitement juridictionnel des violences conjugales et du guide de l’ordonnance de protection.
Depuis l’an dernier, les conventions des parquets sont également diffusées en ligne afin de mutualiser les bonnes pratiques locales. Elles sont notamment identifiées grâce à l’exploitation annuelle des rapports du ministère public ou communiquées spontanément par les juridictions.
Enfin, des outils de formation sont également disponibles en ligne et permettent aux magistrats d’avoir accès à des vidéos d’experts sur les phénomènes d’emprise, de psychotrauma ou le cycle de la violence et de parfaire leur formation en la matière.
Quelles sont les principales orientations du ministère de la justice en matière de lutte contre les violences conjugales ?
(MC) : La circulaire du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement judiciaire des violences conjugales et à la protection des victimes a opéré un changement de paradigme en faisant de la victime le cœur de l’action judiciaire, au pénal comme au civil. Ce texte vise à instaurer une véritable culture de la protection auprès de l’ensemble des magistrats, qu’ils soient en charge des poursuites, des audiences correctionnelles, des affaires familiales, de la protection de l’enfance ou de l’application des peines.
Il s'agit de s’assurer que :
- les informations circulent entre tous les professionnels concernés,
- les mesures de protection (ordonnances de protection, téléphone grave danger, et bientôt bracelet électronique anti-rapprochement) sont exploitées de manière optimale
- les auteurs de violences conjugales bénéficient d’un suivi renforcé, par des professionnels formés, dès le stade des poursuites.
Enfin, s’agissant des orientations pénales, la fermeté de la réponse est de mise et le défèrement des auteurs de violence doit être privilégié pour permettre un placement sous contrôle judiciaire et l’éviction du domicile conjugal. Chaque fois que cela est opportun, la victime peut se voir proposer un téléphone grave danger avec lequel elle peut donner l’alerte en cas de danger.
Quelle a été l’action du ministère de la justice à l’égard des violences conjugales pendant le confinement ?
(MC) : Dès le 25 mars 2020, une circulaire a été diffusée pour faire des violences conjugales un contentieux prioritaire dans le cadre des plans de continuation d’activité des juridictions. Cela signifie que malgré le bouleversement qu’a entraîné la crise sanitaire dans le fonctionnement des tribunaux, les affaires de violences conjugales ont continué d’être traitées en urgence, tant à la permanence pour les gardes à vue et dans le cadre des audiences correctionnelles, que pour les audiences d’ordonnance de protection qui ont été maintenues.
Il était en effet crucial que, face à une situation inédite de confinement général de la population qui plaçait les victimes de violences intrafamiliales dans une situation de huis-clos avec leur agresseur, des solutions exceptionnelles soient apportées en urgence.
Une plateforme nationale d’éviction des auteurs de violences conjugales a ainsi été créée avec le secrétariat d’Etat chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes. Elle a permis dès le 6 avril, de répondre aux besoins des parquets en offrant des places d’hébergement d’urgence pour les conjoints évincés du domicile par décision judiciaire.
Sur la période s'étendant de mi-mars à fin mai 2020, on observe que 68% des jugements rendus en la matière ont concerné des faits commis au cours de la période du confinement. La majorité (74%) a été jugée en comparution immédiate. Cela démontre, outre une priorité donnée à ce contentieux, une mobilisation exceptionnelle des magistrats en juridiction pendant cette période de crise.
Le ministère de la justice a également continué à œuvrer pour la mise en œuvre des mesures issues du Grenelle des violences conjugales : ainsi, les travaux communs avec le Conseil national de l’ordre des médecins ont permis de parvenir à un consensus sur les conditions de levée du secret médical pour permettre aux professionnels de santé de signaler la situation de danger immédiat d’une victime de violences conjugales, même sans son accord. Cela nécessite bien sûr un accompagnement des professionnels via la formation et des outils de signalement adaptés.
La loi du 30 juillet 2020 marque aussi une étape importante dans le processus post-Grenelle puisqu’elle a permis d’inscrire dans le code pénal de nouvelles mesures phares : retrait par le juge pénal de l’exercice de l’autorité parentale du parent violent dès le stade des poursuites, incrimination de la circonstance aggravante de suicide en cas de harcèlement par le conjoint, prohibition des permis de visite en détention pour les auteurs de violences conjugales...
Quelles sont les prochaines mesures auxquelles travaille le ministère de la justice dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales ?
(MC) : Le bracelet électronique anti-rapprochement doit être déployé dès septembre 2020 en juridiction. Il permettra de renforcer la protection des victimes de violences en générant une alerte quand le porteur du bracelet s’introduira dans la zone déterminée par le juge, et ce, grâce à une double géolocalisation.
L’ensemble du ministère est mobilisé pour fournir à nos collègues sur le terrain les outils juridiques et pratiques permettant de s’approprier ce dispositif innovant et d’améliorer la synergie des services. En effet, le bracelet anti-rapprochement peut être prononcé dans des hypothèses très différentes (ordonnance de protection, contrôle judiciaire, assignation à résidence sous surveillance électronique, sursis probatoire, aménagement de peine), ce qui nécessite un accompagnement de l’ensemble des professionnels, qui se matérialisera par des déplacements de terrain mais également par la diffusion d’une boîte à outils sur le site intranet du ministère.
S’agissant des mesures concernant les auteurs de violences conjugales, la direction des affaires criminelles et des grâces travaille sur la modélisation du suivi renforcé des auteurs. Il s'agit de permettre une prise en charge globale (judiciaire, administrative, thérapeutique en cas d’addiction…) et continue (dès le stade des poursuites jusqu’à l’exécution de la peine). L’objectif est de s’assurer qu’en cas d’éviction du domicile conjugal, l’auteur de violences va pouvoir se reloger de manière pérenne et bénéficier d’une prise en charge adaptée.
Le projet de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales piloté par le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes est également soutenu par notre ministère et permettra d’enrichir également le contenu de ces prises en charge de manière plus homogène sur le territoire puisque son objectif est un centre par région d’ici 2022. Cela nécessite un travail étroit avec les associations de contrôle judiciaire socio-éducatif qui, pour nombre d’entre elles, ont mis en place des dispositifs innovants que nous recensons dans l’optique de les valoriser et d’en assurer la pérennité. La mise en valeur des expérimentations menées par les parquets sur le terrain et l’accompagnement des dispositifs novateurs comme l’accompagnement individualisé renforcé sont au cœur de nos missions.