[Archives] Voeux à la presse et aux personnalités

Publié le 11 janvier 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Monsieur le Vice-Président du Conseil d’Etat,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur Général de la Cour de Cassation, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature,
Monsieur le Procureur Général,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs généraux et Directeurs,
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Mesdames et Messieurs

A vous tous qui représentez les forces vives de la Justice, à vous aussi nos amis journalistes, à vos familles, à vos proches, à vos collaborateurs, j’adresse mes vœux les plus chaleureux pour la nouvelle année.

Certains ont vu dans 2005 une année de tourmente pour la justice. Ce fut, certes, une année difficile. Nous avons tous à l’esprit l’épilogue judiciaire de l’affaire d’OUTREAU. Mais ce fut également une année de prise de conscience. Le nombre des commentaires que cette affaire a suscité, l’intelligence de beaucoup d’entre eux, l’immense intérêt pour les questions de justice dont témoignent la plupart de ces réactions, constituent un terreau favorable au développement puis à l’éclosion d’une bonne réforme pour la Justice.

Car 2006 sera l’année de la réforme. Le Chef de l’Etat l’a annoncé, le Premier Ministre l’a confirmé. Je m’y engage aujourd’hui devant vous.

Mais de quelle réforme s’agit-il ?

Faut-il comme certains disent le souhaiter, transformer notre organisation judiciaire et changer du tout au tout notre procédure pénale ? Devons-nous supprimer le juge d’instruction ? Séparer le Siège du parquet ? Donner l’indépendance à celui-ci ?

En un mot l’affaire d’OUTREAU signe-t-elle la condamnation du procès pénal à la française ?

Je ne le crois pas.

Certes, je ne suis pas de ceux qui minimisent les conséquences dramatiques des erreurs commises dans l’affaire d’OUTREAU, ni l’importance et la légitimité du questionnement sur la Justice qui en est résulté.

Mais pour autant, près de 30 ans passés à la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dont beaucoup de temps sur les questions pénales me conduisent à penser qu’il n’y a pas de système parfait. Aucune organisation judiciaire ne garantit l’absence d’erreurs. Les systèmes que l’on veut nous donner comme modèle, génèrent des dysfonctionnements souvent plus graves et plus nombreux que ceux que nous connaissons.

Jugé à cette aune, notre système judiciaire présente des qualités qui doivent retenir ceux qui auraient la tentation de le réformer de fond en comble.

Alors que faire ?

Comme dans beaucoup de domaines, la bonne méthode est de poser le bon diagnostic, de conserver ce qui fonctionne bien et de changer le reste en adaptant, le cas échéant, ce que l’on a vu bien fonctionner ailleurs.

Ainsi il y aura une réforme de procédure pénale. Les commissions VIOUT et MAGENDIE en ont démontré la nécessité. Il faut en effet garantir l’effectivité des voies de recours en renforçant le contrôle exercé par la chambre de l’instruction sur le déroulement des informations judiciaires.
Il faut également généraliser la co-saisine des juges d’instruction et la rendre obligatoire, c’est-à-dire faire en sorte qu’elle soit décidée par une autorité supérieure et qu’elle ne dépende plus de leur seule volonté. Je veux à cet égard que nous fassions preuve de réalisme et que nous rendions cette co-saisine possible en regroupant au chef-lieu de chaque département tous les juges d’instruction de ce département. Je veux enfin que la procédure d’instruction soit réservée à ce pourquoi elle est faite, c’est-à-dire les affaires les plus graves ou les plus complexes. Je proposerai donc que l’on suive les propositions de la commission MAGENDIE et que n’importe quelle plainte, aussi infondée ou dilatoire soit-elle n’oblige plus, sans qu’aucun moyen de droit ne permette de s’y opposer, à saisir le juge d’instruction.

Peut-être faudra-t-il aller au-delà et envisager d’autres réformes. J’attends avec beaucoup d’intérêt les premiers travaux de la commission d’enquête parlementaire ainsi que ceux de la mission d’inspection conjointe que j’ai lancée, à la demande du Premier Ministre, avec mes collègues de l’Intérieur et de la Santé.

Mais quelle que soit la pertinence des réformes que nous adopterons, rien d’utile ne se fera sans les magistrats.

J’ai déjà dit combien je considère que la France peut s’honorer de disposer d’un corps judiciaire de grande qualité. Ceux qui me connaissent savent que ce ne sont pas chez moi des paroles de circonstance. J’en suis profondément convaincu.

Pour autant, je souhaite que 2006 prolonge la prise de conscience que j’ai sentie à la fin de l’année 2005. Plus qu’aucune autre institution la Justice doit cultiver deux vertus essentielles : le doute et l’humilité.

C’est cette conviction qui a guidé les travaux du groupe de collaborateurs qui, autour de moi, travaille depuis le mois de juillet, à la demande du Chef de l’Etat, sur l’immense et très difficile question de la responsabilité des magistrats. Tout a été abordé : la formation et l’évaluation des magistrats, le déroulement de leur carrière ainsi que le rôle de la hiérarchie et la formation des chefs de cour et de juridiction, le dépistage des comportements à risque, mais aussi la prévention et la sanction.

N’attendez pas de moi que je lève aujourd’hui le voile sur ces réflexions. C’est le Chef de l’Etat qui me les a demandées, c’est d’abord au Chef de l’Etat que j’en rendrai compte après avoir, comme il l’a souhaité, échangé avec le Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, le très riche débat qui a suivi l’affaire d’OUTREAU a aussi porté sur le CSM lui-même : sa composition, ses pouvoirs, les modalités de sa saisine. C’est également un chantier que nous engageons et sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

J’ai déjà dit que la Justice ne se résumait pas à l’affaire d’OUTREAU, je veux ajouter que la Chancellerie a une existence en dehors de ces projets de réforme. En y arrivant en juin 2005, j’ai trouvé un ministère en ordre de marche dont l’activité a été particulièrement soutenue tout au long de ces sept mois. Celle-ci va encore s’amplifier en 2006.

Sur le plan législatif tout d’abord. N’oublions jamais, en effet, que ce ministère est celui de la loi ! Deux textes essentiels ont été adoptés en 2005 :

- la loi sur la sauvegarde des entreprises va favoriser le dynamisme des entreprises et limiter les effets néfastes des dépôts de bilan. Nous en verrons dès 2006 les effets sur l’emploi.

- le nouveau dispositif de lutte contre la récidive que j’avais porté sur les fonds baptismaux lorsque j’étais Président de la commission des lois. Dès 2006, l’utilisation du bracelet électronique mobile va permettre de lutter plus efficacement contre la récidive. L’expérimentation puis la généralisation du bracelet électronique mobile sera l’un de nos grands rendez-vous de 2006.

Législatif encore, 2006 nous permettra de moderniser le droit des successions qui date, pour l’essentiel de 1804.

La future loi donnera plus de liberté pour organiser sa succession notamment par l’instauration du pacte successoral.

Elle accroîtra la sécurité des héritiers, et elle simplifiera la gestion de la succession en facilitant la transmission des entreprises et en assouplissant les règles de l’indivision.

Le Notariat a été très associé à la gestation de cette réforme. C’est pour moi l’occasion de lui rendre hommage comme à l’ensemble des professions judiciaires ici représentées : avocats, commissaires aux comptes, huissiers, commissaires priseurs judiciaires, avocats au Conseil, experts, greffiers de commerce, avoués. Vous savez tous que ce ministère est le vôtre et nous continuerons, en 2006, à travailler ensemble à l’amélioration de la Justice.

Deux autres chantiers législatifs d’importance devraient marquer 2006 :

- la réforme des tutelles. Chacun s’accorde à reconnaître que le dispositif de protection juridique des majeurs vulnérables n’est plus adapté. Il faut recentrer la mission du juge des tutelles sur la protection des personnes qui sont dans l’incapacité de pourvoir seules à leurs intérêts en raison de l’altération de leurs facultés mentales.

Il s’agit d’une réforme très attendue. Je suis décidé à la mener à bien dans le respect de tous les équilibres.

- C’est dans le même esprit que je veux conduire avec mon collègue en charge de la famille, le chantier de la réforme de la protection de l’enfance.
D’ores et déjà nos services travaillent aux nécessaires évolutions dans des domaines aussi essentiels que l’amélioration des procédures de signalement ou l’articulation entre protection administrative et protection judiciaire.

Mais le travail législatif n’est qu’une partie du travail conduit dans ce ministère. Au quotidien, la direction des services judiciaires, la direction de l’administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse travaillent au bon fonctionnement de nos trois réseaux et à l’application de la loi d’orientation et de programmation pour la Justice. De ce point de vue aussi le bilan de cette législature sera loin d ‘être négligeable.

Ce n’est ni le lieu ni le moment de dresser un tableau exhaustif de l’activité de ce ministère. Je voudrais seulement m’arrêter un instant sur les violences urbaines qu’a connu notre pays au mois de novembre dernier. Elles ont constitué un véritable défi pour la Justice. Or je veux le souligner à nouveau : la mobilisation des magistrats et des fonctionnaires de justice a été exemplaire. La réponse judiciaire a été juste et efficace ; elle a été rapide et compréhensible. Elle a été complétée par la qualité de la prise en charge pénitentiaire, en détention, comme en milieu ouvert.

La justice a montré qu’elle savait sanctionner, je veux aussi qu’elle montre qu’elle sait réinsérer.

La loi doit toujours être appliquée. Lorsque c ‘est nécessaire elle doit l’être avec fermeté. Mais lorsque la sanction a été exécutée tout doit être fait pour permettre la réinsertion.

Je souhaite que l’année 2006 soit l’année de la réinsertion.

C’est pourquoi j’ai décidé de mettre en œuvre le parrainage des jeunes placés sous main de justice et de m’adresser à cette fin à des chefs d’entreprise et à des cadres de la Nation.

En offrant aux jeunes la possibilité de découvrir le monde du travail qui leur semble lointain, voire inaccessible, les Françaises et les Français accompliront une démarche citoyenne.

Ils s’engageront à les recevoir quelques heures dans l’année, à leur faire découvrir concrètement le monde du travail et enfin à ouvrir leur carnet d’adresses pour les guider dans leur avenir professionnel.

Cette rencontre avec les parrains doit permettre aux jeunes de reprendre confiance en leur avenir.

Nombreux sont ceux qui ont répondu positivement à l’appel : entreprises, artisans mais aussi des représentants des professions juridiques et des réseaux des grandes écoles.

La protection judiciaire de la jeunesse, qui a en charge ces mineurs, est entièrement mobilisée sur ce projet.
Le 24 janvier prochain, je réunirai tous ceux qui se sont inscrits dans cette démarche. Dès le premier février 2006, les jeunes rencontreront leurs parrains.

C’est enfin plus particulièrement aux journalistes que je voudrais m’adresser. A la suite de quelques affaires particulières, beaucoup d’entre vous m’ont dit leur inquiétude quant à la protection de leurs sources.

J’ai compris que l’on touchait là à l’essentiel. La liberté de l’information est au cœur de toute démocratie. La protection des sources des journalistes est l’une de ses conditions.
J’y attache autant d’importance qu’aux droits de la défense qu’à mon initiative la loi vient de considérablement renforcer.

J’ai donc souhaité modifier le droit applicable en la matière afin de trouver un nouvel équilibre entre la nécessaire protection du secret de l’instruction et celle du secret des sources.

Le droit des journalistes à la protection de leurs sources d’information sera désormais inscrit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il ne pourra y être porté atteinte qu’à titre exceptionnel et lorsque la nature de l’infraction et sa particulière gravité le justifient. Les collaborateurs des journalistes bénéficieront de la même protection que ces derniers.

Les règles spécifiques applicables aux perquisitions effectuées dans une entreprise de presse seront étendues au domicile d’un journaliste.

Le juge des libertés et de la détention pourra être appelé à intervenir si le journaliste considère que les saisies effectuées portent atteinte de façon disproportionnée à la protection des sources.

Enfin, les réquisitions judiciaires devront, à peine de nullité, être effectuées par un magistrat ou avec l’autorisation de celui-ci.

Je veillerai à ce que ces nouvelles dispositions puissent entrer rapidement en vigueur, afin de mieux garantir la liberté de la presse.
Mesdames et Messieurs, je voudrais saluer et remercier tous les magistrats et fonctionnaires de justice, qui ont fourni, avec un grand dévouement, au cours de l’année 2005, un travail remarquable. Ces remerciements s'adressent également à M. le Vice Président du Conseil d'Etat qui, par ses très grandes qualités juridiques, a su donner au cours de ces dix dernières années à la haute juridiction administrative un rayonnement inégalé.

Je souhaite qu’ensemble en 2006, nous redonnions aux Français confiance en leur Justice. C’est une démarche collective et je suis déterminé à la conduire. J’aurai besoin de vous tous.

Je vous remercie de votre attention.