[Archives] Pascal Clément à l'Ambassade de France à La Haye

Publié le 30 mars 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

Temps de lecture :

6 minutes

Monsieur le Ministre,
Messieurs les Présidents,
Madame et Monsieur les Procureurs,
Mesdames et Messieurs les juges,
Mesdames et Messieurs,

On a coutume de présenter la France comme la patrie des droits de l’homme. Ces principes, nous les partageons avec les Pays-Bas. Nous avons en effet un patrimoine commun, un socle de valeurs sur lequel ont été bâties nos deux démocraties : ce socle, c’est celui du droit.
Que seraient ces droits s’ils ne bénéficiaient pas d’un terrain propice à leur épanouissement et à leur développement ? Les Pays-Bas sont à n’en pas douter l’un de ces lieux privilégiés. Ici se sont multipliées, au fil des siècles, de nombreuses organisations internationales qui, chacune à sa manière, contribuent au respect du droit et au maintien de la paix.
La Haye est une place juridique, une ville de juristes. Je suis heureux de venir à sa rencontre et de vous témoigner le soutien de la France. La France a été, est et restera un promoteur de la coopération juridique internationale. Nous n’avons cessé de rappeler la nécessité d’une communauté internationale régie par des règles de droit. Vous êtes nombreux ici ce soir à contribuer à leur application. Je voudrais donc, au nom de la France, vous remercier chaleureusement de votre travail quotidien qui fait honneur à tous ceux qui sont attachés à cet idéal.

* * *

Les enjeux auxquels les Pays-Bas et la France sont confrontés nécessitent, notamment, un renforcement de la coopération judiciaire. Nos objectifs sont les mêmes : lutter contre tous ceux qui mettent en danger nos institutions. Lutter contre le terrorisme bien sûr, mais aussi lutter contre tous les trafics, quelle que soit leur nature. Nous avons tout à gagner de la mise en commun de nos expériences et de nos connaissances respectives. Je pense ainsi à la lutte contre les trafiquants de drogue.

Je voudrais saluer les efforts que les Pays-Bas ont entrepris, notamment à Schipol, contre les importations massives de cocaïne. Ce difficile combat contre la drogue, je le partage avec mon collègue néerlandais M. Donner dont je salue la présence ce soir parmi nous. Nous aurons l'occasion demain d'aborder ces sujets tous les deux.

* * *

Au plan européen, je souhaiterais profiter de ma présence ici pour saluer les représentants de l'unité de coopération judiciaire européenne, Eurojust, installée à La Haye, depuis plus de trois ans maintenant.

Les missions d'Eurojust sont centrées autour de la facilitation et la coordination des enquêtes pénales transfrontières. Elles ont pour objectif principale la lutte contre la criminalité organisée. Le nombre d'affaires traitées, souvent très sensibles - je pense, par exemple, au dossier du naufrage du navire "Prestige" – est en accroissement continu.

Eurojust rayonne désormais sur la scène européenne avec un réseau de points de contact en plein développement et une ouverture vers des pays tiers. Nous serons bien sûr attentifs à son évolution dans le cadre des réflexions en cours dans l'Union Européenne.

* * *


Au plan multilatéral, je l’ai dit, La Haye, joue un rôle majeur, irremplaçable, sur la scène du droit international.

Rappelons-nous que la première institution juridique, créée en 1893, fut la Conférence de droit international privé de La Haye. Je salue la présence ici de son Secrétaire Général, M. Van Loon. La Conférence constitue depuis sa création un lieu unique de négociations dans le domaine du droit international privé. Ses travaux, qui s’inscrivent toujours dans un strict respect du bilinguisme français-anglais, ont permis l’adoption à ce jour de plus de 35 conventions au cours des cinquante dernières années, ratifiées par un grand nombre de pays à travers le monde. La France peut s’enorgueillir de figurer parmi ceux qui ont ratifié la plupart de ces traités.
Je voudrais également mentionner la Cour permanente d’arbitrage, dont la création remonte à la dernière décennie du XIXème siècle. Je salue aussi la présence parmi nous de son Secrétaire Général, M. Van den Hout.

Cette institution, en dépit de son nom, n’est pas, vous le savez, une Cour à proprement parler : elle a été créée par la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux, conclue à La Haye en 1899. Elle constituait alors le premier mécanisme global pour le règlement des différends inter-étatiques. La CPA assure aujourd’hui l’administration des arbitrages, des conciliations et des commissions, mécanismes auxquels la France est particulièrement attachée.

Si la CPA n’est pas une Cour, il existe en revanche plusieurs juridictions internationales à La Haye. Je veux parler bien sûr de la Cour internationale de justice, du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et enfin de la Cour pénale internationale. J’aurai le plaisir de les visiter toutes les trois demain.

La Cour internationale de Justice est l’organe judiciaire principal des Nations-Unies : elle est à ce titre le lieu privilégié du règlement pacifique des différends inter-étatiques et un espace de dialogue entre les parties. Parce qu’elle constitue un rempart fondamental contre la violence et le recours unilatéral à la force, l’action de cette juridiction de caractère universel bénéficie de tout le soutien et de la confiance entière de la France.

Mais il est, hélas, des circonstances où le règlement pacifique des différends est impossible, où l’ensemble des mécanismes de prévention des conflits échouent et laissent libre cours à la violence, aux affrontements régionaux, aux guerres civiles, aux oppositions ethniques.

A une époque où nous sommes informés à chaque instant des crises qui touchent les diverses parties du monde, la communauté internationale accepte encore moins que les crimes les plus graves, ceux qui portent atteinte à l’essence même de l’humanité, puissent rester impunis.

Plus que toute autre, la ville de La Haye a été le témoin privilégié de l’émergence, puis du développement de cette nouvelle justice pénale. Je citerai l’établissement du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et, dix ans plus tard, l’installation de la Cour pénale internationale. La France a toujours partagé ces initiatives et continuera d’accompagner l’action de ces juridictions dans leur tâche difficile et exigeante.

Ces deux juridictions sont aujourd’hui à des stades très différents de leur évolution. Alors que le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie est d’ores et déjà entré dans la phase d’achèvement de ses travaux, la comparution initiale de la première personne arrêtée et remise à la Cour pénale internationale a eu lieu la semaine dernière.

Nos regards ne doivent cependant pas se détourner de l’action que continue de mener, inlassablement, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. A une période difficile de son histoire, avec les décès successifs de Milan Babic et de Slobodan Milosevic, il a besoin, plus que jamais, de notre soutien et de celui de toute la communauté internationale, pour accomplir sa mission.

La réussite du TPIY est cruciale, non seulement pour le devenir de tous les Etats qui faisaient partie de l’ex-Yougoslavie, mais également pour le développement futur de la justice pénale internationale.

La Cour Pénale Internationale a sa place dans l’ensemble des dispositifs nationaux et internationaux établis pour lutter contre les crimes les plus graves. Nous avons beaucoup œuvré en particulier pour que les victimes ne soient pas les laissés pour compte des grands procès pénaux internationaux.

Notre engagement en faveur des victimes ne s’est pas limité à la période cruciale des négociations du Statut de Rome, mais également à sa mise en œuvre. Nous sommes notamment attentifs aux moyens mis à la disposition du Fonds d’aide au profit des victimes, dont le Conseil de direction est présidé, vous le savez, par Mme Simone Veil. C’est par l’action de ce fonds que les victimes pourront enfin réaliser que cette Cour est un instrument concret de réparation des crimes dont ils ont souffert.

Je voudrais également rendre hommage à tous ceux, présents parmi nous ce soir, qui concourent à la promotion de notre culture juridique sur la scène internationale. Je pense en particulier à l’Académie de La Haye, dont l’un de ses représentants est ici parmi nous, M. van Hoogstraten. Cette vénérable institution bientôt centenaire dispense en français et en anglais un enseignement en droit international public et privé, de renommée mondiale.

Je voudrais enfin m’adresser à tous les Français qui travaillent à La Haye dans l’ensemble des organisations juridiques et des juridictions internationales. Vous êtes les meilleurs vecteurs non seulement de l’usage de notre langue, qui est l’une des deux langues de travail du monde du droit international, mais aussi et surtout de notre culture juridique. S’il n’est plus possible, me semble-t-il, d’avoir une conception purement nationale de nos droits et de nos systèmes judiciaires respectifs, il est impératif de préserver une diversité linguistique, juridique et culturelle au plan international. Je compte plus que jamais sur vous pour y contribuer.

La Fondation pour le droit continental, dont j’ai annoncé récemment la création, pourra, j’espère, mettre à profit votre compétence et votre expérience pour promouvoir cette diversité.

Je vous remercie.