[Archives] Convention UMP sur la Justice à l'Assemblée Nationale

Publié le 03 mai 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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12 minutes

Monsieur le Ministre d’Etat, Président de l’UMP,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Je suis doublement heureux d’introduire cette journée de débats et de propositions consacrée à la Justice. Heureux de vous présenter publiquement le bilan de nos actions en ce domaine. Heureux d’imaginer, avec vous, la Justice de demain.

Pour cela, nous devons nous appuyer sur ce que nous avons fait depuis 2002. En effet, quel chemin parcouru. Souvenez-vous :

L’insécurité galopait. L’absence de ligne claire dans la définition de la politique pénale du Gouvernement avait démobilisé policiers, gendarmes et magistrats.

Comment en était-on arrivé là ? Cette situation n’était pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence d’un choix politique non totalement assumé mais clairement dicté par l’idéologie.

Car les Français doivent savoir que dans le domaine de la Justice, il existe bien deux politiques.

Celle de la gauche revient à considérer que les délinquants sont avant tout victimes de leur environnement et doivent être aidés avant d’être sanctionnés.

L’emprisonnement étant jugé inutile et néfaste, cette politique aboutit à ce que les investissements nécessaires à la modernisation et l’humanisation de nos prisons ne soient pas réalisés. C’est sur ces fondements que la gauche a conduit une politique d’insécurité organisée. C’est également à la gauche et à elle-seule que nous devons les insuffisances au regard des standards européens de notre parc pénitentiaire.

Au contraire, notre politique part du principe simple qu’une infraction doit être sanctionnée de manière rapide, effective et proportionnée et que la victime de l’infraction doit être soutenue, aidée et prise en charge. Nous voulons également que les peines soient exécutées dans des conditions respectueuses des droits de l’homme.

C’est ce que les Français nous ont demandé en nous portant au pouvoir en 2002 et c’est ce que nous avons commencé à réaliser. Mais le retard était tel qu’il y a encore énormément à faire.

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Il fallait et il faut encore, lutter contre l’impunité.

Il a d’abord fallu rétablir le caractère dissuasif de la sanction, son effectivité et assurer son exécution.

Prenons l’exemple des récidivistes, à l’origine de plus d’un délit sur trois. Les sanctions applicables étaient quasiment les mêmes que pour les primo-délinquants. Est-il normal que celui qui fait de la délinquance une profession n’encourt pas de peine majorée ? Je ne le crois pas, et c’est pour cela que nous avons fait adopter une loi qui réprime plus sévèrement la récidive.

Alors que dans de nombreux cas des délinquants reconnaissant les faits étaient jugés plusieurs mois après, nous avons mis en place une nouvelle procédure plus rapide, la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité, qui a permis depuis le mois de mars 2005 de juger près de 26000 affaires.

L’impunité des mineurs est également un des défis auxquels nous sommes confrontés. Vous savez que la justice des mineurs est une justice spécifique qui doit concilier éducation et sanction. Pour mettre fin à l’impunité des mineurs, il fallait donc créer de nouvelles structures adaptées. Avec le Président de la République nous nous y étions engagés en 2002, nous l’avons fait.

Aujourd’hui, 17 Centres Educatifs Fermés, pouvant accueillir plus de 170 jeunes, sont en activité. Ils seront 46 l’an prochain. Pour les mineurs les plus dangereux et les mineurs récidivistes, nous avons créé les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs. Dans un an, sept établissements entreront en fonction et encadreront des jeunes détenus en leur donnant les moyens de se construire un avenir par l’éducation.

Malheureusement, cela ne suffit pas. La violence inadmissible de certains jeunes nécessite des réponses plus rapides et plus sévères.


Je souhaite que les admonestations, les rappels à la loi ou les remises à parents ne puissent plus se cumuler indéfiniment et que les sanctions soient prononcées et exécutées plus rapidement. Ainsi, un mineur délinquant doit pouvoir être présenté immédiatement devant un juge, et non pas renvoyé à une audience quelques mois plus tard.

Je souhaite également que nous puissions étendre les moyens dont disposent les parquets pour mieux sanctionner et enrayer cette délinquance.
Je ne peux en effet, me résoudre ni à la montée de la violence chez les plus jeunes ni à ce que les jeunes français soient les premiers consommateurs de cannabis d’Europe. C’est pourquoi je souhaite notamment permettre au Procureur de la République de pouvoir requérir à l’égard des mineurs des mesures de compositions pénales applicables aujourd’hui aux seuls majeurs, qui permettront d’obliger ceux-ci soit à subir des soins, soit à avoir une activité scolaire, soit à effectuer à leurs frais un stage sur les danger de la drogue.

Ainsi vous le voyez, c’est tout le contenu du droit pénal des mineurs qui est profondément réformé ou qui est en passe de l’être avec la loi sur la prévention de la délinquance que nous allons soutenir avec Nicolas SARKOZY.

Enfin, je ne peux tolérer que la violence gratuite se généralise. C’est pourquoi j’ai demandé aux parquets, chaque fois que cela était nécessaire, et notamment lors des violences urbaines de cet automne, de ne pas hésiter à requérir des peines d’emprisonnement ferme.

J’ai fait donner les mêmes instructions en ce qui concerne les violences inadmissibles qui ont entouré les manifestations anti CPE.
N’en déplaise à certains, j’assume totalement ces instructions. La liberté de manifester ne sera jamais celle de casser.

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En 2002, il nous fallait également repenser la lutte contre la criminalité organisée.

Les réseaux criminels avaient pris une ampleur sans précédent. Il fallait y mettre bon ordre. Nous avons pénalisé l’exploitation des plus faibles par les groupes criminels, notamment les femmes et les enfants contraints de se prostituer ou de mendier au profit de quelques uns. Nous avons renforcé les sanctions contre les bandes organisées, qui font du crime une entreprise. Surtout, nous avons donné à la Justice les moyens de les combattre en créant huit Juridictions Interrégionales Spécialisées, aptes à donner à ceux qui défendent la société les armes nécessaires à leur combat.

Je considère que la création et le fonctionnement de ces nouvelles juridictions sont l’une des réussites majeures de cette législature en matière de Justice.

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En 2002, il fallait également rattraper notre retard en matière pénitentiaire.

L’héritage était lourd. Il nous a fallu en effet à la fois moderniser les établissements existants et construire de nouvelles places de prison. C’est, en effet, dans ce domaine que l’aveuglement des idéologues se fait le plus sentir.

Nous avons donc lancé un programme de restructuration des grands établissement et la construction de 13 200 places de prison. Ce programme permettra de fermer les établissements les plus vétustes et de donner à chaque détenu des conditions de vie dignes d’une démocratie.

Je sais que certains, tel Alvaro Gil-Roblès, commissaire européen aux droits de l’homme, qui s’exprimera cet après-midi, portent un regard critique sur nos prisons. D’une certaine manière, je suis d’accord avec lui, puisqu’il fait le procès de la politique pénitentiaire de nos prédécesseurs, fondés sur l’immobilisme et le refus de toute création de places supplémentaires. En 2007, grâce aux efforts de la majorité, une dizaine d’établissements seront inaugurés.

Si le débat est faut-il, ou non, lutter pour les droits de l’homme en prison, je suis résolument avec ceux qui défendent les droits de l’homme. Construire des prisons, rénover celles qui sont rénovables, fermer les autres, créer en milieu pénitentiaire des outils de soin, de formation, de travail, de culture….tout cela est nécessaire et c’est très exactement notre politique.

Mais on voit bien que ce débat sert de camouflage à un autre qui est le seul qui intéresse réellement ceux qui nous ont laissé les prisons dans l’état où elles sont : faut-il encore un système carcéral ?

A cette question, je réponds indiscutablement oui car c’est le seul moyen d’assurer la sécurité des Français et la protection des victimes. Mais d’autres, beaucoup d’autres répondent non, même s’ils dissimulent souvent leur militantisme anti-prison derrière un militantisme droit de l ‘hommiste.

Dans ce domaine, la seule réponse raisonnable est la nôtre : il faut se donner les moyens de la sécurité des Français mais il faut que ces moyens soient dignes de notre démocratie où, faut-il le rappeler, on incarcère moins, voire beaucoup moins, que dans la plupart des démocraties comparables.

Mais la prison, ce n’est pas simplement une question immobilière. Son fonctionnement doit faire l’objet d’un contrôle permettant de vérifier qu’aucune autre peine ne s’ajouter à la privation de liberté.


Afin de rendre ce contrôle plus clair, plus transparent et tout aussi exigeant, je propose de confier une mission permanente de contrôle des établissements pénitentiaires à un organisme indépendant. Je pense en particulier à la commission nationale de déontologie de la sécurité ou bien au Médiateur de la République.

Notre politique pénale ne se résume pas au seul emprisonnement. Nous avons au contraire souhaité généraliser le bracelet électronique, dont j’ai célébré la 10 000e utilisation il y a deux semaines. J’ai signé il y a quelques jours une circulaire demandant aux parquets de privilégier les alternatives à l’incarcération. Dès le mois de juin, les premiers bracelets électroniques mobiles, applicables dans le cadre des libérations conditionnelles, seront mis en oeuvre.

Cette politique déterminée a permis de faire baisser la délinquance et de rétablir la sécurité des Français.

Ce résultat n’a pas été obtenu au détriment des libertés. Je pense en effet qu’une procédure pénale efficace nécessite des droits de la défense forts. Cela suppose également des magistrats plus ouverts sur l’extérieur.

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Les débats autour du procès d’Outreau nous invitent à poursuivre dans cette voie.

Nous avons tous en mémoire ces visages, ces peines, ces souffrances. Nous ne pourrons pas les faire disparaître. Mais nous pouvons tourner la page en améliorant encore notre procédure pénale. Non pas demain, après l’élection présidentielle, mais dès cette année.

Je sais bien que certains rêvent d’un grand soir de la Justice, que certains voudraient copier le système américain ou revenir à la Justice des Parlements d’avant 1789.

Je ne serai pas le ministre de l’utopie. Je suis le ministre des réalisations concrètes.

C’est pourquoi, je souhaite que nous nous mettions d’accord avec la commission d’enquête parlementaire sur quelques mesures fondamentales.

La première consiste à créer des pôles de l’instruction, avec une collégialité étendue. En faisant partager les moyens, les compétences et l’expérience, nous éviterons les risques d’erreurs judiciaires et nous défendrons les libertés des Français. J’ajoute que ces pôles permettront une plus grande spécialisation de la Justice, gage d’un plus grand professionnalisme. Ainsi, les Juges des Libertés et de la Détention seront également regroupés au sein de ces pôles. On me dit parfois qu’il faudrait réformer toute la carte judiciaire pour aboutir à un résultat opérationnel. La carte judiciaire ne s’est pas construite en un jour.

En créant les pôles de l’instruction, nous ferons une réforme utile, mais également une réforme qui posera des jalons d’évolutions ultérieures.

La deuxième mesure fondamentale concerne le renforcement des droits de la défense. Je souhaite que la garde à vue puisse être enregistrée, afin de sécuriser les déclarations des personnes gardées à vue et notamment, parce que c’est important à mes yeux, de protéger les enquêteurs contre des allégations infondées. Nous donnerons ainsi une nouvelle garantie aux justiciables, tout en assurant l’efficacité de l’enquête.

Je m’interroge pour savoir s’il faut aller plus loin notamment en permettant dans tous les contentieux, je pense au terrorisme et à la criminalité organisée, aux avocats de pouvoir rencontrer leurs clients dès la première heure.

Je serai heureux d’entendre vos propos sur ce point.

Je souhaite également s’agissant des droits de la défense à ce que ceux-ci soient renforcés au cours de l’instruction, notamment en matière d’expertise. Je pense qu’il faut améliorer les possibilités pour les parties de participer à la mission qui sera fixée à un expert. De même, il me semble que l’on devrait permettre chaque fois que cela est possible permettre aux parties de participer au choix de l’expert.

La troisième mesure fondamentale consiste à faire évoluer la détention provisoire afin que sa durée diminue. Le vrai scandale d’OUTREAU est celui là.

S’agissant du placement initial en détention, je pense qu’il serait raisonnable d’écarter en matière correctionnelle comme seule cause de placement en détention, « le trouble causé à l’ordre public ». Cette notion me semble en effet, trop subjective pour motiver la privation de liberté.

Je souhaite par ailleurs que nous en profitions pour faire participer les citoyens à l’exercice de la Justice. J’ai proposé qu’une partie du contentieux de la détention provisoire puisse être confiée à des juridictions comprenant des citoyens-jurés. En quoi serait-il contestable de confier ce rôle aux Français, alors que la justice est rendue en leur nom.

Les décisions en matière de détention provisoire ne devraient-elles pas d’abord être des décisions de bon sens ? Pourquoi interdire à nos concitoyens de s’en saisir, sur le modèle des jurys d’assises ? Soyons audacieux.

Je souhaite également que le contrôle de la durée des détentions par les chambres d’instruction soit réel. C’est pourquoi, j’ai décidé, d’une part, de renforcer les effectifs de toutes les chambres d’instruction afin de permettre aux magistrats qui les composent de se consacrer totalement au contrôle des cabinets d’instruction et, d’autre part, de prévoir dans la loi, l’examen public devant les chambres d’instruction de toute les instructions dans lesquelles des personnes sont détenues depuis plus de six mois.

Enfin, Je souhaite que nous réduisions de manière drastique, certaines détentions qui ne sont justifiées que par les manques de moyens des cours d’assises, moyens qui n’ont pas été mis en place par nos prédécesseurs.
J’ai demandé qu’on me dise ce qu’il manquait en termes de locaux, de magistrats et de fonctionnaires de justice.
Avec votre aide, je ne doute pas que j’obtiendrait les moyens financiers nécessaires à la réduction de ces délais.
Mais l’ouverture de notre justice ne doit pas s’arrêter là. Elle doit également concerner les magistrats.

Je souhaite que l’Ecole nationale de la magistrature se tourne davantage vers l’extérieur, notamment en intégrant des enseignants d’horizons différents et en accueillant de manière régulière des avocats. En modifiant également le contenu de ses enseignements : en s’ouvrant, par exemple, à la psychologie, ou aux droits de la défense.

Je souhaite que le Conseil supérieur de la magistrature ne reste pas à l’écart de ce mouvement d’ouverture et puisse dans un avenir proche être composé d’une majorité de non magistrats. Il faut en finir avec les soupçons de corporatisme.
Je pense qu’il peut voir également son rôle évoluer et donne aux français le sentiment qu’ils sont mieux entendus lorsqu’ils estiment que la justice ne fonctionne pas bien.
C’est pourquoi, je ne serai pas hostile à ce que nos concitoyens puissent le saisir dans ces cas, par l’intermédiaire du médiateur de la République, afin qu’il puisse examiner ces disfonctionnements et, le cas échéant les sanctionner.

Mes chers amis,

Comme vous le constatez, nous nous sommes attelés à refonder les bases de la maison Justice. A la lumière de nos principes et des enseignements de l’affaire Outreau, il nous appartient de construire la Justice de demain.

Cette Justice du XXIe siècle, je la souhaite plus rapide, plus efficace.

Une Justice plus rapide doit être notre première priorité.

Je n’accepte pas que la Justice soit trop longue. Est-ce normal que, dans une affaire très simple, la procédure s’éternise pendant des années ? C’est bien là une des causes majeures de la perte de confiance des citoyens dans la Justice.

Nous devons tous faire pour améliorer le délai de traitement des procédures. En ce domaine, la Justice n’a pas évolué en 20 ans. Je souhaite que nous utilisions le formidable levier que sont les nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’internet doit être, demain, le principal outil de travail des magistrats ; des greffiers et de professions judiciaires.

Ainsi, j’ai décidé de faire de la dématérialisation des procédures un des grands enjeux des prochaines années. Pour les magistrats et les avocats qui pourraient ainsi disposer de systèmes d’information complets et abandonner, autant que faire se peut, leurs dossiers papier. Pour les justiciables, qui pourraient envoyer leur plainte par e-mail et recevoir leurs jugements de la même manière.

Une Justice efficace doit être une de nos premières préoccupations.

Je souhaite que nous mettions en place une Justice où le condamné voit sa peine appliquée immédiatement, une fois devenue définitive. Pour cela, nous devrons augmenter le budget de la Justice. Les moyens nouveaux devront servir à prendre en charge chaque condamné et exiger de lui qu’il paie son amende, qu’il effectue son travail d’intérêt général ou qu’il purge sa peine. Les instruments existent, ils s’appellent les Bureaux d’Exécution des Peines.
Il faut développer ces outils dont l’objet premier est de permettre l’exécution de la peine dès la fin de l’audience au cours de laquelle elle a été prononcée.

Je souhaite que cette rapidité d’exécution puisse également s’étendre à la justice civile.

Enfin, je souhaite que nous donnions au Ministère de la Justice le rôle d’un véritable Ministère du droit.

La loi doit être respectée. Mais la force de la loi réside tout autant dans la qualité de sa préparation que dans son exécution. Le principe de sécurité juridique, si souvent invoqué et si nécessaire, doit désormais trouver une application concrète.

La loi exige de la précision pour que le droit ne se prête pas à toutes les interprétations les plus contradictoires. Elle nécessite d’être évaluée pour ne pas laisser subsister des normes inefficaces ou qui fonctionneraient à contre-emploi. Or, nous avons tendance à faire des lois trop nombreuses et parfois mal rédigées.

Je souhaite que nous redonnions toute sa force à la loi. Réfléchissons ensemble à une organisation qui permettrait à chaque ministère de se voir affecter un contrôleur juridique chargé de la surveillance juridique des textes de valeur législative ou réglementaire en préparation sur le modèle du contrôle financier tel qu’il existe actuellement dans l’ensemble des ministères.

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Mes chers amis,

Il est temps de conclure cette introduction. Je vous souhaite un débat riche et intense. C’est l’honneur de notre formation politique d’élaborer son projet publiquement, de manière transparente, en donnant la parole à ses adhérents et aux citoyens. Soyons en dignes et proposons aux Français une Justice qui les rassemble et qui leur redonne confiance en l’avenir.