[Archives] 101ème congrès des notaires de France

Publié le 02 mai 2005

Discours de Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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8 minutes

Monsieur le Président du conseil supérieur du notariat,
Monsieur le Président du 101ème congrès,
Mesdames, Messieurs les hautes personnalités,
Mesdames, Messieurs

Monsieur le Président Laurent DEJOIE, je tiens d’abord à vous remercier très sincèrement de votre accueil si chaleureux à Nantes.
Je suis particulièrement heureux de retrouver les notaires de France pour la quatrième fois consécutive.
Votre première année de mandat a été marquée, M. le Président, par l’ampleur et la diversité des réformes engagées ensemble.
J’ai appris à mieux vous connaître dès votre prise de fonction lors d’un voyage commun en Chine. J’ai découvert votre dynamisme, votre compétence et l’amour que vous portez à votre profession.
Décidément les notaires savent bien choisir leur président !
Votre discours et votre Congrès nous appellent naturellement à un tour d’horizon.

I ) Enjeux européens.

Je commencerai par revenir avec vous, sur les enjeux européens.
M’exprimant à l’occasion de votre dernier Congrès, je vous avais fait part de mon entier soutien dans la défense de votre statut professionnel remis en cause par la proposition initiale de directive relative aux services dans le marché intérieur.

Comme vous le savez, cette proposition de directive vise à supprimer les obstacles à la liberté d’établissement et à la libre circulation.

Dès le début de 2004, j’ai dénoncé l’application inacceptable de cette proposition aux professions juridiques réglementées et notamment aux notaires.

Ma mobilisation s’est intensifiée tout au long de l’année.

J’ai tout mis en œuvre pour convaincre mes homologues des enjeux de ce texte.

Alors que le début des négociations de cette proposition de directive pouvait laisser croire que la France resterait très isolée sur ce sujet, ces contacts nombreux ont fait apparaître que plusieurs Etats membres partageaient nos préoccupations.

J’ai régulièrement rappelé que votre profession ne pouvait être perçue comme un frein à la construction du marché intérieur des services.

Mieux, au cours de ces dernières années, le notariat, présent dans dix-neuf Etats membres, a activement participé au processus de création d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice.

Tous les efforts et la mobilisation autour de cette proposition de directive ont porté leur fruit. De manière générale le Président de la République a obtenu une « remise à plat » du projet de directive.

Ainsi, en ce qui vous concerne, je suis heureux de vous confirmer aujourd’hui que, sans nul doute, les professions juridiques réglementées, et notamment les notaires, seront exclues du champ de la directive.

De manière plus générale, vous savez tous ce que l’Europe nous a apporté depuis 45 ans. Elle est aussi aujourd’hui notre avenir.
Le traité établissant une Constitution pour l’Europe est l’occasion de réaffirmer ces apports et nos valeurs communes.

Au-delà du volet de réforme des institutions européennes, c’est d’ailleurs dans le domaine de la justice que la Constitution apportera le plus de progrès.

S’agissant de la coopération judiciaire en matière de justice civile, la Constitution permet d’adopter à la majorité qualifiée les mesures concernant la circulation et la reconnaissance dans tous les Etats de l’Union des décisions de justice.

La Constitution assure également une prise de décision plus efficace en matière pénale afin de renforcer la lutte contre la délinquance organisée.

Parallèlement, nos valeurs communes sont affirmées avec leur consécration dans la Charte des droits fondamentaux.

En rester au Traité de Nice, c’est s’interdire de bénéficier de ces évolutions et risquer de paralyser la construction en marche de l’Europe de la justice.

Ainsi, mieux organisés, les Européens seront plus puissants pour surmonter les enjeux du XXIème siècle.

Je sais, comme vous l’avez rappelé M. le Président, que les notaires ne sont pas repliés sur notre territoire. Vous l’avez montré jusqu’en Chine. Ne l’oubliez pas sur notre continent.

II – Une profession modernisée

Je veux maintenant aborder les enjeux de votre profession. L’année écoulée a été riche de réalisation.

  • La discipline

Comme vous le savez, j’ai souhaité intégrer dans la loi du 11 février 2004 la modernisation de la discipline des notaires.

La publication du décret du 26 novembre 2004 est venue parachever cette réforme.

Le regroupement de la discipline à l’échelon régional permettra de mieux répondre à l’exigence de crédibilité et de confiance que nos concitoyens nourrissent légitimement à l’égard des professions judiciaires et juridiques.

Les nouvelles chambres de discipline seront bientôt en état de fonctionner au sein des conseils régionaux. Certaines sont d’ailleurs déjà constituées. Elles seront mieux en mesure d’unifier les pratiques et la jurisprudence.

Il appartient désormais au notariat de mettre à profit toutes les possibilités nouvelles offertes par la réforme afin de renforcer l’efficacité et l’autorité de son régime disciplinaire.

  • La formation

Vous avez appelé de vos vœux une adaptation de la formation de vos futurs confrères et collaborateurs, afin de tenir compte des évolutions de votre profession.

Cette demande a rapidement emporté mon adhésion. Aujourd’hui, le candidat à l’installation ne doit plus se contenter d’être un excellent juriste.

Il doit également être préparé à devenir le responsable économique d’un office et disposer en conséquence de connaissances adaptées.
C’est pourquoi le stage pratique de futur notaire va devenir obligatoire.

La réforme apportera également de profondes modifications à la formation professionnelle des clercs et employés de notaire.

Aux anciens diplômes de clerc et de premier clerc de notaire viendra se substituer une nouvelle architecture totalement novatrice permettant d’appréhender au mieux les besoins de vos offices.

Je sais à quel point cette réforme est importante pour l’ensemble du notariat.

Je vous assure de mon entier soutien pour mener cette réforme jusqu’à son terme.

  • Gestion des dossiers de cession et CLON

S’agissant de la gestion de votre profession, je me suis engagé en faveur de la réduction des délais d’instruction des dossiers de cession de vos offices. En deux ans, ces délais sont passés de cinq mois à cinq semaines. C’est un réel progrès.

Afin de faciliter la tâche des candidats notaires et des cessionnaires j’ai demandé la réalisation d’un dossier de cession type.

J’ai souhaité, dans un souci d’efficacité et de rapidité, que chaque candidat à la reprise d’un office puisse disposer immédiatement de ce dossier.

Ce dossier sera prochainement disponible sur le site Internet du ministère de la justice. Il sera diffusé aux parquets par la voie d’une circulaire. Il s’appliquera aux cessions à venir à compter de l’automne.

S’agissant de la situation des offices créés. Le retard pris dans la nomination à ces offices était devenu inacceptable.
Ainsi, lorsque j'ai pris mes fonctions, près d'une centaine d'offices étaient-ils créés, certains depuis 1991, mais non encore pourvus.

Aujourd’hui, je vous annonce que la moitié des offices non pourvus ont été affectés.

Le retard sera entièrement résorbé à la fin de cette année.

Au-delà de cette réforme importante, le décret du 25 mars 2005 permettra également d’améliorer le fonctionnement de la Commission de localisation des offices de notaires (CLON).

Le nouveau dispositif instaure un mécanisme de prévisions quinquennales.

Cette réforme permettra de mener ainsi une politique globale d’implantation des offices en fonction de l’évolution des besoins du public, de la situation géographique, économique et démographique.

Il s’agit d’un réel progrès non seulement pour Votre profession mais également pour les usagers.

  • La rénovation du tarif

Le notariat a souhaité s’engager dans la voie d’un important travail de rénovation de son tarif. A cette fin, le Conseil supérieur a fait parvenir à la Chancellerie en avril 2004 un projet ambitieux tendant à moderniser votre tarif.

J’ai donné mon approbation à cette rénovation.

La concertation est engagée.

Je profite de cette occasion pour exprimer à nouveau mon attachement à la tarification fixée par les pouvoirs publics, pour la rémunération de vos missions d’officiers publics et ministériels.

C’est le moyen le plus sûr d’assurer l’égalité de vos clients et des membres de votre profession.

Un tarif bien construit contribue au maintien d’un service judiciaire de qualité sur tout le territoire.

III – Le notariat-partenaire des réformes de la Chancellerie

Je souhaite enfin partager avec vous les diverses réformes engagées en matière de droit de la famille. Vous en êtes des acteurs essentiels.

La mise en œuvre de la réforme du divorce est bien engagée. Les premiers retours soulignent l’accélération et la simplification de la procédure.

Le règlement des conséquences patrimoniales du divorce dès le début de la procédure est un point majeur de la réforme qui repose principalement sur les notaires.

Je sais pouvoir compter sur votre engagement pour assurer le succès de cette réforme.

  • Les successions et les libéralités :


Vous m’avez par ailleurs interrogé, Monsieur le Président, sur la réforme du droit des successions. J’ai la volonté de présenter une réforme d’ampleur du droit des successions et des libéralités qui n’a pas été modifié depuis le code Napoléon.

Les règles de liquidation et de partage sont inutilement complexes.

La transmission des patrimoines est entravée par des dispositions trop strictes.

L’objectif est d’adapter les règles du droit des successions et des libéralités aux exigences du présent.
Le projet de réforme repose sur trois grands axes :

D’une part, il s’agit d’accélérer et de sécuriser le règlement des successions, notamment :

  • en clarifiant les règles applicables en matière d’option héréditaire,
  • en simplifiant celles qui concernent la liquidation et le partage des successions.

D’autre part, il importe de renforcer la liberté testamentaire :

  • en autorisant les pactes de renonciation à la réserve,
  • en favorisant les règlements anticipés des successions, notamment par un recours facilité aux donations-partages.

Enfin, il convient d’adapter le droit des libéralités aux nouvelles configurations familiales et aux besoins spécifiques en matière de transmission des entreprises.
Je vous adresse mes sincères remerciements pour votre concours précieux à la préparation de cet important projet de loi que j’aurai l’honneur de présenter prochainement au Conseil des Ministres.

  • Sur la réforme du droit des sûretés :


Une autre réforme me tient particulièrement à cœur : celle du droit des sûretés. J’ai la volonté d’engager une réforme d’ensemble du droit des sûretés à la suite du groupe de travail présidé par le professeur Michel GRIMALDI avec lequel vous avez travaillé.

Il est notamment important d’améliorer le régime de l’hypothèque.

A cet égard, il me semble indispensable d’assouplir le principe de spécialité qui la caractérise.

Ainsi, l’hypothèque « rechargeable », constitue une perspective particulièrement intéressante.

En lien avec cette réforme, j’engagerai la refonte du droit de la saisie immobilière. Je veux cette réforme parce que la lenteur, la complexité et le coût de cette procédure sont insupportables et préjudiciables à tous.

L’innovation majeure de ce texte consiste à donner un caractère amiable à la procédure, en offrant au débiteur la faculté de procéder lui-même à la vente de son bien saisi.
Vous interviendrez, à ce moment difficile où il s’agit d’obtenir le meilleur prix de vente, dans un contexte souvent, dramatique.


Vos compétences et vos conseils seront alors, les atouts indispensables qui permettront, chaque fois que cela sera possible, d’éviter la vente aux enchères traumatisante pour les uns, aléatoire pour les autres.

  • Sur l’acte authentique électronique :


Pour finir sur ces projets de texte, je veux répondre à votre interrogation sur l’acte authentique électronique.

J’ai tenu à ce que l’acte authentique sur support électronique permette une efficacité accrue de la pratique notariale sans que la sécurité de l’acte n’en soit altérée.

Le décret d’application est actuellement en cours d’examen au Conseil d’Etat.

La conclusion d’actes à distance, leur archivage sur un minutier central, leur transmission de manière dématérialisée aux huissiers de justice sont autant d’apports attendus.

Je vous renouvelle mes vifs remerciements pour m’avoir aidé à définir les modalités techniques de ce projet.

S’il en était besoin, je vous renouvelle mon attachement aux valeurs de l’authenticité. C’est bien pour cela que la réforme du PACS permettra sa conclusion par acte authentique.

De même, le délai de rétractation doit disparaître en cas de vente immobilière, dressé sous forme d’acte authentique et sans avant-contrat.

Soyez assurés par ces exemples de ma confiance dans l’authenticité valeur fondamentale de votre profession.

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Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Au terme de ce tour d’horizon je veux saluer votre implication dans la vie quotidienne de nos concitoyens et votre rôle privilégié d’observateur des réalités sociales.

Le notariat est un acteur privilégié des réformes à venir.

C’est très solennellement que je tiens à vous exprimer, toute ma gratitude pour votre contribution à l’action que je mène depuis maintenant trois ans.

Votre profession s’ouvre sur l’Europe et sur le monde. Comme la France, elle a tout à y gagner. Sachons ensemble construire notre avenir dans le respect des valeurs communes qui nous sont si précieuses.

Je vous remercie.