[Archives] Visite du garde des Sceaux à la Maison d'arrêt de Fresnes

Publié le 04 juillet 2005

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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11 minutes

Monsieur le Député,
Monsieur le Secrétaire Général,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Procureur Général,
Monsieur le Directeur de l’Administration Pénitentiaire,
Monsieur le Président du Tribunal,
Monsieur le Procureur,
Monsieur le Directeur Régional des Services Pénitentiaires,
Mesdames et Messieurs les Magistrats,
Monsieur le Directeur de la maison d’arrêt,
Mesdames et Messieurs,


Je suis particulièrement heureux de me trouver, aujourd’hui, parmi vous à la Maison d’Arrêt de Fresnes.

J’ai choisi ce lieu emblématique de l’administration pénitentiaire, afin de rencontrer celles et ceux qui y travaillent au quotidien, de jour comme de nuit, et à travers eux de témoigner l’attention portée par nos concitoyens à l’ensemble du personnel pénitentiaire.

En tant que député et élu local, je me suis toujours intéressé à l’administration pénitentiaire, mais il s’agit aujourd’hui de ma première visite d’un établissement pénitentiaire en qualité de Garde des Sceaux.

Je tiens, tout d’abord, à vous remercier Monsieur le Directeur ainsi que l’ensemble de votre équipe pour la visite très complète et fort éclairante que nous venons d’effectuer.

La Maison d’Arrêt de Fresnes, établissement ancien à l’histoire particulièrement riche, illustre parfaitement les difficultés que connaît depuis de nombreuses années l’administration pénitentiaire. Malgré sa vétusté, son surencombrement et la prise en charge d’un public de plus en plus difficile, des hommes et des femmes accomplissent courageusement la mission de service public que la République leur a confiée.


Cependant, je suis fier d’avoir trouvé dans cet établissement les réalisations qui témoignent des efforts engagés depuis 2002 pour améliorer le fonctionnement de cette institution vitale pour la sécurité de nos concitoyens et le maintien de la paix sociale.

Mon prédécesseur, Dominique PERBEN a, en effet, lancé dès son arrivée, Place Vendôme, une politique pénitentiaire ambitieuse et volontariste plaçant les personnels pénitentiaires au cœur de son action. J’entends poursuivre cette voie.

L’administration pénitentiaire, c’est aujourd’hui plus de 30.000 personnes qui participent quotidiennement au maintien de l’ordre public, à la lutte contre la délinquance et à la prévention de la récidive au sein de 188 établissements et 101 services d’insertion et de probation répartis sur l’ensemble du territoire national.

L’occasion m’est ici donnée de rendre un hommage appuyé et très sincère à ces serviteurs de l’Etat, trop souvent méconnus. Je pense aux personnels de surveillance bien sûr mais aussi aux personnels administratifs et techniques dont on ne souligne pas assez le rôle fondamental pour la bonne marche des établissements.

Je pense aussi aux travailleurs sociaux dont l’action est décisive pour accompagner les détenus dans leur démarche d’insertion et les préparer à une sortie sans récidive. Je pense enfin aux personnels de direction, hauts fonctionnaires de la République, exerçant des responsabilités aussi exigeantes que fondamentales. J’ai également une pensée pour toutes les familles qui entourent de leur affection, parfois avec angoisse, toujours avec respect, ceux qui servent l’administration pénitentiaire.

La Nation doit à ces hommes et à ces femmes, gratitude et reconnaissance. C’est la raison pour laquelle, la situation de l’ensemble des fonctionnaires pénitentiaires a été sensiblement revalorisée depuis trois ans.


2005 correspond à la mise en œuvre du nouveau statut des personnels d’insertion et de probation, attendu depuis plusieurs années. C’est la juste contrepartie du travail aussi vital que difficile conduit par les SPIP – Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation.

Je tiens, à cet égard, à souligner l’importance de la réforme du statut des personnels de surveillance qui, conduite en étroite concertation avec les représentants du personnel, débouchera sur des avancées historiques, marquant ainsi le soutien de l’Etat à la troisième force de sécurité publique du pays.

Au delà de ses aspects statutaires, certes essentiels, d’autres chantiers doivent, également, avancer.

Je n’oublie pas les conditions de logement des personnels et notamment des plus jeunes affectés dans les grands centres urbains, les impératifs de leur formation initiale et continue, le rôle de la médecine de prévention et enfin leurs conditions de travail.

Je prends l’engagement de suivre chacun de ces dossiers avec la plus grande attention et avec le souci constant d’améliorer concrètement la situation des fonctionnaires pénitentiaires.

Je ne pourrai enfin évoquer le rôle des personnels de cette administration sans souligner le tribut, parfois dramatique, que ces hommes et ces femmes payent dans l’accomplissement de leurs missions.

Le quotidien de l’administration pénitentiaire, comme celui de la gendarmerie et de la police, est aussi fait d’agressions et de traumatismes. L’histoire, plus que centenaire, de la Maison d’arrêt de Fresnes illustre les difficultés et parfois les tragédies affrontées et surmontées par les personnels pénitentiaires. Je rappellerai simplement les graves incidents dont cet établissement a été le théâtre au début des années 2000 et le comportement héroïque des agents en ces occasions.

L’un d’eux a été grièvement blessé alors qu’il accomplissait avec un courage exemplaire son devoir. La République lui a montré sa reconnaissance. Je suis heureux qu’il ait continué à servir dans l’administration pénitentiaire, aujourd’hui à Tulle. Malgré les risques encourus, il a persévéré dans ce métier passionnant.

Pourquoi ? Tout simplement parce que les surveillants sont plus que les protecteurs des honnêtes gens. Ils sont les artisans de la paix sociale.

Je tiens à dire avec force que pour moi, il n’y a pas de fatalité de la violence, pas plus en prison qu’ailleurs. Je m’engage à combattre avec la plus grande détermination et la plus extrême fermeté ce mal qui trop souvent ronge nos détentions. Il n’y a pas de place pour la sauvagerie dans la République.

Mais, si la prison doit être un lieu de sécurité pour tous ceux qui y séjournent, y travaillent et y interviennent, elle doit aussi être un espace de droit favorisant l’insertion des détenus.

A cet égard et avant d’exposer les grands axes de la politique pénitentiaire que j’entends conduire, je souhaite préciser un point qui me paraît essentiel :

- opposer les deux missions de sécurité et de réinsertion assignées par la loi à l’administration pénitentiaire comme on l’a fait trop souvent dans le passé n’a pour moi pas de sens.

Les deux objectifs sont en effet, dans la réalité, intimement liés. La sécurité de la société est assurée lorsque la réinsertion d’un condamné est réussie et que disparaît la récidive.

Inversement, je n’envisage pas de véritable politique d’accompagnement des détenus, de développement des activités culturelles, sportives, de travail et d’enseignement au sein d’un établissement si la sécurité des personnes n’est pas assurée en détention.

La prison est avant tout un lieu de sécurité.

La sécurité constitue une priorité du gouvernement. En prison peut être encore plus que dans la société, la sécurité est le premier des droits, celui qui conditionne l’exercice de tous les autres. C’est vrai pour les détenus qui doivent être protégés de la violence de leurs co-détenus. C’est vrai pour les personnels pénitentiaires que leur métier expose particulièrement.

C’est aussi vrai, pour les citoyens dont le droit à la sécurité est aujourd’hui reconnu comme un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives. Améliorer la sécurité des établissements pénitentiaires constitue donc une ardente obligation.

A ce titre, les actions engagées par mon prédécesseur doivent se poursuivre. Il faut, en effet, agir sur plusieurs leviers pour obtenir des résultats concrets.

  • Je pense d’abord à la modernisation du parc pénitentiaire.

Face à la vétusté de notre parc pénitentiaire et au surencombrement de nos maisons d’arrêt, il faut construire de nouveaux établissements.

La situation, même si elle est loin d’être parfaite, s’est améliorée depuis 3 ans puisque 6 nouveaux établissements ont été mis en service en 2003 et 2004 permettant de porter la capacité d’hébergement de l’administration pénitentiaire à 51.312 places.

Le programme ambitieux de constructions d’établissements à hauteur de 13.200 places annoncé dans la loi d’orientation et de programmation pour la justice est désormais lancé et les premières réalisations seront livrées d’ici 2007.

Au-delà du gain très important en places, ce programme représente aussi une avancée qualitative sans précédent.

En effet si l’essentiel du programme concerne des centres pénitentiaires classiques, la mise en place de structures innovantes est également prévue : établissements pénitentiaires pour mineurs, quartiers courtes peines et structures pour la prise en charge des condamnés très dangereux.

Il faut, en effet, faire en sorte que les structures pénitentiaires soient adaptées à la diversité des profils que présentent les détenus. La population carcérale n’est pas homogène. Quelques détenus ont prouvé leur dangerosité par les actes mêmes qui les ont conduits en prison. C’est le cas des terroristes, des truands fichés au grand banditisme, des pervers multirécidivistes.

Condamnés à de lourdes peines, ils sont prêts à prendre des risques importants pour s’évader, disposant de complices à l’extérieur pour les y aider. Ceux-là relèvent de régimes de détention très stricts dans des maisons centrales hautement sécurisées mais il est inutile d’imposer des contraintes drastiques à tous les détenus.

Il faut disposer de régimes de détention variés allant du plus strict au plus flexible et y affecter les détenus en fonction de leur personnalité et de l’évolution de leur comportement.

Il ne faut pas, pour autant, délaisser les établissements, souvent vétustes constituant le parc actuel et dans lesquels, il convient de poursuivre les travaux d’entretien et de sécurisation.


C’est dans cet esprit qu’un vaste programme de rénovation des quatre plus grands établissements pénitentiaires a été engagé.

Les travaux ont déjà débuté à Fleury Mérogis et aux Baumettes. Ils interviendront par la suite à la Santé et ici à Fresnes.

A chaque fois que c’est possible, il importe parallèlement d’augmenter, à brève échéance, la capacité d’hébergement des maisons d’arrêt les plus encombrées. Au total 2.500 places supplémentaires seront ainsi mises en service d’ici 2007.

A ce titre, j’attache la plus haute importance à l’application sur le terrain des mesures prévues par la loi d’orientation et de programmation : sécurisation des maisons centrales, brouillage des téléphones portables, mise aux normes des miradors, contrôle des parloirs par biométrie etc.

  • Le renforcement de la sécurité passe aussi par des personnels plus nombreux et mieux formés.

Dans ce domaine, également, la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a donné des moyens considérables puisque la création de 3.740 emplois en cinq ans y est inscrite.

Il est essentiel que ces personnels soient en situation de s’adapter à l’évolution des risques et des menaces. Il faut reconnaître que la création des équipes régionales d’intervention et de sécurité a déjà considérablement renforcé la capacité d’anticipation et de réaction de l’administration.

La réforme statutaire des personnels de surveillance aura également un effet positif en renforçant la professionnalisation et l’encadrement, dans le but d’améliorer leur sécurité.

  • La mise en œuvre de structures et de procédures adaptées est tout aussi indispensable pour assurer une meilleure protection des agents.

La création récente, au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, d’une sous-direction de l’état major de sécurité a permis d’élaborer et de mettre en œuvre une doctrine cohérente dans le domaine de la sécurité pénitentiaire :

  • fouilles générales d’établissement
  • plans d’intervention et de protection des sites
  • repérage et suivi des détenus les plus dangereux
  • définition et apprentissage des gestes professionnels.

La liste des mesures concrètes qui ont contribué au renforcement de la sécurité au quotidien de nos structures est impressionnante.

Il ne faut surtout pas baisser la garde mais poursuivre et intensifier le travail engagé pour être en mesure de répondre aux nouveaux défis qui ne manqueront pas de se poser à nous.

La prison est aussi un espace de droit favorisant la réinsertion


J’ai la conviction que, dans une démocratie comme la nôtre, la prison constitue un territoire du droit.

La délinquance repose en effet avant tout sur les rapports de force et la négation des droits de l’autre. Ce n’est qu’au sein d’une prison républicaine et citoyenne ayant proscrit tout recours à l’arbitraire que nous pourrons limiter les récidives.
Créer et garantir des conditions de détention dignes et humaines représentent une exigence qui doit être au cœur de l’action de l’administration pénitentiaire.

Les valeurs d’humanité, de fraternité et de justice, fondatrices du pacte républicain, doivent avoir toute leur place au sein de nos établissements. Je connais le travail assidu des associations pour garantir nos valeurs, elles peuvent compter sur moi pour les faire respecter. Je le répète, la prison n’est pas l’ennemie du droit.

  • Cela signifie d’abord que les détenus doivent avoir accès au droit

Le développement des points d’accès aux droits dans de très nombreux établissements grâce à la forte implication des magistrats, des avocats et des associations garantit aux détenus les plus démunis de trouver les informations pratiques qui leur permettront de faire valoir leurs intérêts dans les litiges de la vie quotidienne, par exemple dans le cadre d’une succession ou d’un divorce.

Cette action s’est trouvée récemment renforcée par l’intervention de délégués du médiateur dans les prisons. La Maison d’Arrêt de Fresnes a d’ailleurs été la première à mettre en oeuvre en mars dernier ce dispositif particulièrement intéressant et novateur.

  • Cela signifie également que la prison doit constituer un temps mis à profit utilement par la personne qui y séjourne.

Le temps qu’une personne passe en détention peut, en effet, être l’occasion de rompre avec une spirale d’échecs et lui permettre de prendre enfin un nouveau départ et préparer sa réinsertion ou plutôt, pour le plus grand nombre, préparer sa première insertion dans la vie sociale et professionnelle.

Compte tenu des caractéristiques du public que nous accueillons, qui cumule de nombreuses carences et de forts handicaps, la tâche de l’administration pénitentiaire, et plus particulièrement des services d’insertion et de probation, est extrêmement lourde et compliquée.

C’est pourquoi l’administration pénitentiaire compte sur ses partenaires pour mener à bien sa mission. Elle l’a compris depuis plusieurs années. Les partenariats existant avec les Ministère de la Santé, de l’Education Nationale, de la Culture, du Travail et de l’Emploi, ont, notamment, permis des avancées considérables en matière de lutte contre l’illettrisme, de prise en charge médicale, de soins, d’apprentissage des savoirs ou de formation professionnelle.

Ces progrès sont réels, mais encore insuffisants tant la tâche à accomplir est importante. Je pense tout particulièrement à deux catégories de détenus qui méritent une attention et une vigilance soutenues.

Il s’agit en premier lieu des mineurs. Je veux qu’ouvrent très rapidement les sept établissements pénitentiaires pour mineurs dont le fonctionnement sera complètement organisé autour de l’école. Ces établissements placés sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire qui bénéficiera du concours actif des fonctionnaires de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et de l’Education Nationale, constitueront des outils performants d’insertion pour les jeunes délinquants les plus difficiles et les plus démunis.

Il convient également d’avancer très vite sur la question de la prise en charge des détenus présentant des troubles importants de la personnalité.

Tous les professionnels en conviennent, il est indispensable de créer les structures adaptées qui font cruellement défaut aujourd’hui. En leur absence, ces détenus sont incarcérés dans les établissements pénitentiaires « classiques ».

Je vais donc demander à mes services d’accélérer les travaux engagés avec le Ministère de la Santé pour créer des Unités Hospitalières Spécialement Aménagées permettant d’accueillir les détenus atteints de troubles mentaux graves dans des conditions satisfaisantes de sécurité et de soins.

Il s’agit là, à mes yeux, d’un dossier prioritaire qui, sans méconnaître sa complexité, doit avancer rapidement.

Enfin, les condamnés doivent préparer leur projet d’exécution de peine, prolongé, le cas échéant, par les mesures d’aménagement de peines.

A cet égard, la loi du 9 mars 2004 constitue une véritable avancée en posant de façon très claire le principe de la préparation à la sortie au travers d’un aménagement de peine permettant ainsi un soutien concret à la dynamique de réinsertion manifestée par le détenu. Les dispositifs sont nombreux : semi-liberté, bracelet électronique, placement extérieur, libération conditionnelle et doivent être adaptés au détenu. En ce domaine, je sais à quel point la tâche des juges d’application des peines est ardue, à quel point leurs décisions sont difficiles à prendre.

La législation concernant la libération des criminels les plus dangereux sera prochainement revue pour mieux prévenir la récidive. Les juges d’application des peines auront un rôle important à jouer pour mettre en œuvre cette réforme. Une fois de plus, je sais que je pourrai compter sur eux.

Ce dispositif commence à produire ses effets puisque le nombre d’aménagements de peine accordés est, pour la première fois depuis de nombreuses années, en hausse sensible en 2004. Cette tendance, qui se confirme début 2005, est en particulier due au développement considérable des placements sous bracelet électronique. A l’heure actuelle, plus de 1.000 condamnés sont placés sous surveillance électronique.

L’heure est maintenant venue de conclure.

Je souhaite vous réaffirmer ma fierté d’être, en ma qualité de Ministre de la Justice, à la tête d’une grande administration comme la vôtre qui se trouve au cœur des missions de l’Etat et des défis que notre société doit relever.

Je vous remercie de ce que vous accomplissez avec discrétion et dévouement au quotidien et vous assure de ma confiance et de mon total soutien. Je me sens proche de vous parce que vous êtes l’avant-garde de la sécurité intérieure.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre attention.