[Archives] Colloque de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris

Publié le 13 septembre 2005

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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9 minutes

Monsieur le Président,
Madame la Présidente,
Messieurs les Présidents de chambre,
Mesdames et Messieurs,

Déjà dans la Grèce antique, Sophocle écrivait « plus faibles sont les risques, meilleure est l'entreprise ». Je vous propose justement une réforme qui va réduire les risques que court votre entreprise. Mon message est donc simple : il fait bon entreprendre en France.

La loi de sauvegarde des entreprises, en date du 26 juillet 2005, est à cet égard révolutionnaire. Elle s’appuie sur une très grande concertation de tous les acteurs concernés afin de faire de notre droit un outil au service du monde économique.

L’initiative commune de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, de l’AFFIC et du barreau, s’inscrit dans la suite de votre très importante contribution à la construction progressive du texte. Vous y avez retrouvé de nombreux axes de réforme que vous avez préconisés.

Je suis particulièrement heureux que vous ayez associé M. le Président Jean-Jacques HYEST à cette journée. Le rapport qu’il a remis au nom de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation a été à l’origine de nombreuses dispositions de la réforme. Son expertise incontestable et incontestée de cette matière complexe a permis une amélioration significative du texte par le Sénat, au cours d’un dialogue particulièrement constructif avec le Gouvernement.

Le large consensus que ce texte a recueilli devant le Parlement n’est pas le fruit du hasard :

  • Ce nouveau texte vise à préserver une part significative de l’activité économique détruite par des procédures inadaptées.
  • Il entend sauver une part significative des 150.000 emplois que nous perdons chaque année au cours de ces procédures.

Il s’agit donc là d’une étape importante de l’évolution d’un droit indispensable à la vie et à l’économie de toute société. Ce texte est porteur d’un grand espoir pour les entrepreneurs mais aussi pour les salariés. La loi nouvelle s’inscrit en effet indiscutablement dans la bataille de l’emploi, menée par tout le Gouvernement.

La concrétisation de cet espoir viendra de l’application du texte qui est désormais entre vos mains. Il convient de ne pas décevoir.

Pour faciliter cette application et en assurer le succès, vous êtes les premiers à avoir entrepris d’analyser les apports de la loi nouvelle, je vous en remercie et je vous en félicite. Cela dit, je ne suis pas surpris que les chambres de commerce soient une fois de plus à la pointe de l’innovation.

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Vous m’avez fait l’honneur de me demander d’ouvrir votre débat. J’y suis très sensible. L’occasion m’est ainsi donnée, d’insister auprès de vous sur le nouvel état d’esprit auquel doit conduire la loi nouvelle. Je le ferai en portant l’essentiel de mes propos sur les thèmes que vous avez retenus. Ils sont judicieusement choisis et me permettent d’aborder le cœur du nouveau dispositif.

Le succès de la réforme dépendra en effet en grande partie du changement de comportement des entrepreneurs en difficulté, mais aussi de leurs créanciers, dont les intérêts sont, tout autant, légitimes. Ce changement est nécessaire mais ne peut être obtenu que par la confiance.

Cette confiance doit être réciproque. De la confiance du législateur à l’égard des dirigeants d’entreprises doit naître la confiance de ceux-ci à l’égard du droit rénové et des institutions qui l’appliquent.

J’ai souligné devant le Parlement qu’il n’était pas admissible que les procédures collectives inspirent de la crainte aux salariés ainsi qu’aux chefs d’entreprise.

Le droit français des procédures collectives était devenu obsolète et destructeur. Il était marqué par un manque de sécurité économique, un manque de sécurité pour l’emploi et un manque de sécurité juridique.

L’ouverture des procédures judiciaires destinées à améliorer le sort des entreprises en difficulté conduisait dans une très large mesure à déposséder les entrepreneurs de leurs prérogatives et de leurs initiatives. Certains ont cru que la meilleure manière de sauver des emplois était d’exclure les chefs d’entreprise de leur outil de travail ! Telle n’est pas ma conception du monde économique.

La loi de sauvegarde des entreprises reconnaît désormais la capacité du chef d’entreprise à décider la meilleure procédure à suivre lorsqu’il connaît des difficultés.

Si l’on excepte quelques limites de bon sens, elle le rend maître du choix de cette procédure, du moment de sa mise en oeuvre et de son terme.

Lorsqu’il aura fait le choix de la procédure amiable, il se situera dans un rapport de négociation contractuelle, garanti par la confidentialité et décidera lui-même s’il entend ou non que cette procédure soit judiciarisée.

S’il le souhaite, il construira avec ses créanciers un accord, librement consenti, dont le président du tribunal se contentera de lui donner acte afin qu’il soit solennisé et ait force exécutoire pour ceux qui l’ont conclu.

J’ai souhaité cette procédure allégée, qui n’était pas prévue dans le projet initial, afin que les entrepreneurs en difficulté puissent résoudre leurs difficultés les moins sévères, par la négociation amiable avec quelques créanciers, dans une totale confidentialité et selon une procédure dont le caractère judiciaire peut être très limité du fait de l’absence de toute conséquence juridique à l’égard des tiers.

En revanche, s’il l’estime nécessaire, il pourra aller beaucoup loin et demander au tribunal de se prononcer afin de donner une beaucoup plus grande portée à l’accord qu’il aura conclu et de le rendre opposable aux tiers.

Cette loi est donc un signal fort à l’égard de ces hommes et ces femmes qui créent de l’activité. Ils doivent savoir que la France est un espace accueillant et ouvert aux créateurs et repreneurs d’entreprises. Ils doivent savoir que cette loi est un nouvel outil à leur service, pour les aider tout en respectant leur expertise et leurs compétences.

Le rôle du tribunal et sa responsabilité seront cependant très importants car si sa décision sécurisera les uns, apporteurs de capitaux mais également fournisseurs de biens ou de services, elle réduira les droits des autres.

Il s’agit d’une mission nouvelle donnée au juge. Elle sera difficile car il lui appartiendra d’analyser avec précision l’équité des termes de l’accord, non seulement à l’égard des parties, mais aussi à l’égard des tiers.

Il lui appartiendra également de porter un jugement sur son efficacité économique, l’accord conclu ne devant en aucun cas être une façade destinée à ce que certains obtiennent des avantages à court terme. L’expérience des juges consulaires sera, à cet égard, précieuse.

Prévenir, ausculter, guérir, la mission du juge s’apparentera à celle du médecin, dans le respect des droits des patients, et dans la confidentialité. Parfois, il même devra prendre des mesures d’urgence afin de sauvegarder la vie des entreprises.

Permettez-moi d’exprimer un regret. Vous utilisez, dans les intitulés de votre programme, le terme identique d’ « homologation » pour ces deux procédures. J’espère que la pratique trouvera à les distinguer davantage par leur appellation.

Le rôle du juge est, en effet, pour chacune très différent : donnant acte d’un accord contractuel dans le premier cas, sans en examiner le contenu, il examine attentivement le second pour le consacrer par une décision de justice lourde de conséquences pour les tiers.

Je n’insisterai jamais assez sur l’importance qu’a pour le chef d’entreprise la prévisibilité de la conséquence de ses choix.
Sa confiance naîtra de ce qu’il maîtrisera désormais le processus de son rétablissement s’il a eu la prudence de l’anticiper.

Je souligne à l’intention des mandataires de justice, qui sont ici représentés, sur le fait que la rémunération des mandataires ad hoc et des conciliateurs, du fait des procédures amiables, devra avoir été préalablement acceptée par celui qui a demandé l’ouverture de la procédure. L’accès au plus grand nombre aux effets bénéfiques de la réforme est en effet conditionné par la transparence et la maîtrise de son coût.

Selon la même logique, les frais des procédures collectives, beaucoup trop opaques, seront rendus absolument transparents. Ceux qui ont un droit légitime à être rémunérés pour leur travail : mandataires, experts, greffiers, ainsi que les intervenants spécialisés dont le concours est souvent nécessaire, doivent faire l’effort de lever le voile sur leurs conditions de rémunération qui seront, une fois bien comprises, admises par ceux qui en supportent le coût.

La confiance est également à cette condition. Les textes d’application de la loi en tiendront le plus grand compte comme je m’y suis engagé devant le Parlement.

Très justement, vous avez décidé de débattre de l’articulation entre la conciliation et la sauvegarde.
Le succès de la première dépend en effet de l’existence de la seconde qui offre au chef d’entreprise le moyen de résoudre des situations de blocage en demandant à être placé sous protection judiciaire.

Cette possibilité, par son principe même, favorisera les accords amiables, hors de toute procédure collective.

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Votre deuxième table ronde va traiter de la procédure de sauvegarde, apport majeur de la réforme.

Elle assouplit considérablement les contraintes issues de la cessation des paiements, notion qui demeure indispensable, mais qui n’est plus le pivot du droit en cette matière.

Elle redonne confiance aux chefs d’entreprise, en leur garantissant que lorsqu’ils y recourront, sans y être obligés, ils resteront maîtres de leur activité tout en étant assistés par des professionnels compétents, experts des situations de crise.

Ils ne seront pas évincés de la direction de l’entreprise qu’ils ont souvent créée.

La procédure de sauvegarde, qui est une procédure collective, présente certains des caractères d’un redressement judiciaire anticipé.
Elle est appelée néanmoins a prendre toute sa place en tant que procédure nouvelle et à remplacer progressivement ce dernier, dont l’efficacité s’est inexorablement amoindrit au fil des années.

Des conditions d’ouverture de la sauvegarde, permettant l’élaboration d’un plan dans un contexte infiniment moins tendu que celui du redressement judiciaire, naît le contexte le plus apte à favoriser le dialogue.

Ce contexte sera également favorisé par l’accroissement significatif des prérogatives des contrôleurs qui seront beaucoup plus qu’hier, les garants de la transparence des procédures, condition de la relation de confiance qui conditionne le succès de la négociation.

Le rôle des créanciers est, comme vous le soulignez, valorisé.

L’institution des comités, seconde innovation essentielle, après l’anticipation, va, lorsque le nombre des créanciers et la taille de l’entreprise le justifieront, sensiblement modifier le processus d’élaboration des plans.

Je ne méconnais pas l’organisation actuelle de la préparation des plans selon un mode qui est, de facto, proche de celui de la consultation de comités, mais j’insiste sur le fait que, grâce à l’adoption négociée des dispositions du plan et la loi majoritaire, ceux-ci peuvent aller beaucoup plus loin que le simple moratoire judiciairement imposé de la procédure ancienne.

Ici encore, les rôles respectifs des parties et du tribunal changent de nature. La juridiction veille au respect des droits de ceux qui n’ont pas accepté les termes de l’accord manifesté par le plan. Elle n’en contrôle les dispositions qu’en l’absence de comités.

De cette nouvelle conception du mode d’élaboration des plans devrait renaître le principe des cessions négociées, par la voie de la prise de participation consentie et de l’abandon concomitant d’une part des créances. Il est bien préférable aux cessions forcées qui ont suscité tant de critiques.

Les axes de réflexion que vous avez retenus pour aborder le thème de la sauvegarde me conduisent à vous faire plusieurs remarques :

La sauvegarde ne doit pas être réduite à l’existence des comités. Ceux-ci en sont une modalité particulièrement adaptée aux procédures intéressant les entreprises d’une taille significative.

Elle doit également être considérée comme un instrument privilégié au service des plus petites entreprises qui, elles aussi, doivent reconnaître l’importance de l’anticipation.

Je compte beaucoup sur l’influence des chambres de commerce et d’industrie pour diffuser auprès du plus grand nombre les mérites de cette réforme, conçue pour tous. Vous évoquerez sans nul doute l’avantage procuré par la sauvegarde au dirigeant caution. Je le mentionne car il est très important pour favoriser l’évolution des mentalités guidées le plus souvent par des craintes légitimes sur les conséquences indirectes de l’ouverture des procédures.

Par ailleurs, le redressement judiciaire, dont le réalisme justifie le maintien, bénéficiera lui aussi de l’existence des comités. Il n’existait aucune raison de l’en priver.

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Il était logique, alors que le barreau prend une part active à votre rencontre, que vous abordiez l’achèvement d’une construction progressive de notre droit qui donne désormais à toute personne qui connaît des difficultés financières le moyen d’y faire face. Les professionnels libéraux, victimes d’un vide juridique fâcheux lorsqu’ils exerçaient sous la forme individuelle, bénéficieront de l’ensemble des procédures rénovées. Leurs instances ordinales y seront étroitement associées.

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Avant de conclure permettez-moi en tant que responsable de la conduite de l’action publique au sein des juridictions de vous dire quelques mots sur l’accroissement de la présence du ministère public dans les procédures commerciales.

J’insisterai auprès des procureurs généraux afin qu’elle soit conçue comme la défense de l’intérêt général dans les procédures commerciales et non comme un instrument destiné essentiellement à la recherche d’infractions pénales. La perception qu’ont les chefs d’entreprise du parquet dans cette matière se traduit encore beaucoup trop par la crainte et la méfiance. Ici encore, il convient de redonner confiance.

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Il me reste, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs à vous demander de poursuivre l’effort que vous entreprenez aujourd’hui en vous mobilisant et en mobilisant les acteurs de terrain, pour faire en sorte que les nouveaux mécanismes soient pleinement utilisés. Vous allez faire dès aujourd’hui œuvre de pédagogie pour qu’ils soient connus et promus.

Cette œuvre doit être poursuivie sans relâche afin que, dès les premiers jours de l’année 2006, chacun en perçoive le bénéfice.

Je vous remercie pour votre attention, et je souhaite bon courage à tous les créateurs et repreneurs d’entreprises, qui sont les premiers à créer des emplois dans notre pays.