[Archives] Réunion des Procureurs généraux

Publié le 09 novembre 2005

Discours de Pascal Clément

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8 minutes

Mesdames et Messieurs les procureurs généraux,


Le début de cette réunion va se dérouler en présence de la presse. Je crois que c’est essentiel car il faut que les Français sachent que, dans les circonstances actuelles, la Justice est en ordre de marche, qu’elle fonctionne, et qu’elle fonctionne bien.

Depuis 13 jours, un grand nombre de nos concitoyens sont victimes d’exactions intolérables. Près de 6.000 véhicules ont été brûlés. De nombreux biens immobiliers ont été détruits ou dégradés. Un grand nombre de personnes, dont plusieurs policiers et pompiers, ont été blessées. A ce jour, 4 personnes sont décédées dans ce contexte de violences urbaines.

Depuis quelques jours, ces évènements, jusque là circonscrits à la région parisienne, se sont étendus à la France entière.

C’est dire combien la situation est sérieuse, même si l’on peut constater actuellement une certaine décrue.

Il nous appartient, plus que jamais en cette période difficile, de rappeler notre attachement à la primauté de l’Etat de droit.

C’est pourquoi le Gouvernement a mobilisé tous les moyens à sa disposition pour endiguer la montée de la violence et sanctionner les fauteurs de troubles.

L’évolution des faits constatés ces derniers jours, et notamment dans certains cas l’utilisation d’armes contre les forces de l’ordre, l’appel au meurtre sur des sites internet ou la découverte de véritables fabriques d’engins incendiaires ont conduit le Gouvernement à mettre en place un dispositif d’urgence permettant notamment d’instaurer un couvre-feu et de donner un fondement juridique aux différentes mesures de police administrative que je détaillerai tout à l’heure.

Cette décision permettra de compléter le dispositif judiciaire que vous avez contribué, avec tous vos collègues magistrats et les fonctionnaires de justice, à mettre en œuvre de manière exemplaire.

J’ai déjà eu l’occasion de féliciter pour leur implication les magistrats et les fonctionnaires qui se sont mobilisés ces derniers jours et ces dernières nuits.

J’ai été particulièrement sensible aux propos tenus hier à l’Assemblée Nationale par le Premier ministre qui a rendu aux magistrats et aux fonctionnaires l’hommage qu’ils méritent.

Grâce à eux nous avons pu montrer que 24 heures sur 24 les Français peuvent compter sur leur justice.

C’est en effet, près de 632 individus qui ont été déferrés devant les tribunaux, et c’est près de 225 personnes qui ont été incarcérées.

Nous sommes dans un domaine où l’exemplarité de la peine est essentielle. Tout le monde le comprend. Pour autant la Justice a toujours été rendue dans le respect des principes qui la fondent.

Les sanctions ont toujours été prononcées en fonction des circonstances propres à chaque dossier et en tenant compte de la personnalité de chacun des prévenus.

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Dans beaucoup de tribunaux, des magistrats et des fonctionnaires volontaires ont spontanément rejoint les juridictions pour renforcer les permanences.

Je sais également que depuis hier, et suite à mes instructions, de nombreux magistrats du parquet sont présents dans les postes de commandement de la police afin d’apporter immédiatement l’analyse juridique du parquet et d’informer en temps réel la hiérarchie du déroulement des évènements.

Cette présence permet une coordination des différents services de l’Etat qui est actuellement indispensable et qui est d’ailleurs saluée par tous.

Je sais que des audiences se déroulent jusque tard dans la nuit pour apporter une réponse rapide à ces actes inadmissibles.

Je souhaite que vous remerciez en mon nom et celui du gouvernement les magistrats et les fonctionnaires pour cette mobilisation.

Je vais d’ailleurs dès aujourd’hui m’adresser personnellement à chacun d’entre eux pour leur adresser ce message de gratitude.
Afin d’accompagner cet effort remarquable, j’ai décidé d’allouer des crédits exceptionnels aux juridictions les plus exposées. C’est ainsi que j’ai donné instruction hier de déléguer aux 8 cours qui ont fait part de leurs besoins les crédits nécessaires. Cet argent permettra de recruter des vacataires qui aideront les juridictions à faire face à l’afflux de procédures supplémentaires.

Il nous faut désormais aller plus loin.

Je souhaite donc aborder avec vous d’une part la manière dont ces affaires doivent être traitées sur le plan judiciaire, d’autre part les conséquences qui doivent être tirées de la déclaration de l’état d’urgence. Je veux enfin évoquer le dispositif mis en place par le ministère de la justice au profit des victimes des violences urbaines.

Concernant le traitement pénal de ces affaires, je vous demande de ne pas hésiter à viser les qualifications juridiques qui paraissent les plus adaptées aux violences urbaines.

Je pense notamment à la provocation directe à la rébellion, à la participation délictueuse à un attroupement ou à une manifestation non autorisée, aux violences aggravées sur des personnes dépositaires de l’autorité publique, à l’entrave aux secours, à la fabrication ou à la détention d’engins meurtriers ou incendiaires et enfin à l’association de malfaiteurs en vue de préparer des crimes ou délits.

J’ai demandé sur ce point à la direction des affaires criminelles et des grâces d’élaborer un document recensant toutes ces qualifications. Vous en disposez dès aujourd’hui.

Je souhaite que l’état de récidive soit visé à chaque fois qu’il existe.

Je vous demande que les faits commis à l’encontre de policiers, de gendarmes, de pompiers, de médecins, d’agents de transports publics, fassent l’objet de la répression la plus sévère.

Concernant les procédures, je vous demande de continuer à privilégier les procédures rapides.

Mais chaque fois que des violences ont été commises dans un cadre qui paraît organisé, je souhaite qu’on n’hésite pas à ouvrir des informations et à requérir le placement en détention provisoire.

Je souhaite également que le parquet fasse appel chaque fois qu’il lui semble que la réponse judiciaire n’est pas adaptée à la situation.

Je vous demande de porter une particulière attention au traitement pénal des procédures mettant en cause des mineurs. En liaison avec les juges des enfants et les fonctionnaires de la protection judicaire de la jeunesse, je souhaite que vous utilisiez toutes les solutions prévues par notre droit afin de voir prononcer des décisions rapides et efficaces de nature à éviter la réitération des faits.

A cet égard, je vous demande notamment de privilégier les comparutions à délai rapproché et à ne pas hésiter, pour les 13-16 ans, à prendre des réquisitions visant à des placements au sein des CEF.


Actuellement, ces structures ne sont pas au complet. Je trouverai incompréhensible, dans la situation actuelle, qu’on ne les utilise pas plus.

Pour les cas les moins graves, la mesure de réparation à l’égard de la victime ou dans l’intérêt de la collectivité me paraît une sanction excellente, de nature à responsabiliser les parents et à rassurer nos concitoyens.

En matière de violences urbaines, trop de rumeurs, voire de mensonges, incitent à la continuation des désordres.

C’est pourquoi vous devez mettre en œuvre une politique de communication dynamique destinée, d’une part, à rétablir la vérité quand celle-ci est tronquée, et d’autre part, à informer l’ensemble des Français sur l’action que nous menons, et tout particulièrement les délinquants sur les risques qu’ils encourent.

Je souhaite que les décisions les plus emblématiques, soit parce qu’elles sont sévères, soit parce qu’elles concernent des faits qui ont marqué nos concitoyens, soient systématiquement portées à la connaissance des médias et des élus.


Je voudrais maintenant évoquer les conséquences à tirer de l’instauration de l’état d’urgence.

Ce dispositif est effectif depuis aujourd’hui à 0 heure. Sa durée est de 12 jours sauf intervention dans ce délai d’une loi en prorogeant les effets.

La loi du 3 avril 1955 en application de laquelle a été adopté le décret permet un certain nombre de mesures qui dérogent au droit commun .

Certaines sont applicables sur l’ensemble du territoire métropolitain, d’autres ne le sont que dans certaines zones délimitées par un décret simple.

Les mesures d’interdiction ou de restriction de circulations des véhicules et des personnes relèvent de la première catégorie.

Les pouvoirs de perquisition de l’autorité administrative relèvent de la seconde catégorie. A cet égard, je tiens à vous préciser que le Gouvernement a adopté dès hier le décret précisant ces zones. Il vous est remis aujourd’hui avec son annexe.

Quant à l’application de ces textes je voudrais vous faire deux séries de recommandations :

1 - Le non-respect des différentes prescriptions prises dans le cadre de l’état d’urgence est puni de deux mois d’emprisonnement et d’une amende de 3750 euros. Si le quantum de ces sanctions ne permet ni de recourir à la procédure de comparution immédiate, ni d’envisager un placement en détention provisoire dans le cadre d’une information judiciaire, il s’agit néanmoins d’un cadre juridique qui permet la garde à vue et également de convoquer ces prévenus par OPJ ou par procès-verbal à des audiences à délai rapproché.

A chaque fois que nécessaire, il y aura d’ailleurs lieu de requérir une mesure de contrôle judiciaire. S’agissant des mineurs, leur interpellation dans ce cadre doit permettre d’envisager des mesures éducatives et, par exemple, des placements y compris en CEF pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans.

2 - Je souhaite enfin que vous puissiez mettre en place des dispositifs de coordination très précis avec l’autorité préfectorale, afin de permettre l’exploitation au plan judiciaire des éléments qui auraient pu être découverts lors des perquisitions intervenues dans un cadre administratif.

Je vous rappelle, à cet égard, que toute infraction découverte dans ce cadre entraîne un basculement de la procédure administrative vers la procédure judiciaire, soumise à l’autorité du Parquet.

  • Rétablir l’ordre républicain, c’est également aider nos concitoyens quand ceux-ci ont été victimes de violences ou ont subi des dégradations ou la perte de leurs biens.

C’est pourquoi je vous demande d’être particulièrement attentif à la situation des victimes et de favoriser leur information sur l’existence des dispositifs de solidarité mis en place par l’Etat.

Il faut, en effet permettre à chaque victime de se sentir entourée, aidée, et accompagnée

  • J’ai demandé une mobilisation exceptionnelle du dispositif d’aide et d’accompagnement des victimes, sur l’ensemble du territoire :
  • Tout d’abord par le O8VICTIMES, plateforme téléphonique d’aide aux victimes, ouverte 7jours/7 de 9h à 21h qui recense les victimes, répond aux demandes de renseignements et les oriente dans leurs démarches vers des structures locales proches de leur domicile.

Ce numéro est en ordre de marche depuis le début de la crise, notamment dans les communes les plus durement touchées

  • J’ai également demandé au réseau INAVEM regroupant 180 associations de mettre en place rapidement des permanences d’accueil et d’aide aux démarches pratiques : information sur leurs droits, dépôt de plainte, déclaration aux assurances ainsi que, le cas échéant, un soutien psychologique...

Les questions les plus couramment posées par les victimes concernent l’indemnisation suite aux dégradations volontaires, notamment celles des véhicules.

Elles ont besoin d’informations pratiques sur les procédures à mettre en œuvre sur leur déroulement et sur les dates d’audiences.

Outre les informations qui leur sont fournies (en temps réel), j’ai demandé à mes services de mettre en ligne sur le site de la chancellerie aujourd’hui même une fiche pratique à leur attention permettant à chacun de connaître les démarches utiles.

Je vous demande de veiller à ce que les parquets saisissent en temps réel les associations conventionnées sur le fondement de l’article 41 alinéa 7 du Code de Procédure Pénale

  • celles ci prendront attache avec les victimes à partir de la liste transmise par les parquets
  • d’avertir la victime qu’elle sera contactée par une association, par un courrier personnalisé
  • de sensibiliser les services d’enquête afin que ceux-ci signalent les victimes qui paraissent devoir être soutenues plus particulièrement
  • d’organiser en partenariat avec les mairies des permanences d’accueil en dehors des commissariats chaque fois que la situation le nécessitera et notamment afin de soulager les commissariats de police.
  • de mobiliser les maisons de la Justice et du Droit de vos ressorts afin qu’elles soient en mesure de donner rapidement des renseignements sur les indemnisations des victimes

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Dans les périodes difficiles, nos concitoyens attendent beaucoup de la justice : elle doit sanctionner, elle doit réparer, mais elle doit également veiller au respect de nos principes républicains. Je sais que les Français peuvent compter sur leurs magistrats pour que toutes ces missions soient exercées avec fermeté, mais également avec la sérénité qui fait la grandeur de vos fonctions.

Je vous remercie.